jeudi 11 décembre 2014

Perspectives : la chute de Blaise Compaoré


La rapidité des évènements qui ont mis fin à vingt-sept années de pouvoir a surpris de nombreux observateurs. Les chercheurs ont donc essayé de comprendre pourquoi les dernières manifestations ont fait tomber le régime du Président Blaise Compaoré ? L’extrême pauvreté est citée comme un facteur majeur. Les politistes ont également mis en évidence le rôle des partis politiques, en particulier la prédominance du parti présidentiel dans les assemblées législatives. Celle-ci multiplierait la probabilité de voir le mandat présidentiel prolongé. Le danger vient des défections et des dissensions au sein de ce parti comme observé au Burkina Faso depuis janvier (ICI). 
 
Pour Romain Tiquet, doctorant en histoire de l'Afrique à la Humbolt Universität de Berlin, interrogé sur Africa4 : « la confusion qui a régné au lendemain de la chute du régime de « Blaise » est à l'image des dissensions qui existent au sein de l'armée burkinabè depuis la fin des années 2000 ». L’un des principaux défis que devra relever le nouveau pouvoir en place sera justement de définir le rôle attribué aux forces armées. En effet, dans l’histoire burkinabé, elles ont toujours joué un rôle politique central et elles garantissaient la stabilité, rappelle Valérie Arnould (Egmont – the Royal Institute for International Relations). Quant au rôle des forces de police : « il faut (…) garder en tête que les forces civiles de police ont toujours été marginalisées dans un pays où culture politique et culture militaire sont intiment liées ».
La chute de Blaise Compaoré est aussi l’occasion de revenir sur ses années de pouvoir. Pour les historiens Jean-Pierre Bat et Vincent Hiribarren : « il est sans aucun doute l'un des derniers héritiers des relations franco-africaines des années 1980, sollicité et longtemps défendu par Paris ».
Selon Landry Signé, quatre raisons expliquent la chute du régime burkinabé : la lenteur de la démocratisation (pour aller plus loin, lire ICI et ICI), l’importante mobilisation populaire, la division des forces de sécurité et le faible soutien international. Andrew G. Reiter (Mount Holyoke College) part des travaux de la Freedom House selon lesquels il existerait près de 25% d’États « non libres » dans le monde. Une statistique stable depuis la fin de la guerre froide. Cette persistance des régimes non démocratiques s’expliquerait par un ensemble de facteurs. Les régimes autoritaires actuels sont souvent issus de luttes révolutionnaires ou de mouvements de libération et seraient plus résilients. Le facteur économique doit également être pris en compte. Ainsi, les succès de la Chine et de la Russie en font des modèles attrayants. Enfin, le dernier facteur serait la diminution des efforts occidentaux de promotion de la démocratisation notamment après l’échec irakien. Ainsi, la sécurité serait devenue prioritaire sur la démocratisation dans la politique étrangère américaine.
Un ensemble d’analystes interrogent les répercussions des évènements burkinabés sur le reste du continent. David Stasavage constate que la longévité présidentielle est plus élevée dans les États d’Afrique centrale et australe (Cameroun, Angola, Guinée équatoriale) où la rente principale provient du pétrole. Ken Opalo rappelle que depuis 1990, onze chefs d’Etats d’Afrique subsaharienne ont tenté de réviser la durée du mandat présidentiel. Sept y sont parvenus (Burkina Faso, Tchad, Gabon, Guinée, Namibie, Togo et Ouganda) et trois ont échoué (Malawi, Nigeria, Zambie). Au Niger, les tentatives de Mamadou Tandja ont provoqué un coup d’Etat. La République démocratique du Congo est également citée par Hanna Ucko Neill, de l’International Institute for Strategic Studies (IISS). Ce chercheur compare la situation du Burkina Faso à celle de la RDC car Kabila pourrait être tenté par un troisième mandat (ICI).
Rachel Beatty Riedl, l’auteur de « Authoritarian origins of Democratic Party Systems in Africa » se demande si la démocratie peut émerger de ce type de bouleversement. Les transitions politiques, de l’autocratie vers la démocratie, interviennent en général avec un degré de violence plus élevé. La phase de transition elle-même peut créer des contestations dans la démocratie naissante ou lorsqu’un nouveau régime prend le dessus surtout s’il est autoritaire. Rachel Beatty Riedl démontre que la chute des régimes autoritaires a offert l’opportunité d’une grande réforme du système politique. Ainsi, de véritables démocraties peuvent émerger d’un vide politique. Les exemples les plus parlants sont, selon elle, le Bénin, la Zambie, le Malawi et le Mali.
Zachariah Mampilly met en évidence l’existence de trois grandes vagues de contestations en Afrique. Le Burkina Faso appartiendrait à une troisième vague. La première concerne les manifestations nationales des années 1950 qui ont abouti aux indépendances. La deuxième vague englobe les manifestations en Afrique de l’Ouest, du milieu des années 1980 au début des années 1990, à la suite des mesures d’austérité imposées par les institutions internationales (Banque Mondiale et Fond monétaire International). La troisième vague aurait débuté en 2005. Le chercheur a ainsi étudié 90 soulèvements populaires dans 40 pays d’Afrique depuis cette date. Ces mouvements n’ont pas provoqué une attention aussi importante que celle consacrée aux soulèvements en Egypte et en Tunisie. Pourquoi ? Selon Zachariah Mampilly et Adam Branch les changements politiques en Afrique sont considérés comme le résultat de conflits violents ou d’interventions extérieures. Les Africains seraient considérés comme trop ruraux, trop ethnicisés ou trop pauvres pour pouvoir mener de telles transformations politiques.
Enfin, le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union africaine a estimé que le renversement de Blaise Compaoré « n’était pas un cas classique de changement inconstitutionnel de gouvernement mais plutôt une expression « du droit des peuples à se soulever pacifiquement contre des systèmes politiques oppressifs » » rapporte le dernier Rapport sur le Conseil de Paix et de Sécurité. En effet, ces dernières années, l‘Union africaine s’est montrée ferme à l’égard de ces changements inconstitutionnels de régime par la mise en place d’une politique de sanctions, suivie par le reste de la communauté internationale. Néanmoins, pour Vera Songwe, de la Brookings, elle peut aller plus loin.

Cette analyse et d'autres dans la 3ème Note de veille Afrique de l'IRSEM : ICI