lundi 31 octobre 2016

Djibouti dans le jeu international

Nous publions un article sur Djibouti dans le numéro d'octobre de la revue Esprit (ICI).
Voici un extrait de l'article :


Alors que les regains de tensions en mer de Chine méridionale suscitent l’inquiétude des décideurs politiques et concentrent l’attention des médias, l’onde de choc de ces tensions pourrait toucher les rives d’un petit territoire à l’est du continent africain. Djibouti concentre depuis quelques années la présence militaire des puissances internationales et attirent les investissements étrangers du monde entier. Les jeux diplomatiques qui s’y jouent sont particulièrement révélateurs des évolutions du système international. Cet îlot de tranquillité de 23 200 km², dans une région agitée par les conflits, accueille les troupes françaises, américaines, japonaises, européennes et bientôt chinoises, saoudiennes et peut-être russes. Les plus puissants États y ont pris place afin de lutter contre la piraterie, le terrorisme ou, plus récemment, comme base arrière dans le cadre de la guerre au Yémen. Djibouti représente également un atout économique majeur. Bien que ce territoire ne produise aucune richesse, il pourrait jouer un rôle de plateforme régionale et une pièce maîtresse dans le projet d’intégration économique, soutenu par Pékin. Garnison internationale, hub maritime et logistique régional, Djibouti l’oublié se trouve désormais au cœur du nouveau grand jeu international.

vendredi 28 octobre 2016

Recension : Politics and Democracy in Microstates de Wouter Veenedaal


« Quelles sont les conséquences politiques de la taille d’un État ? » telle est la question posée par le chercheur néerlandais Wouter Veenedaal. Le lien entre la taille de la population et la démocratie est un des plus vieux débat de la science politique. Les études quantitatives montrent que les petits États et les micro-États seraient, comparativement, plus enclins à développer des gouvernances démocratiques. « Small is democratic » semble un adage partager depuis des siècles, des philosophes grecs à Rousseau en passant par Montesquieu. 


Aujourd’hui encore les organisations internationales font la promotion des avantages de la petitesse et invitent les États en reconstruction après un conflit à des pratiques de décentralisation et de dévolution afin de confier plus de pouvoirs et de compétences politiques à des unités réduites. Pourtant, aucune hypothèse satisfaisante ne permet d’expliquer cette corrélation entre la taille et le caractère démocratiques d’un État.  Au contraire, de plus en plus d’études de cas tendent même à l’infirmer en soulignant l’intensité des rivalités personnelles, de la corruption et du clientélisme dans les petits États. Il semble donc qu’il y aurait un écart entre la théorie suggérée par la recherche quantitative et la réalité constatée les travaux qualitatifs. Les institutions démocratiques des petits ou micro États seraient une façade et la réalité démocratique de leur système politique doit être relativisée. D’après, Wouter Veenedaal cette énigme relève bien de l’approche méthodologique quantitative qui a été privilégiée jusqu’à présent pour étudier ce lien. Il propose ici une étude comparative de la nature des systèmes politiques dans quatre micro-États : San Marino, St Kitts et Nevis, les Seychelles et Palau. Il nous éclaire sur les réalités politiques de ces États présentés comme démocratiques. Si ces analyses peuvent s’avérer intéressantes pour des spécialistes de ces zones géographiques, en revanche le politiste ne s’étonnera pas des résultats de l’étude. Elles démontrent qu’une explication monocausale (la taille) ne permet pas d’expliquer le système politique même dans les micro-États. L’auteur démontre, sans surprise, que la situation géographique, l’histoire coloniale ou encore les relations internationales sont des variables essentielles. Néanmoins, on retiendra de cette étude les stimulants chapitres sur les débats théoriques et l’état de l’art.

jeudi 27 octobre 2016

« Des Afriques » : gestion de crises et résolution des conflits en Afrique subsaharienne

La Revue Défense Nationale a publié cet été un numéro spécial sur le continent africain. J'ai eu la chance de diriger ce numéro. 

Vous trouverez ICI le sommaire et ci-dessous l'introduction au numéro.


Plus que n’importe quelle autre partie du globe, après la Guerre froide, le continent africain a été associé aux conflits et à l’insécurité. Au début des années 1990, Robert Kaplan invoquait, dans une formule restée célèbre, « the coming anarchy »[1]. Pour l’auteur américain, le continent était alors celui des haines ethniques et de la violence aveugle. Vingt ans plus tard, le gagnant du prix Pulitzer, Jeffrey Gettleman, peignait le même tableau, se désespérant que les guerres ne terminent jamais et s’étendent comme, pour reprendre ses termes, « une pandémie virale ». Aujourd’hui, l’insécurité et les conflits sur le continent occupent une place centrale dans les cercles politiques, les travaux des chercheurs et le travail des forces de sécurité. Bien que la situation se soit transformée et que les statistiques s’entendent sur une baisse tendancielle du nombre de conflits, d’anciennes grilles d’analyses continuent de guider certains commentaires et analyses.
L’objectif de ce numéro de la Revue Défense Nationale répond à cette vision encore ancrée dans l’imaginaire collectif. Il vise à contester les approches populaires qui réduisent la complexité des situations conflictuelles sur le continent à des facteurs uniques et trop souvent essentialistes. Parmi ces facteurs les plus communs invoqués, on retrouve le colonialisme, la religion, l’ethnicité et les ressources naturelles. Or, la rigueur intellectuelle et une démarche méthodologique permettent d’éviter les biais de confirmation - au sens d’interpréter les faits pour leur faire dire ce que l’on souhaite, ou les biais de sélection, en ne choisissant que les faits qui appuient une thèse définie a priori. Avant d’expliquer pourquoi ces facteurs ne sont pas suffisants pour expliquer les conflits sur le continent, essayons tout d’abord de peindre à grands traits l’évolution de la conflictualité sur le continent depuis la fin de la Guerre froide.
Pendant la Guerre froide, les politiques à l’égard du continent étaient guidées par des considérations politiques liées à l’opposition entre les deux blocs. L’Est et l’Ouest supportaient des régimes afin de s’assurer le maintien d’une sphère d’influence. Les États-Unis, l’Union soviétique et leurs alliés respectifs étaient des sources de financement à la fois de groupes insurrectionnels et d’États. Les armes, les entrainements militaires, les soutiens diplomatiques dépendaient de cette lutte pour dominer et influencer. Certains régimes autoritaires furent maintenu au pouvoir parce qu’ils avaient une fonction spécifique dans cette lutte globale, comme pare-feu face au communisme. Le plus connu fut Mobutu au Zaïre. D’autres sont tombés après des coups d’États soutenus ou encouragés par les puissances extérieures. Avec la fin de la Guerre froide, le continent a perdu de sa valeur stratégique. Samuel Decalo dira même : « les États africains passèrent de pions stratégiques pendant la Guerre froide à d’« irrelevant clutter » ».  Progressivement, dans les années 1990, les États-Unis, et ce qu’il reste de l’Union soviétique, se désengagent du continent. Les premiers réduisent ou interrompent totalement leur aide militaire aux alliés les plus anciens : Kenya, Somalie, Liberia, Tchad, Zaïre. Les missions humanitaires américaines et les postes de renseignement se ferment et les personnels sont redirigés vers de nouvelles zones prioritaires notamment en Europe de l’Est. Les États qui survivaient en partie grâce à ces soutiens extérieurs deviennent plus vulnérables aux insurrections populaires et aux guerres civiles. Les événements au Liberia avec Samuel Doe, au Zaïre avec Mobutu, en Somalie et en Éthiopie doivent être appréhendés dans ce contexte. Ils n’ont plus le statut de clients dans un monde bipolaire. Cette perte de la rente stratégique coïncide parfois, en plus, avec une crise économique et des pressions de plus en plus fortes pour démocratiser. Les donateurs redirigent leurs aides en fonction des efforts faits en termes de gouvernance. De plus, l’aide au développement chute de 21% entre 1990 et 1996[2]. Les réseaux de clientélisme s’effondrent, tout comme certaines coalitions au pouvoir qui se divisent. Dans ce contexte, le nombre de conflits et l’insécurité augmentent. En parallèle, les outils analytiques font aussi évoluer comme nous allons le voir.
L’approche de la conflictualité sur le continent a souffert de trois grandes faiblesses : la « déconnexion », le culturalisme essentialiste et le réductionnisme économique auquel se rattache, en partie, le modèle « greed and grievance »[3]. Cette approche réduit les conflits à de l’opportunisme économique et à des décisions irrationnelles. Les conflits seraient donc une forme d’activité criminelle menée par cupidité par des seigneurs de guerre intéressés par la rente. Si cette approche a été très critiquée pour sa dépolitisation des conflits, elle était profondément réductionniste en expliquant les conflits uniquement en termes d’opportunité économique. Cette théorie a évolué ces dernières années et laisse moins place aux motivations économiques mais les conflits sont toujours expliqués en termes d’opportunité économiques plutôt que politiques. Les ressources naturelles ne sont, bien souvent, pas la cause du conflit bien qu’elles puissent l’alimenter. Ainsi, en Sierra Leone le conflit s’apparentait à une révolte contre les structures agricoles oppressives. Séverine Autesserre a montré qu’en République Démocratique du Congo  les ressources naturelles n’étaient pas au cœur des conflits[4]. Les mêmes arguments sur la dépolitisation des conflits sur le continent ont permis de critiquer la théorie des « nouvelles et anciennes guerres [5]». Cette thèse, largement controversée, postule que les guerres civiles de l’après-Guerre froide sont tendanciellement différentes de celles de la période bipolaire. Pour ce faire, l’auteur juge possible de tracer une distinction entre « nouvelles » et « anciennes » guerres. Au niveau global, la guerre interétatique semble révolue et l’anomie du système international aurait pour conséquence de favoriser la résurgence de phénomènes identitaires. Cet argumentaire recoupe celui sur l’ethnicité des conflits. L’idée répandue est que l’ethnie tue. Cette approche est partagée par certains commentateurs du génocide rwandais. Selon eux, les Tutsi et les Hutu seraient destinés à s’affronter et les massacres sont le résultat d’une opposition raciste atavique. Cette approche exclut toute analyse des évènements ayant conduit à l’exécution du génocide. Cette littérature décriée est, en partie, héritière des travaux sur l’anthropologie de la race élaborée à la fin du XIXème siècle. Elle refuse de penser le racisme en Afrique comme une idéologie construite politiquement et socialement. Les crises africaines, ici celles des Grands Lacs, ne seraient que le résultat de clivages ethniques ataviques : des tueries et des barbaries spontanées sans dimension politique ni instrumentalisation. Cette approche privilégie également une lecture de déresponsabilisation des acteurs africains qui seraient pris au cœur des stratégies de puissances étrangères dans la région. Enfin, l’analyse des conflits sur le continent souffre d’un autre écueil : la déconnexion. Certaines approches placent le continent dans un cadre cognitif distinct qui nécessiterait de recourir à des théories spécifiques. Or, l’Afrique sub-saharienne n’a pas de conflits qualitativement distincts.
Il y a d’autres changements dans le panorama sécuritaire : la fréquence accrue des violences électorales et les « crises de citoyenneté »[6]. Ainsi, les travaux des chercheurs américains Zachariah Mampilly et Adam Branch[7] nous apprennent que le continent serait au milieu d’une troisième vague de contestations. La première regroupe les soulèvements nationalistes des années 1950 qui mènent aux indépendances. La seconde englobe les mouvements d’Afrique de l’Ouest, du milieu des années 1980 au début des années 1990, à la suite des mesures d’austérité imposées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Selon ces chercheurs, les révoltes arabes de 2011 constituent l’apogée d’un long « printemps africain » amorcé en 2005 - avec les mouvements de contestation liés à la crise alimentaire - mais qui n’aboutit pas nécessairement à des changements de régimes et n’ont pas suscité la même attention des médias, alors même que la contestation des régimes jugés autoritaires se poursuit. 
Par ailleurs, la compétition politique peut accroître les tentations de mobilisation sur des bases ethniques. La plupart des élections africaines sont relativement calmes (Togo, Bénin, Comores), mais certains exemples comme l’élection kenyane de 2007 montrent le chaos qui peut régner (1000 morts, 350 000 déplacés). Dernièrement, les violences ont aussi accompagné les élections au Zimbabwe, en Côte d’Ivoire, au Burundi. Actuellement, les révisions constitutionnelles afin de modifier les mandats présidentiels est une cause de mobilisation des populations (Djibouti, RDC, Burkina, Ouganda, Congo, etc.). Si l’expression première des violences électorales est identitaire, elle se combine avec des considérations plus locales comme l’accès à la terre, des ressources, ce qui rend simpliste et invalides les interprétations uniquement ethniques (Côte d’Ivoire, Kenya, Burundi). L’augmentation des violences religieuses et du terrorisme sont également de nouveaux visages de la conflictualité sur le continent. On le voit avec le groupe Al-Shabaab en Somalie, Boko Haram au Nigeria, AQMI et tous les autres groupes évoluant dans le Sahel. Pourtant, la religion et la dimension globale de ces conflits mérite encore des études sérieuses. Historiquement, la religion a toujours joué un rôle mineur dans les conflits en Afrique. Stephen Ellis disait même qu’à proprement parler, il n’y a pas de guerre de religion en Afrique subsaharienne. Cela ne veut pas dire que les croyances religieuses ne sont pas cruciales dans la guerre. Tant en Sierra Leone qu’au Liberia, les fidèles croyaient en la puissance des esprits comme en République centrafricaine[8] ou en Ouganda avec l’Armée de libération du seigneur. Mais la religion n’était pas la cause de la guerre bien qu’elle puisse l’alimenter. De même, historiquement, ce qui apparaissait à première vue comme des combats entre religions était en fait totalement lié à des luttes entre élites pour la puissance politique ou matérielle. Enfin, la « guerre contre le terrorisme » participe à une restriction de l’espace politique sous couvert de lutte contre le terrorisme. En effet, l’autoritarisme s’est renforcé dans plusieurs États subsahariens au cours de la dernière décennie. Cette évolution est intimement liée aux efforts des donateurs pour « stabiliser » le continent dans un contexte de lutte contre les groupes jihadistes[9].L’un des objectifs de ce numéro est donc d’essayer de comprendre certains conflits du continent et d’examiner la réponse apportée par les acteurs continentaux et leurs partenaires avec un regard spécifique sur la politique française qui justifie les choix thématiques et régionaux effectués. Pour ce faire, nous avons réuni des praticiens, des militaires, des diplomates et des chercheurs. Leurs écrits sont des témoignages, des présentations politiques ou des études scientifiques. Rassemblés dans ce numéro, ils apportent une vision complémentaire et globale des enjeux sécuritaires de certaines régions du continent. Après un premier ensemble de textes portant sur la zone saharo-sahélienne, une deuxième partie propose une série d’articles sur la sécurité maritime dans le Golfe de Guinée ; un troisième groupe de contributions est consacré à l’engagement des organisations internationales dans la gestion de crises et la résolution des conflits ; et le numéro s’achève sur des problématiques en cours. Plusieurs thématiques reviennent dans chacune de ces contributions. D’abord un questionnement : « le déficit capacitaire » de nombreux États face aux défis sécuritaires. Ensuite les enjeux de la régionalisation des réponses sécuritaires tant face au terrorisme, qu’à la piraterie et aux conflits civils ; enfin la coopération avec des partenaires extra-continentaux et des organisations internationales. Une étude croisée peut permettre de comprendre les conflits sur le continent dans leur complexité et nous espérons que ce numéro en fait la démonstration en privilégiant une discussion entre praticiens, politiques et chercheurs.

Pour aller plus loin :
Amselle Jean-Loup, M'Bokolo Elikia (dir.), Au cœur de l’ethnie, Paris, La Découverte, 2005, 225p.
Bonnecase Vincent et Brachet Julien (dir.), Crises et chuchotements au Sahel, Politique africaine, N° 130, 2013/2.
Collier Paul, Hoeffler Anke, Rohner Dominic, « Beyond Greed and Grievance : Feasibility and Civil War », Oxford Economic Papers, 2009, 61 (1), pp.1-27.
Courtin Nicolas (dir.), Comprendre Boko Haram, Afrique Contemporaine, n° 255, 2015/3.
Cramer Christopher, « Homo Economicus Goes to War : Methodological Individualism. Rational Choice and the Political Economy of War », World Development, 2002, 30 (11), pp.1845-1864.
Gazibo Mamadou et Thiriot Céline (dir.), La politique en Afrique. Etat des débats et pistes de recherche, Karthala, 2009.
Marchal Roland et Messiant Christine, « Les guerres civiles à l’ère de la globalisation. Nouvelles réalités et nouveaux paradigmes », Critique international, 2003/1, n°18.
Marchal Roland (dir.), « Le Sahel dans la crise malienne », Dossiers du CERI, 07/2013 
Prunier Gérard, Chrétien Jean-Pierre (dir.), Les ethnies ont une histoire, Paris, Karthala, 2003 (2ème ed.), 435p.
Ramsbotham Olivier, Woodhouse Tom, Miall Hugh, Contemporary Conflict Resolution. The Prevention, Management and Transformation of deadly Conflicts, Polity, (Third Edition), 2015.
Reno William, Warfare in Independent Africa, 2011, Cambridge, Cambridge University Press.
Richards Paul, « New War. An Ethnographic Approach », in Paul Richards (dir.), No Peace, No War, Athens, OH and Oxford, Ohio University Press and James Currey.
Straus Scott, « War do end ! Changing Patterns of Political Violence in Sub-Saharan Africa in African Affairs, 2012, 111 (443), pp.179-201.
Williams Paul D., War & Conflict in Africa, Polity, 2016 (second Edition).


[1] Robert Kaplan, « The Coming Anarchy : How Scarcity, Crime, Overpopulation, and Disease is Rapidly Destroying the Social Fabric of Our Planet », in Atlantic Monthly, Février 1994, pp.44-76 et la critique : Harri Englund, « Culture, Environment and the Enemis of Complexity », in Review of African Political Economy, 1998, 76, pp.179-188.
[2] Rita Abrahamsen, Conflict and Security in Africa, James Currey, 2013, 240 p.
[3]  Paul Collier et Anke Hoeffler, Greed and Grievance in Civil War, 2002, Washington, DC : World Bank
[4] “Dangerous Tales -Dominant Narratives on the Congo and their Unintended Consequences,” African Affairs, 111 (443),pp. 202-222, 2012.
[5] Mary Kaldor, New and Old Wars: Organized Violence in a Global Era, 3 edition, Cambridge: Polity Press, 2012, 256p. On lira également les critiques suivantes : Stathis Kalyvas, « Les guerres civiles après la guerre froide », in Pierre Hassner et Roland Marchal (éd.), Guerres et sociétés (États et violences après la guerre-froide), Paris, Karthala, 2003, 615p ; Siniša Malesevic, « The sociology of new wars? Assessing the causes and objectives of contemporary violent conflicts », International Political Sociology, vol.2, n°2, juin 2008, pp.97-112.
[6] Richard Banégas (dir.), « L’Afrique de l’Ouest: des crises de la citoyenneté », Les Dossiers du CERI, 2012-10.
[7] Zachariah Mampilly et Adam Branch, Africa Uprising. Popular Protest and Political Change, Zed Books – African Arguments, 2015, 272p.
[8] Marielle Debos, « Centrafrique : attention aux mots », Le Monde, 20 février 2014.
[9] Jonathan Fisher et David M. Anderson, « Authoritarianism and the securitization of development in Africa », International Affairs, 91, 1, 2015, pp. 131–151. Nicolas Desgrais et Sonia Le Gouriellec, « Stratégies d’extraversion : les défis de la construction de l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité », Note de Recherche Stratégique, IRSEM, Septembre 2016.

lundi 24 octobre 2016

«Oui, mon commandant»... version 2016

Cette interview a été publié sur le site Africa4 par Jean-Pierre Bat le 4 octobre 2016. 

L’IRSEM organise un colloque sur les nouveaux visages des armées africaines : comment les définir ?
Les armées africaines sont trop souvent perçues comme le simple produit de la période coloniale. Pourtant, elles sont également le produit de transformations historiques successives, dont la colonisation n’est qu’un élément. Il n’y a pas un modèle unique d’armée africaines pendant la période coloniale et encore aujourd’hui. Le colloque vise donc à étudier les différents visages de ces armées et leurs évolutions. Ces armées et leurs missions évoluent avec les transformations du système international. La volonté d’africaniser la sécurité sur le continent, qui a accompagné la création de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA), les armées africaines se sont vues attribuées de nouvelles fonctions. Les acteurs africains étant appelés à prendre leurs responsabilités en fournissant des troupes dans le cadre des missions onusiennes se déployant sur le continent mais aussi, et surtout, en créant un système de défense collective crédible pouvant apporter une réponse rapide et, ainsi, alléger le « poids » considérable porté par le Département des opérations de maintien de la paix (DOMP) des Nations unies. Les acteurs extracontinentaux, quant à eux, sont poussés à jouer un rôle de soutien et d’appui vis-à-vis de ces nouveaux mécanismes. Nous étudierons notamment le rôle des États-Unis, de la Chine, de l’Union Européenne, de la France, du Brésil ou encore du Portugal.
Derrière le discours « gagnant-gagnant » se cache aussi une autre réalité. Les nouvelles fonctions attribuées aux armées africaines permettent de renforcer l’autorité qu’exercent les pouvoirs politiques sur leurs subordonnés et leur puissance vis-à-vis de l’extérieur pour prévenir toute ingérence. Elle permet de bénéficier des différents mécanismes internationaux de soutien tels que le financement des organisations internationales, la donation de matériels militaires, l’accès à des formations militaires et le soutien logistique nécessaire. La participation à une OMP, par exemple, est un moyen de capter les rentes qu’offrent les différents mécanismes internationaux de soutien à l’APSA tout en augmentant leur « crédit international».
En interne aussi l’image des armées évolue. Les forces armées n’ont pas toujours eu un bon comportement vis-à-vis des populations, elles étaient d’ailleurs parfois envoyées pour les réprimer. Certaines armées restent un problème structurel qui nécessite des réformes. Le rôle de ces armées dans la lutte contre le terrorisme par exemple affecte les civils et exacerbe les conflits, comme on a pu l’observer au Nigeria. Il persiste une véritable incapacité de certains gouvernements à faire en sorte que les armées obéissent au pouvoir civil. Ces rapports que les armées africaines entretiennent avec le pouvoir politique seront au cœur de plusieurs communications abordant les cas du Burkina Faso, de la République Démocratique du Congo et du Mali. 

A l’heure de Barkhane, quel rôle jour l’Ecole militaire de Paris dans la constitution des armées africaines ?
L’École militaire regroupe un ensemble de centre de formation et de recherche. L’École de guerre est l’un de ces organismes. Il participe à la formation des officiers français et étrangers. Historiquement, ces formations d’officiers étrangers font partie de notre coopération militaire soutenue par les Affaires étrangères. Elles permettent de renforcer nos alliances. Cette politique de formation participe de notre politique d’influence dans certaines régions notamment en Afrique francophone mais elle s’intègre aussi dans notre diplomatie économique. Elle permet de créer une matrice intellectuelle commune et d’élever le niveau d’interopérabilité de troupes qui, à l’heure de Barkhane, sont amenées à opérer ensemble sur des théâtres d’opérations communs. La formation des officiers africains participe également de notre politique francophone. L’École de guerre accueille des officiers non francophones, comme des Ethiopiens, qui bénéficient d’une formation de six mois au français. De plus, cette coopération évolue puisqu’a été ouvert en 2005 au Cameroun une École supérieure internationale de guerre (ESIG). L’IRSEM contribue également à la formation d’officiers africains en accueillant cette année trois officiers élèves internationaux de l’École Spéciale Militaire de Saint Cyr qui doivent réaliser un mémoire de recherche. Pour avoir échangé avec eux, cette coopération et ces échanges sont enrichissants pour chacun d’entre nous. Ils apportent leur expérience de terrain aux chercheurs français qui, pour leur part, les soutiennent dans leur démarche de recherche, l’accès aux sources, etc. Les efforts entrepris sont donc réels mais certains observateurs trouvent qu’ils ne produisent pas encore pleinement leurs effets sur le terrain, voir ces articles par exemple. Le défi reste toujours celui de l’autonomisation de ces armées et l’appropriation des nouvelles capacités comme l’indiquait le colonel Susnjara dans le dernier numéro de la Revue Défense Nationale. Si l’appropriation des forces africaines met du temps, c’est également en vertu d’une crise de croissance. En effet, elles sont nombreuses à évoluer rapidement alors même qu’elles sont confrontées à l’ennemi. Les spécialistes des questions militaires le rappellent : la montée en puissance n’est pas une science exacte.

En marge des armées dites régulières, le fait militaire ne se joue-t-il pas aux marges, autour du phénomène milicien ?
Bien sûr le fait militaire se joue également autour du phénomène milicien. Les acteurs (semi)privés ou informels ont été particulièrement étudiés en France. Je pense notamment aux travaux de Marielle Debos sur le Tchad et le « métier des armes » ou un numéro de Politique africaine en 2012 : « Politique des corps habillés. État, pouvoir et métiers de l’ordre en Afrique ». Mais nous avons constaté que les forces de sécurité étatiques et plus particulièrement les armées restent mal connues, c’est pourquoi nous avons voulu nous concentrer sur cette question lors du colloque.
Le facteur milicien ne sera pas oublié mais étudié en relation avec les forces armées nationales. Nous étudierons les processus de Réforme du secteur de la sécurité (RSS) notamment au Burundi. Tant au Rwanda, qu’au Burundi des enseignements peuvent être tirés sur la façon dont une armée « mono-ethnique » est parvenue, ou essaie, de transformer sa base sociale. Le déploiement de contingents à l’extérieur du territoire a permis par exemple à l’armée burundaise d’intégrer dans la nouvelle armée les miliciens des groupes armés majoritairement hutu et les soldats de l’ancien régime, les ex-Forces Armées Burundaises (FAB) majoritairement tutsi. Cette intégration a longtemps été considérée comme une réussite de l’accord de paix d’Arusha signé en 2000 alors qu’elle était entre 1966 et 1993 le principal centre de pouvoir. L’armée semblait être parvenue à devenir une force apolitique. Mais la crise électorale a mis en lumière ces divisions et l’armée burundaise est au cœur de la crise politique. En Éthiopie, au Rwanda, en Érythrée et en Ouganda, les armées sont issues de mouvements de libération nationale. Les régimes en place ont reconstruit leurs États de façon très centralisée autour d’une figure ou d’un parti. Les structures militaires restent dominées par des vétérans de la guerre de libération issus du Front patriotique pour le Rwanda, du Mouvement de résistance nationale en Ouganda ou par des vétérans tigréens en Éthiopie. Jonathan Fisher qualifie ces officiers de « post-post-libération » « sécurocrates » et mène des études pour comprendre comment et pourquoi les OMP sont un bon moyen de les maintenir éloigné des politiques de sécurité nationale.