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mardi 19 mai 2015

Recension : Le Ben Laden du Sahara. Sur les traces du jihadiste Mokhtar Belmokhtar

L’ouvrage« Le Ben Laden du Sahara » ne se présente pas comme étant la biographie du chef jihadiste, Mokhtar Belmokhtar, mais plutôt sous la forme d’une chronique partant sur les traces de celui qu’on surnomme « l’insaisissable ». L’auteur, mauritanien, est correspondant et collaborateur de plusieurs médias européens. Il a séjourné dans le Nord du Mali en 2012. A la fin de l’ouvrage, il présente le récit de faits qui ont été repris dans le film Timbuktu : l’instauration de la Charia à Timbuktu, et notamment la condamnation de Moussa Ag Mohamed, un éleveur touareg coupable de l’assassinat d’un pêcheur noir, après un incident provoqué par ses vaches. L’auteur, Lemine Ould M. Salem, a été mis en relation avec le porte-parole de Belmoktar au moment où il apportait son aide à la préparation du documentaire du cinéaste Abderrahmane Sissako qui par la suite est devenu un long métrage.

L’ouvrage s’ouvre sur le procès de l’exécution, le 24 décembre 2007, de trois membres de la famille Tollet et d’un ami de la famille, que l’auteur qualifie de « premier attentat jihadiste antifrançais commis dans le Sahel ». Cet assassinat entraînera la délocalisation du rallye Paris-Dakar, et son onde de choc résonne encore aujourd’hui. Le récit concernant le « Borgne » croise l’histoire contemporaine de la zone sahélo-saharienne. Lemine Ould M.Salem relate en effet le parcours de ce jihadiste et, parallèlement, l’émergence du jihadisme dans la région. En suivant la route de Mokhtar Belmokhtar, ce sont  les différents acteurs de la crise actuelle que nous rencontrons. L’auteur revient tout d’abord sur les influences exercées sur le jihadiste et tente de retracer son itinéraire, en commençant par l’Afghanistan, puis l’Algérie et le Mali. Il serait, depuis l’opération Serval, en Libye. Il y aurait pris épouse dans une famille puissante de la même manière qu’il il l’avait fait, dix ans auparavant, car Mokhtar Belmokhtar prépare et sait construire et entretenir des réseaux qui le protègent. Il avait ainsi tiré bénéfice de son mariage avec une adolescente issue d’un clan appartenant à une influente confédération tribale des Brabiches, située entre le Maroc, la Mauritanie, le Mali et l’Algérie. L’auteur évoque ainsi le premier groupe constitué par Mokhtar Belmokhtar - la Brigade du martyre - mais également ses relations avec le GIA puis le GSPC, le rapprochement entre le GSPC et Al-Qaïda, la naissance des groupes AQMI, Ansar Dine et du MNLA. Lemine Ould M.Salem relate aussi les coulisses des négociations des prises d’otages de Robert Fowler, envoyé spécial du secrétaire général de l'Organisation des Nations unies (ONU), Louis Guay et leur chauffeur, Soumana, en décembre 2008, ainsi que l’assassinat de Vincent Delory et d’Antoine de Léocour, en janvier 2011, et la prise d'otages d'In Amenas en janvier 2013.
Mokhtar Belmokhtar n’est pas un jihadiste opportuniste attiré par l’appât du gain. Il tient à réaliser, précise-t-il, un objectif : « étendre la « guerre sainte » dans le Sud algérien, et au-delà, dans l’ensemble du Sahara ». Ainsi, l’auteur relativise les rumeurs décrivant l’émir comme un contrebandier de cigarettes qui lui vaut le surnom de « Mister Marlboro ». Il n’existerait en effet aucune preuve du financement du terrorisme par ces trafics. Certes, il était en contact avec des contrebandiers et  aurait effectivement fait du trafic de carburant ou de produits subventionnés en Algérie, mais aucune preuve n’attesterait d’un quelconque trafic de drogue ou de cigarettes : « cette réputation de trafiquant de cigarettes ou de drogue a en fait été inventée par les services algériens, puis reprise par leurs homologues des pays du Sahel » d’après un haut responsable cité par l’auteur. Un point de vue dont se défend le protagoniste lui-même, dans une interview citée à plusieurs reprises pour la revue en ligne de l’ex-GSPC : Majallat al-Jamaa
Lemine Ould M.Salem connaît indéniablement cette région et nous invite à le suivre dans cette quête impossible du plus célèbre émir du Sahara. Il a pu toutefois rencontrer des proches de Mokhtar Belmokhtar ainsi que des jihadistes condamnés. Ses sources sont très souvent – et pour cause - anonymes : un « haut responsable », un « fin connaisseur des affaires algériennes », une « source sécuritaire sahélienne ». Pour réaliser cette enquête, riche d’informations, il a eu accès à ce qu’on appelle des « sources grises » (procès-verbaux d’auditions, comptes-rendus d’enquêtes). La restitution dans le livre de ces éléments fait du travail de Lemine Ould M.Salem un ouvrage précieux pour une meilleure connaissance de la bande sahélo-saharienne.

lundi 16 septembre 2013

Sahel : soutien aux otages

10 Français sont actuellement détenus en otage dans le monde. Parmi eux, Pierre Legrand, originaire de Couffé, est retenu prisonnier depuis le 16 septembre 2010 au Sahel avec trois compagnons, Marc Féret, Thierry Dol et Daniel Larribe. Les associations Otages du Monde et Soutien aux otages d’Arlit lancent en soutien aux otages et à leurs familles, pour un grand rassemblement ce samedi 21 septembre 2013 à la Cité des Congrès de Nantes à partir de 14 heures


L’auteure de ce blog a l’honneur d’y être invitée et d’apporter par ce biais son soutien aux familles des otages. Cette journée est dédiée aux otages pour ne pas les oublier et  exiger leur retour au plus vite ! Elle se tiendra sous  le parrainage et en présence de Madame Ingrid Betancourt, avec le soutien de Nantes Métropole et de la Ville de Nantes.
En première partie, une table ronde sera animée par Benoît Duquesne (France Télévision), sur le thème : 

« Où va le Sahel ? Enjeux pour les otages ».

Des experts seront présents : Serge Michaïlof, auteur, chercheur associé à l'IRIS, ancien directeur à la Banque Mondiale et à l'AFD, Sonia Le Gouriellec, enseignant chercheur, ainsi que des journalistes anciens otages  Philippe Rochot, Jean-Louis Normandin.

En deuxième partie, des témoignages alterneront avec des prestations d'artistes ayant souhaité exprimer ainsi leur soutien : musiques, chants, poèmes, seront  interprétés par des musiciens, comédiens et chanteurs qui apportent leur soutien à tous les  otages détenus dans le monde. Parmi eux  Jean-Louis Jossic (Tri-Yann), Michel Valmer (comédien),  Mood (chant), Daniel Trutet (violoncelle), Cécile Gravot (harpe), Doremus et Ben Vover (chant), les groupes Moustache Museum et After the bees….

mercredi 23 janvier 2013

Islam africain, un particularisme effectif ?



Alors que de nouveaux spécialistes du Sahel, de l'Afrique de l'Ouest ou encore de la Somalie, apparaissent un peu partout dans les médias ces derniers jours, les discours colportés font souvent état d'un "islam noir". Nous vous proposons ici d'analyser cette question. 



Tout d'abord, gardons-nous de toute analyse qui donnerait une représentation fallacieuse de l’islam dans la région. Bien qu’il soit teinté de tradition animiste et soufie, rappelons comme René Otayek et Benjamin Soares (ouvrage à droite) que cet islam dit « africain » n’a pourtant pas autant de pratiques particulières qu’on le laisse souvent entendre. Le culte des saints, par exemple, est aussi répandu dans le reste du monde musulman. Néanmoins, il est vrai que dans des pays comme le Mali, la pratique religieuse inclus souvent des éléments extérieurs à l’islam (personnages mythiques non musulmans, recours au fétichisme…). Nous émettons donc des réserves face à ce qu’il est habituellement appeler un « islam africain » profondément soufi et perçu comme « notoirement syncrétique, tolérant et assimilationniste »  sur lequel les colonisateurs français et britanniques appuyaient leur pouvoir et que certains invoquent aujourd’hui afin d’endiguer la montée de l’islamisme dans la région. Cette vision manichéenne donne une image erronée d’une situation qui cache une réalité beaucoup plus complexe. Bien sûr, on observe de fortes divergences entre les sunnites, wahhabites et les traditionnalistes mais ces oppositions sont plus souvent des commodités de langage. L’islam dans la région est pluriel. Les solidarités familiales, ethniques… sont souvent plus actives que l’identification religieuse et sont entretenues par les structures sociales, économiques et politiques de la société. 

L’islam, comme le christianisme, ont réinvesti l’espace public profitant du vide politique laissé après des années d’autoritarisme et cette demande de sacré est aussi une demande de sens. Au Mali, Chérif Ousmane Haïdara, chef traditionnel d’un ordre soufi , a rempli les stades mais peu d'autres membres de l’élite musulmane ne bénéficient d’un public aussi important et n’ont réussi à se substituer aux chefs soufis, aux marabouts….


 Ainsi même si les discours des nouveaux intellectuels musulmans ont parfois des résonnances islamistes, cette visibilité est trompeuse par rapport à leur influence réelle dans la population. Au Mali, ils peuvent invoquer la Charia mais ils n’ont pas nécessairement de légitimité populaire et ne sont pas représentatifs. Par ailleurs, il ne faut pas confondre islamisme et jihadisme. De même tous les islamistes ne sont pas des radicaux. 

On lira avec intérêt : 

René Otayek  et Benjamin Soares, « Islam et politique en Afrique » in Islam, Etat et société en Afrique, Paris, Karthala, 2009

Benjamin Soares, « L’islam au Mali à l’ère néolibérale » in Islam, Etat et société en Afrique, Paris, Karthala, 2009

Louis Brenner, « La culture arabo-islamique au Mali », in Le radicalisme islamique au sud du Sahara. Da’wa, arabisation et critique de l’Occident, René Otayek (sous la dir.), Paris, Karthala, 1993

vendredi 18 janvier 2013

Triste prospective, triste Sahel


En 2002 l’Economist Intelligence Unit présentait le Mali comme « un rempart contre l’islam radical en Afrique[1] ».  La même année le gouvernement américain avertissait que ce pays pourrait être une « pépinière potentielle d’intégristes islamiques ». Presque dix ans plus tard le Mali est le nouveau cœur de la guerre globale contre le terrorisme lancée par les Occidentaux en 2001. L’accélération des évènements au Sahel ne peut qu’irriter les chercheurs et observateurs de la zone, peu entendus dans les médias et encore moins par le politique (nous pensons en particulier à notre collègue Abou Djaffar et à la pertinence de ses analyses).

 (Les chercheurs : pour montrer ce qu'ils trouvent, ne doivent-ils pas être écoutés?)

Il y a deux ans lors d’un colloque organisé par le CREC St Cyr nous nous nous interrogions sur l’africanisation d’AQMI (à l'époque, seul groupe jihadiste de la région et dont le commandement était exclusivement arabe), au sens d’appropriation régionale d’une violence armée se réclamant de l’islam, ainsi que sur la réussite de la tentative de « déterritorialisation[2] » du GSPC-AQMI[3]. Nous concluions alors que si AQMI voulait survivre et se développer en Afrique subsaharienne son commandement devrait accepter de partager le pouvoir avec des subsahariens. Nous avions souligné les contraintes méthodologiques : d’une part beaucoup de recherches ont portées sur l’histoire de l’islam mais beaucoup moins sur l’islam pratiqué actuellement en Afrique, sur la formation des identités musulmanes, leur engagement politique... D’autre part, il s’agissait de dépasser une représentation souvent erronée de la zone saharo-sahélienne véhiculée par une historiographie défaillante[4] et qui s’explique par la rupture communément accepté entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne. 

Voici les conclusions que nous tirions, il y a donc deux ans
« La situation économique et sociale régionale fait le lit d’AQMI. D’autant que les communautés marginalisées reçoivent beaucoup moins en termes de programmes de développement alors qu’elles en ont le plus besoin. La décentralisation qui a suivi le changement de régime de 1991 au Mali ne s’est pas mise immédiatement en marche dans le Nord et a intensifié les luttes de pouvoir au sein des communautés[5]. Le retrait des ONG, le marasme économique que constitue la chute des revenus liés au tourisme sont une fenêtre d’opportunité pour le recrutement de jeunes. Les trafics en tout genre sont une perspective lucrative pour des jeunes désœuvrés.
La zone saharo-sahélienne donne à AQMI une profondeur stratégique face aux moyens de répressions algériens mais seul le temps nous permettra de comprendre les ambitions globales de cette jeune organisation. 
On peut poser la question de l’africanisation de cette organisation mais aussi celle de la réponse des autorités locales et donc de l’africanisation de la lutte. En effet, les Etats de la région doivent relever le défi complexe d’un système de crises à trois niveaux [6]: local (lutte clanique ou ethnique), régional (rivalités de puissances), transnational (réseaux criminels, terroristes). Ces différents facteurs se nourrissent mutuellement, se renforcent et se diffusent dans la périphérie. La stabilité régionale est la fois menacée par des guerres classiques dont l’enjeu est le contrôle du territoire ou des ressources mais à ces facteurs « classiques » doivent s’ajouter des facteurs « globaux ».
Au départ chaque gouvernement menait sa propre stratégie pour combattre l’expansion du terrorisme. Si les Etats sont conscients du besoin de coopérer, la coopération reste pour le moment insuffisante. De plus certains conflits comme celui du Sahara Occidental sont des obstacles à la mise en place d’une stratégie commune. L’Algérie et la Libye (du moins jusqu’à l’opération «Aube de l'Odyssée») rejettent tout interventionnisme dans ce qu’ils considèrent comme leur zone d’intérêt stratégique. D’ailleurs si la Mauritanie, le Niger et le Mali suivent l’Algérie dans sa lutte, la Libye, le Tchad, le Burkina Faso, se sont déjà désolidarisés d’une initiative précédente. De plus, l’internationalisation de la menace oblige les Etats de la région, et plus particulièrement l’Algérie, à intérioriser le cadre conceptuel de lutte contre le terrorisme formalisé par les Américains et ce cadre international est plus contraignant[7].
Une aide extérieure doit être apportée mais elle doit rester discrète et passe par de l’appui aux capacités (capacity building type formation, entrainement…) associée à une volonté politique des Etats de la région. Les partenaires occidentaux doivent se garder de toute intervention directe ou de toute publicité intempestive faisant le jeu de la propagande djihadiste. La lutte contre le terrorisme est devenue la rente stratégique post-11 septembre, les injustices qu’elle créée sont, pour reprendre les propos de  Jean-François Bayart, « le meilleur sergent recruteur du radicalisme islamique [8]». Une approche globale[9] est nécessaire pour combattre ce terrorisme. La recherche d’une solution passe inévitablement par une réponse aux problèmes régionaux structuraux. On ne peut pas faire l’économie d’un débat sur le développement économique et social de la région dont le retard est à la base de l’instrumentalisation de certaines populations par AQMI. Si aujourd’hui cette menace est plus sécuritaire que politique, la région est un terreau favorable à un soutien local opportuniste. D’autant, que l’impact très négatif de cette violence terroriste, sur le tourisme ou les investissements, devrait accentuer cette problématique. Toute solution passe également par un renforcement de la légitimité de l’Etat sur ses marges et donc de sa présence notamment par la fourniture de services publics.
Par ailleurs gardons à l’esprit que cet espace a toujours posé des problèmes de gouvernance tant pour l’Etat colonial que pour ses successeurs[10]. La ceinture sahélienne est une zone mouvante d’échanges et de circulation, peuplées de sociétés nomades qui ont toujours entretenus des relations de coopération sur des périodes plus ou moins longues et d’affrontement avec les gouvernements centraux. Toute intervention étrangère doit garder ces données en tête et ne pas commettre les mêmes erreurs qu’en Somalie où les ingérences extérieures ont donné une légitimité aux insurgés. Toute ingérence faire courir le risque que des alliances conjoncturelles se renforcent derrière une cause commune anti-impérialiste. Le djihad devenant la version islamique des luttes anticoloniales[11]. »


[1] Cité par Benjamin Soares, « L’islam au Mali à l’ère néolibérale » in Islam, Etat et société en Afrique, Paris, Karthala, 2009,
[2] Olivier Roy, « Islamisme et nationalisme » in « Dossier : Islam et démocratie », Pouvoirs, n°104, janvier 2003, p.45-53
[3] Cette terminologie « GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat)-AQMI » permet de mettre en évidence l’évolution en cours d’un djihadisme national vers un djihadisme globale.
[4] Lire E. Ann Mcdougall, « Constructing Emptiness : Islam, Violence and Terror in the Historical Making of the Sahara », in Journal of Contemporary African Studies, n°25, p.17-30 et Triaud Jean-Louis, « L'islam au sud du Sahara. Une saison orientaliste en Afrique occidentale » Constitution d'un champ scientifique, héritages et transmissions, in Cahiers d'études africaines,  2010/2-3-4 N° 198-199-200,  p. 907-950.
[5] Karin Nijenhuis, « Does decentralization serve everyone ? The struggle for power in a malian village », in The European Journal of Development Research, 2003,  Vol.15, n°2, p.67-92
[6] Charles Toussaint, « Vers un partenariat euro-sahélien de sécurité et de développement ? », in Annuaire français des relations internationales, 2010,  p.761
[7] Cherif Dris, « L’Algérie et le Sahel : de la fin de l’isolement à la régionalisation contraignante », in Maghreb Machrek, Choiseul, n°200, été 2009, p.57
[8] Jean-François Bayart, « Le piège de la lutte antiterroriste en Afrique de l’Ouest », in Sociétés politiques comparées, n°26, août 2010, P.4
[9] Sur ce concept se référer à : Cécile Wendling,  « L’approche globale dans la gestion civilo-militaire  des crises. Analyse critique et prospective du concept », in Cahier de l’IRSEM n°6, 2010,  134p.
[10] Entre 1957 et 1961, le colonisateur tenta de créer une Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) afin d’administrer spécifiquement cet espace.
[11] Jean-Pierre Filiu, « The local and global Jihad of al-Qa’ida in the Islamic Maghrib », in The Middle East Journal, Vol.63n n°2, printemps 2009, p.214