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samedi 17 novembre 2012

Imbroglio juridique en Mauritanie : l’Etat sans tête (MAJ)

Le président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, a été blessé le 13 octobre, par balle et transféré vers Paris. Sans information supplémentaire sur son état de santé, toutes les rumeurs courent dans le pays. Le Président aurait été touché au bras et/ou à l'abdomen. Sa venue à Paris ne serait pas un signe inquiétant, il devrait juste y obtenir des "soins complémentaires" après avoir été opéré avec "succès" dans son pays. Rapidement, le président assurait que son état de santé était bon et précisait même les circonstances de l’accident : "Je veux les rassurer sur ma santé après cet incident commis par erreur par une unité de l'armée sur une piste non goudronnée dans les environs de la localité de Tweila (40 km de Nouakchott)", d’où il revenait d'une excursion dans le nord du pays. Le véhicule ne se serait pas arrêté à un barrage mobile de l'armée, et la voiture présidentielle, non identifiée, aurait été prise en chasse et mitraillée de 14 balles après n’avoir pas prêté attention aux tirs de sommation (témoignage à lire ICI)




L’hypothèse de l’accident est plausible bien qu’elle fasse débat (ICI et ICI) et puisse paraitre un peu fantaisiste. Ce qui nous intéresse ici est le vide juridique que cet évènement révèle. En effet, le président s’est rapidement exprimé et montré publiquement afin de prouver qu’il n’était pas mort, n’avait pas abdiqué et qu’il n’y avait donc pas de vacance du pouvoir. Le ministre des Affaires étrangères Hamadi Ould Hamadi, est intervenu pour assurer que le président : "exerce la plénitude de ses pouvoirs (…) L'Etat fonctionne, il n'y a aucun problème particulier qui nécessite des dispositions particulières".

Pourtant la rumeur enfle. L’absence du Président commence à être longue et l’opposition n’est plus la seule à gronder. Le Président est-il en état de convalescence ou peut-on poser la question de la vacance formelle du pouvoir ?

Appuyons nous sur la norme fondamentale pour débuter : la Constitution mauritanienne. Celle-ci dispose : 
« Article 40 : En cas de vacance ou d’empêchement déclaré définitif par le Conseil constitutionnel, le Président du Sénat assure l’intérim du Président de la République pour l’expédition des affaires courantes. Le Premier ministre et les membres du Gouvernement, considérés comme démissionnaires, assurent l’expédition des affaires courantes. Le Président intérimaire ne peut mettre fin à leurs fonctions. Il ne peut saisir le peuple par voie de référendum, ni dissoudre l’Assemblée Nationale. L’élection du nouveau Président de la République a lieu, sauf cas de force majeure, constaté par le Conseil constitutionnel, dans les trois (3) mois à partir de la constatation de la vacance ou de l’empêchement définitif. Pendant la période d’intérim, aucune modification constitutionnelle ne peut intervenir ni par voie référendaire, ni par voie parlementaire.
Article 41 : Le Conseil constitutionnel, pour constater la vacance ou l’empêchement définitif, est saisi soit par :• Le Président de la République ; • Le Président de l’Assemblée Nationale ; • Le Premier Ministre. »

Donc la vacance ou l’empêchement définitif sont des faits juridiques même s’ils ne sont pas définis précisément dans le texte suprême. C’est au Conseil constitutionnel de déclarer la vacance (ça n’est pas le cas ici car le Président n’est pas mort) ou l’empêchement définitif (distinct de l’empêchement provisoire qui serait, par exemple, une maladie plus ou moins prolongée mais non handicapante pour l’exercice de la fonction présidentielle). Si le Conseil déclare l’empêchement il permet ainsi au Président du Sénat d’assurer l’intérim.
Or pour cela le Conseil constitutionnel doit être saisi (il ne peut s’autosaisir), ce qui n’est pas le cas pour l’instant. Cette saisine revient soit au Président (ce qui reviendrait à constater sa démission, ça ne devrait pas être le cas ici), soit au Président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir (photo), ou au Premier ministre, Moulaye Ould Mohamed Laghdaf or ces derniers ne peuvent saisir le Conseil constitutionnel s’ils n’ont pas d’information sur la santé du Président. La charge de la preuve revient donc au gouvernement ou au Président de l’Assemblée nationale. Et ce dernier a « reconnu n’avoir jamais reçu le moindre bulletin de santé du Chef de l’Etat en précisant n’avoir aucune compétence médicale pour se prononcer sur son état uniquement à partir d’une communication téléphonique de 7 mn avec un interlocuteur qu’il dit être lucide mais parlant d’une " voix faible" (ICI). 

Le seul moyen pour les pousser à saisir le Conseil constitutionnel serait que l’état de santé du Président soit déclarée grave et l’empêcherait d’exercer son pouvoir. Sans bulletin de santé publié, ils ne peuvent exercer leur charge constitutionnelle. Il faudrait que le bulletin de santé du Président soit publié (ce que demande l’opposition). Or la publication du bulletin de santé n’est pas une obligation. C’est un vide juridique tant en Mauritanie qu’en France et dans d’autres pays.  De de Gaulle à Sarkozy tous les présidents français  ont  promis de publier leur bulletin de santé mais ces bulletins étaient faux ou omettaient des informations (lire cet article ICI). Et les Présidents comme les autres citoyens ont le droit au secret médical malgré l’exigence de transparence.
Allons plus loin, émettons l’hypothèse que la preuve de la santé vacillante du Président soit établie. Le Premier ministre et le Président de l’Assemblée nationale ne peuvent même pas, en droit pur, saisir le Conseil constitutionnel. En effet,  le cercle vicieux se poursuit. L’Assemblée nationale est arrivée au terme de son mandat mais n’a pas été renouvelée donc le Président de l’Assemblée nationale est sans prérogative constitutionnelle. De plus, si le Président du Sénat devait assurer l’intérim, il ne le pourrait pas car il n’a pas été renouvelé selon la règle du renouvellement par tiers tous les deux ans. Pour sa part, le Premier ministre n’a pas de majorité parlementaire sur laquelle s’appuyer à l’Assemblée puisque ses membres n’ont pas été renouvelés à la fin du mandat parlementaire. Last but not least, le Conseil constitutionnel ne pourrait même pas se prononcer car il est incomplet. Trois de ses membres n’ayant pas encore porté serment.
Ce vide juridique laisse le pays en état de paralysie institutionnelle. Nous l’avons vu, la Constitution ne permet pas de trouver une solution à ce blocage. Une situation d’autant plus grave vu le contexte régional actuel et les préparatifs d’une intervention militaire chez le voisin malien. Selon un journal local : «  La Constitution ne prévoyant pas de vacance temporaire du pouvoir, il y a de fortes chances que le Haut Conseil de Sécurité (HCS) renaisse de ses cendres, pour tirer les ficelles jusqu’au retour du président. » 
Pour le moment quelques généraux tiennent le pays. Ce vide est alarmant dans un pays où l’alternance démocratique a toujours posé problème. L’histoire mauritanienne est marquée par plusieurs coups d’Etat militaires (après la chute de Ould Taya). Le Président actuel est d’ailleurs un putschiste (2008) converti à la démocratie bien que son élection ait pu passer pour une mascarade électorale destinée à donner un masque de légitimité au coup d’Etat. Selon ses proches, son retour n’est plus qu’une question de semaines mais les doutes sont désormais permis et tout le monde attend fébrilement la fête nationale de l’indépendance, le 28 novembre, pour voir le Président.

Dernières nouvelles : 

Le président Ould Abdel Aziz de retour en Mauritanie ce 24 novembre 
-  Mauritanie: le président Ould Abdel Aziz reçu par François Hollande à l'Elysée