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jeudi 13 juin 2013

Café stratégique Cultures et géopolitique au Sahara

Ce soir, pour son 26ème café stratégique l'Alliance géostratégique recevra Arnaud Contreras autour de la thématique : Cultures et géopolitique au Sahara.



Arnaud Contreras est documentariste, photographe et producteur à Radio France. Il est l'initiateur du projet Sahara fragile sur le patrimoine saharien culturel, repris en partie par l'UNESCO (voir le programme ICI). 

Ses documentaires et reportages radio pour France Culture, France inter et RFI : ICI

Son blog : ICI

Venez nombreux discuter avec notre intervenant autour d'un verre au café Concorde (239 boulevard Saint Germain, métro Assemblée Nationale de 19 à 21h). 


vendredi 18 janvier 2013

Triste prospective, triste Sahel


En 2002 l’Economist Intelligence Unit présentait le Mali comme « un rempart contre l’islam radical en Afrique[1] ».  La même année le gouvernement américain avertissait que ce pays pourrait être une « pépinière potentielle d’intégristes islamiques ». Presque dix ans plus tard le Mali est le nouveau cœur de la guerre globale contre le terrorisme lancée par les Occidentaux en 2001. L’accélération des évènements au Sahel ne peut qu’irriter les chercheurs et observateurs de la zone, peu entendus dans les médias et encore moins par le politique (nous pensons en particulier à notre collègue Abou Djaffar et à la pertinence de ses analyses).

 (Les chercheurs : pour montrer ce qu'ils trouvent, ne doivent-ils pas être écoutés?)

Il y a deux ans lors d’un colloque organisé par le CREC St Cyr nous nous nous interrogions sur l’africanisation d’AQMI (à l'époque, seul groupe jihadiste de la région et dont le commandement était exclusivement arabe), au sens d’appropriation régionale d’une violence armée se réclamant de l’islam, ainsi que sur la réussite de la tentative de « déterritorialisation[2] » du GSPC-AQMI[3]. Nous concluions alors que si AQMI voulait survivre et se développer en Afrique subsaharienne son commandement devrait accepter de partager le pouvoir avec des subsahariens. Nous avions souligné les contraintes méthodologiques : d’une part beaucoup de recherches ont portées sur l’histoire de l’islam mais beaucoup moins sur l’islam pratiqué actuellement en Afrique, sur la formation des identités musulmanes, leur engagement politique... D’autre part, il s’agissait de dépasser une représentation souvent erronée de la zone saharo-sahélienne véhiculée par une historiographie défaillante[4] et qui s’explique par la rupture communément accepté entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne. 

Voici les conclusions que nous tirions, il y a donc deux ans
« La situation économique et sociale régionale fait le lit d’AQMI. D’autant que les communautés marginalisées reçoivent beaucoup moins en termes de programmes de développement alors qu’elles en ont le plus besoin. La décentralisation qui a suivi le changement de régime de 1991 au Mali ne s’est pas mise immédiatement en marche dans le Nord et a intensifié les luttes de pouvoir au sein des communautés[5]. Le retrait des ONG, le marasme économique que constitue la chute des revenus liés au tourisme sont une fenêtre d’opportunité pour le recrutement de jeunes. Les trafics en tout genre sont une perspective lucrative pour des jeunes désœuvrés.
La zone saharo-sahélienne donne à AQMI une profondeur stratégique face aux moyens de répressions algériens mais seul le temps nous permettra de comprendre les ambitions globales de cette jeune organisation. 
On peut poser la question de l’africanisation de cette organisation mais aussi celle de la réponse des autorités locales et donc de l’africanisation de la lutte. En effet, les Etats de la région doivent relever le défi complexe d’un système de crises à trois niveaux [6]: local (lutte clanique ou ethnique), régional (rivalités de puissances), transnational (réseaux criminels, terroristes). Ces différents facteurs se nourrissent mutuellement, se renforcent et se diffusent dans la périphérie. La stabilité régionale est la fois menacée par des guerres classiques dont l’enjeu est le contrôle du territoire ou des ressources mais à ces facteurs « classiques » doivent s’ajouter des facteurs « globaux ».
Au départ chaque gouvernement menait sa propre stratégie pour combattre l’expansion du terrorisme. Si les Etats sont conscients du besoin de coopérer, la coopération reste pour le moment insuffisante. De plus certains conflits comme celui du Sahara Occidental sont des obstacles à la mise en place d’une stratégie commune. L’Algérie et la Libye (du moins jusqu’à l’opération «Aube de l'Odyssée») rejettent tout interventionnisme dans ce qu’ils considèrent comme leur zone d’intérêt stratégique. D’ailleurs si la Mauritanie, le Niger et le Mali suivent l’Algérie dans sa lutte, la Libye, le Tchad, le Burkina Faso, se sont déjà désolidarisés d’une initiative précédente. De plus, l’internationalisation de la menace oblige les Etats de la région, et plus particulièrement l’Algérie, à intérioriser le cadre conceptuel de lutte contre le terrorisme formalisé par les Américains et ce cadre international est plus contraignant[7].
Une aide extérieure doit être apportée mais elle doit rester discrète et passe par de l’appui aux capacités (capacity building type formation, entrainement…) associée à une volonté politique des Etats de la région. Les partenaires occidentaux doivent se garder de toute intervention directe ou de toute publicité intempestive faisant le jeu de la propagande djihadiste. La lutte contre le terrorisme est devenue la rente stratégique post-11 septembre, les injustices qu’elle créée sont, pour reprendre les propos de  Jean-François Bayart, « le meilleur sergent recruteur du radicalisme islamique [8]». Une approche globale[9] est nécessaire pour combattre ce terrorisme. La recherche d’une solution passe inévitablement par une réponse aux problèmes régionaux structuraux. On ne peut pas faire l’économie d’un débat sur le développement économique et social de la région dont le retard est à la base de l’instrumentalisation de certaines populations par AQMI. Si aujourd’hui cette menace est plus sécuritaire que politique, la région est un terreau favorable à un soutien local opportuniste. D’autant, que l’impact très négatif de cette violence terroriste, sur le tourisme ou les investissements, devrait accentuer cette problématique. Toute solution passe également par un renforcement de la légitimité de l’Etat sur ses marges et donc de sa présence notamment par la fourniture de services publics.
Par ailleurs gardons à l’esprit que cet espace a toujours posé des problèmes de gouvernance tant pour l’Etat colonial que pour ses successeurs[10]. La ceinture sahélienne est une zone mouvante d’échanges et de circulation, peuplées de sociétés nomades qui ont toujours entretenus des relations de coopération sur des périodes plus ou moins longues et d’affrontement avec les gouvernements centraux. Toute intervention étrangère doit garder ces données en tête et ne pas commettre les mêmes erreurs qu’en Somalie où les ingérences extérieures ont donné une légitimité aux insurgés. Toute ingérence faire courir le risque que des alliances conjoncturelles se renforcent derrière une cause commune anti-impérialiste. Le djihad devenant la version islamique des luttes anticoloniales[11]. »


[1] Cité par Benjamin Soares, « L’islam au Mali à l’ère néolibérale » in Islam, Etat et société en Afrique, Paris, Karthala, 2009,
[2] Olivier Roy, « Islamisme et nationalisme » in « Dossier : Islam et démocratie », Pouvoirs, n°104, janvier 2003, p.45-53
[3] Cette terminologie « GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat)-AQMI » permet de mettre en évidence l’évolution en cours d’un djihadisme national vers un djihadisme globale.
[4] Lire E. Ann Mcdougall, « Constructing Emptiness : Islam, Violence and Terror in the Historical Making of the Sahara », in Journal of Contemporary African Studies, n°25, p.17-30 et Triaud Jean-Louis, « L'islam au sud du Sahara. Une saison orientaliste en Afrique occidentale » Constitution d'un champ scientifique, héritages et transmissions, in Cahiers d'études africaines,  2010/2-3-4 N° 198-199-200,  p. 907-950.
[5] Karin Nijenhuis, « Does decentralization serve everyone ? The struggle for power in a malian village », in The European Journal of Development Research, 2003,  Vol.15, n°2, p.67-92
[6] Charles Toussaint, « Vers un partenariat euro-sahélien de sécurité et de développement ? », in Annuaire français des relations internationales, 2010,  p.761
[7] Cherif Dris, « L’Algérie et le Sahel : de la fin de l’isolement à la régionalisation contraignante », in Maghreb Machrek, Choiseul, n°200, été 2009, p.57
[8] Jean-François Bayart, « Le piège de la lutte antiterroriste en Afrique de l’Ouest », in Sociétés politiques comparées, n°26, août 2010, P.4
[9] Sur ce concept se référer à : Cécile Wendling,  « L’approche globale dans la gestion civilo-militaire  des crises. Analyse critique et prospective du concept », in Cahier de l’IRSEM n°6, 2010,  134p.
[10] Entre 1957 et 1961, le colonisateur tenta de créer une Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) afin d’administrer spécifiquement cet espace.
[11] Jean-Pierre Filiu, « The local and global Jihad of al-Qa’ida in the Islamic Maghrib », in The Middle East Journal, Vol.63n n°2, printemps 2009, p.214

mercredi 16 janvier 2013

L'armée malienne en reconquête, le risque de massacres


Dernièrement le chercheur Pierre Boilley avertissait :


 « Il ne faut pas laisser la main à la seule armée malienne. Le risque est grand que les autorités de Bamako, soutenues par une armée putschiste, ne profitent de la présence des militaires français au Mali pour mener de larges représailles contre les Touareg à l'abri du paravent antiterroriste. On peut s'inquiéter quand on entend le président malien par intérim, Dioncounda Traoré, appeler à la reconquête. Nous savons déjà que les civils touareg ne sont pas épargnés par les soldats maliens.
Les Français en ont conscience car des contacts existent avec le MNLA pour ne pas confondre ses forces avec celles des islamistes. La stabilité du Mali ne peut se faire sans régler la question touareg et le problème de la marginalisation du nord du pays qui ont nourri le terreau djihadiste." (Source: ICI)
Depuis le commencement  des opérations au Mali, plusieurs témoignages font aussi déjà état de vengeances et de punitions contre les populations non noirs : ICI et ICI


 Ce problème est ethnico racial et peut s’expliquer par une profonde division entre « Afrique noire » et « Afrique blanche » qui marque les mémoires collectives locales et caractérise les Etats situés entre les latitudes 10°Nord et 20° Nord. Le Sahara est ainsi un pont entre le bled es sudan (« pays des Noirs ») et le bled es beidan (« pays des Blancs »). Beaucoup de conflits trouvent leur origine dans la mémoire de la traite (islamo arabe puis européenne), souvent facilitée par des populations locales. A cette opposition ; il faudrait ajouter celle entre les populations sédentaires méridionales et les nomades (Toubou, Touaregs, Maures) se considérant, par opposition, comme Blancs. Pour Medhi Taj : « cette fracture raciale Nord-Sud, ancrée dans l’histoire, est à la base d’une profonde conscience ethnico-tribale structurant les sociétés du sahel africain et brouillant la pertinence du concept occidental d’Etat Nation.[1]»



[1] Medhi Taj, « Les clefs d’une analyse géopolitique du Sahel africain »

jeudi 14 juin 2012

Quels pompiers pour éteindre le feu malien ?

Face à l’interconnexion des crises au Mali, une intervention militaire se dessine et l’Union Africaine serait préférée à la Communauté Economique Des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Pourtant, malgré ses récents succès, l’exemple de la mission de l’Union Africaine en Somalie reste un modèle discutable.

Le 17 janvier dernier, un coup d’Etat atypique a porté au pouvoir des militaires reprochant  au  président malien sa faiblesse dans le traitement de la rébellion au Nord. Sans expérience politique, sans soutien international, la junte ne parvient alors pas à stopper l’avancée de la rébellion. Alors que la CEDEAO vient de prolonger la transition politique, les combats se poursuivent dans le Nord du pays. L’afflux de réfugiés et la possible propagation de la rébellion touarègue dans les pays voisins inquiètent les gouvernements de la région et les puissances extérieures qui craignent de voir AQMI et ses alliés tirer bénéfice de ce chaos. Le scénario d’une intervention militaire se dessine de plus en plus mais elle ne pourra se faire sans un soutien extérieur.

Quel mandat pour quelle mission ?

Les puissances traditionnelles, France et Etats-Unis en tête, ne soutiendront qu’une mission sous mandat des Nations unies, ce qui exclut une intervention non mandatée par le Conseil de sécurité comme ce fut le cas des interventions de l’OTAN dans les Balkans à la fin des années 1990. Une intervention internationale de l’UE ou de l’OTAN sous mandat de l’ONU (comme en Libye l’année dernière) a également été écartée.
Jeudi dernier, le Groupe de soutien et de suivi sur la situation au Mali s’est prononcé pour une saisine par l’Union Africaine (UA) du Conseil de Sécurité des Nations unies en vue de la création d’une force d’intervention. En effet, le Conseil de sécurité est le seul à même de décider des mesures coercitives nécessaires s’il estime qu’il existe une menace contre la paix et la sécurité internationale. Cette initiative avait déjà été lancée fin mai par Boni Yayi, président en exercice de l’UA et président du Bénin. Le mandat d’une telle force reste néanmoins flou : restructurer l’armée malienne, restaurer l’ordre constitutionnel, rétablir la souveraineté étatique au Nord du pays, combattre les groupes terroristes, criminels ….
Une intervention conjointe entre l’ONU et l’Union Africaine comme la MINUAD au Darfour a peu de chance d’aboutir. En effet, selon le rapport Brahimi, l’ONU n’est pas disposée à déployer une mission militaire lors d’une situation similaire à celle que traverse le Mali. Deux autres scénarii sont rendus possibles eu égard au régionalisme à deux niveaux qui constitue la singularité du continent africain : une intervention sous régionale (CEDEAO) ou régionale (UA). Dans les deux cas, c’est au Conseil de sécurité de l’ONU de faire appel, si besoin, aux organismes régionaux comme « bras armé ».

La CEDEAO éclipsée par l’Union Africaine ?

La réaction rapide de la CEDEAO au coup d’Etat au Mali et en Guinée Bissau a été décisive (ICI). L’organisation régionale souhaite également que Bamako retrouve ses droits dans le Nord du pays. Une intervention régionale parait donc légitime (sous condition de l’accord des autorités maliennes). Les dirigeants de la région approuveraient cette intervention militaire mais Florent de Saint–Victor, dans une tribune publiée sur le site Atlantico, a montré les difficultés d’un déploiement éventuel de la force de la CEDEAO. Cette intervention paraît d’autant plus improbable que le mandat de la mission reste à définir, condition fondamentale pour obtenir les soutiens financiers et logistiques des Etats-Unis ou de la France. Par ailleurs, pour le président de l’UA, la force d’intervention doit réunir tous les pays de la région au-delà  de la CEDEAO. Or l’Algérie, la Mauritanie et même la Libye ne sont pas membres de l’organisation mais devront pourtant être associés aux décisions. Une position que semble partager les Etats-Unis et la France qui s’échine chaque jour à convaincre le géant algérien d’être le régulateur de cette crise.

La CEDEAO poursuit son travail de médiation même si son action dans la crise parait dorénavant peu probante. La pression exercée a en tout cas forcé la junte, menée par le capitaine Amadou Sanogo, à faire quelques concessions et à entamer une transition politique. Pour Gilles Yabi, de l’International Crisis Group, « le mandat d’une éventuelle mission militaire de la CEDEAO ne serait pas nécessairement un mandat d’intervention offensive contre des militaires maliens ou contre des groupes armés au Mali. Cela pourrait être un mandat de soutien à la remise sur pied d’une structure de commandement claire et à la protection des institutions civiles. » Par ailleurs, gardons à l’esprit que dans trois crises (Libéria, Sierre Leone et Côte d’Ivoire) la CEDEAO est intervenue en amont des forces de l’ONU permettant ainsi une réaction rapide.  Le problème du financement s’est néanmoins posé à chaque intervention, accélérant le déploiement d’une mission de l’ONU. Au Mali, l’intervention se rapprocherait du cas somalien or l’exemple de l’AMISOM explique les réticences de l’ONU à prendre le relais dans un tel contexte.

L’AMISOM, un modèle pour le déploiement d’une intervention de l’Union Africaine ?

Une intervention militaire africaine sous mandat de l’ONU se dessine suivant le modèle  de l’AMISOM (Mission de l’Union Africaine en Somalie). Une référence surprenante quand on connait les difficultés rencontrées par cette mission. De contre-exemple depuis 5 ans, l’AMISOM, après les victoires obtenues ces dernier mois contre le Shebab, serait donc devenues un modèle à suivre…
Créée en 2007 pour combler le manque de réaction des acteurs internationaux et prendre le relai des troupes éthiopiennes présentes sur place, cette mission autorisée par le Conseil de Sécurité et agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte ne devait pas excéder une période de six mois et l'ONU devait rapidement prendre le relais. Or, l’AMISOM est toujours déployée et le relais onusien se fait toujours attendre. Par ailleurs se pose la question du financement d’une opération de l’UA au Mali alors même que l’opération en Somalie vient d’être renforcée. L'extension du mandat de l’AMISOM, décidée en début d’année, accroit le coût de la mission qui passerait ainsi de 310 millions de dollars à 510 millions. Certes, l’UE finance largement la mission mais la résolution 2036 de l’ONU appel de nouveaux contributeurs. L’Union Africaine et ses partenaires peuvent–ils se permettre une nouvelle opération à l’autre extrémité du continent dans une période de crise économique financière de surcroit ?
La définition d’un mandat clair et précis reste primordiale et l’AMISOM est loin d’être un exemple. En Somalie, la mission de l’Union Africaine a en effet manqué aux principes fondamentaux de neutralité et d’impartialité. L’opération est intervenue  alors qu’il n’y avait aucune paix à maintenir. C’est un théâtre de guerre où l’accord des parties était loin d’être acquis et dans lequel les mandats et les ressources étaient inadéquats et la force inadaptée à la lutte anti-terroriste. Pour Jean-Nicolas Bach et Romain Esmenjaud, l’AMISOM a « de nombreuses caractéristiques qui la rapprochent d’une intervention militaire traditionnelle (soutien à une partie au conflit, recours régulier à la force, absence de commandement multinational, intéressement des contributeurs dont la participation à l’opération s’inscrit dans une stratégie de promotion d’intérêts nationaux…) » .

Aujourd’hui, l’espace sahélien semble durablement déstabilisé. A l’heure du retrait d’Afghanistan, la région devient-elle un nouveau front antiterroriste ? Il y a surement des leçons à tirer de l’interventionnisme en Somalie mais certainement pas en faire un exemple. Jean-François Bayart et Roland Marchal, deux chercheurs français, ne cessent d’appeler à la prudence lorsqu’on évoque des interventions militaires face à Al Qaïda ou ses alliés dans la bande sahélienne. Ils constatent un rétrécissement de la sphère politique au profit du contre-terrorisme et mettent en garde contre la radicalisation de certaines organisations combattantes. Le piège serait donc de voir la CEDEAO ou l’UA se transformer en « pompier-pyromane »…

Cette article a bénéficié d'une publication parallèle sur le site Atlantico.

jeudi 19 avril 2012

Mali. Les conséquences régionales de l'échec du coup d'État

André Bourgeot (bio) était, le 13 avril, l'invité de Thierry Garcin dans les Enjeux internationaux. Réécoutez l'émission ICI


Résumé de l’émission : "La régionalisation des dossiers a plusieurs sources, traditionnelles ou récentes.
Le nomadisme des Touareg ; les trafics divers ; les routes des caravanes ; les prises d’otages occidentaux (Niger, 2010...) ou de pays environnants (consul d’Algérie à Gao, le 5 avril) ; les attentats (à Tamanrasset le 3 mars, contre une caserne de gendarmerie) ; les groupes islamistes (AQMI, Ançar Eddine, Mujuao affilié à AQMI) ; les projets d’imposition de la charia ; la lutte anti-terroriste ; la création d’un Centre d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC), réunissant depuis 2010 l’Algérie, le Mali, la Mauritanie, le Niger (logistique américaine et française) ; l’attaque de l’OTAN contre la Libye et la guerre civile de 2011.

Depuis le coup d’État du 22 mars, dont les auteurs (arroseurs arrosés) ont renforcé les Touareg et les islamistes qu’ils croyaient pouvoir combattre, d’autres facteurs régionaux sont apparus : condamnation rapide de la CEDEAO, organisation économique de l’Ouest africain ; efficacité des sanctions (certes, contre un pays enclavé et pauvre) ; médiations ivoirienne et burkinabé ; implication diplomatique de l’Algérie, qui n’acceptera jamais un État touareg ; réfugiés maliens en Algérie ; divisions internes et chez les Touareg et chez les islamistes."

Sur les sanctions, on lira avec intérêt :  Olivier Schmitt "Thinking strategically about sanctions"ICI

De André Bourgeot, pour aller plus loin  :

- analyse du coup d'Etat à Bamako ICI
- Coups d'état au Mali : Azawad, année zéro ?(avec également Thomas Hofnung, grand reporter à Libération, spécialiste de l'Afrique de l'Ouest, Marc-Antoine Perouse de Montclos, politologue et enseignant à l'IRD, spécialiste des conflits armés en Afrique de l'Ouest et Atmane Tazaghar, journaliste pour l'Associated Press TV, auteur de AQMI : Enquête sur les héritiers de Ben Laden au Maghreb et en Europe, J. Picollec, 2011) ICI
- Désordre, pouvoirs et recompositions territoriales au Sahara (Hérodote) ICI
- Sahara de tous les enjeux ICI
-  Sahara : espace géostratégique et enjeux politiques (Niger) ICI

Ouvrages :
Bourgeot André [1992], « L’enjeu politique de l’histoire : vision idéologique des événements touaregs (1990-1992) », Politique africaine, 48, décembre : 129-135.
Bourgeot André [1994], « Révoltes et rébellions en pays touareg », Afrique contemporaine, 170, 2e trimestre : 3-19.
Bourgeot André [1995], Les Sociétés touarègues : nomadisme, identité., résistances, Paris, Karthala, 542 p.
Bourgeot André (dir.) [1999], Horizons nomades en Afrique sahélienne : sociétés, développement et démocratie, Paris, Karthala, 491 p.

samedi 31 mars 2012

Mali : Faiblesse de l’Etat et périphérie marginalisée

Au regard des évènements actuels au Mali, nous vous proposons ici les grandes lignes d'une communication présentée en juin 2011 dans le cadre d'un colloque sur les organisations combattantes (ICI).



L'Afrique de l'Ouest et plus particulièrement la région sahélienne est soumise à de nombreux soubresauts politiques avec l’incursion régulière de l’armée dans le champ politique : coups d’Etat en Mauritanie (août 2008) et au Niger (février 2010), mutinerie au Burkina Faso (avril 2011), récent coup d'Etat au Mali.

L’activité d’AQMI profite de cette faiblesse des Etats régionaux souvent défaillants à leurs périphéries.
D’abord pour des raisons géographiques : la configuration du peuplement marginalise aux périphéries les populations opposées au pouvoir central. Comme nous l'expliquions dans le précédent billet (ICI) une trêve avec les rébellions touarègues, par exemple, aux confins du Mali, rend le gouvernement réticent à engager son armée contre AQMI dans une région où elle a retiré ses forces en 2006.


Par ailleurs, ces Etats n’ont pas les moyens d’assurer le maillage territorial de leur pays. De fait leur incapacité à contrôler leur territoire a permis l’implantation des cellules d’AQMI et aujourd’hui ils n’ont pas non plus les moyens de s’engager dans une lutte contre AQMI. En 2010, le budget du Mali était le plus important du Sahel mais bien loin de celui consacré par le gouvernement algérien

 Tableau 1 : Forces des pays du Sahel



Budgets Défense                             (millions de $) en 2009
Forces
Algérie
 5280 (5670 en 2010)
147 000  (Terre : 127000; Air : 14000; Mer : 6000)  Paramilitaires : 187200
Mali
170 (208 en 2010)
7800 (Terre : 7350; Air : 400; Mer : 50) Paramilitaires : 4800
Mauritanie
115
15870 (Terre : 15000, Air : 250; Mer : 620) Paramilitaires : 5000
Niger
64
5300 (Terre : 5200, Air : 100) Paramilitaires : 5400


On observe une dynamique inverse à celle qui a motivé les Etats européens entre le XVIème et XIXème siècle. Ces derniers surinvestissaient dans leurs marges afin de les intégrer. Dans les pays du Sahel cet investissement semble peu rentable aux gouvernements qui soupçonnent par ailleurs les populations nomades vivant sur les territoires de plusieurs Etats d’être plus loyales aux autorités traditionnelles qu’aux autorités étatiques. Pourtant, jusqu’à présent, il semble qu’AQMI n’est pas de lien notable avec les insurrections locales d’ailleurs certaines se sont retournées contre l’organisation en 2004 au Tchad et en 2006 au Mali. Lors du colloque nous évoquions une hypothèse qui malheureusement se vérifie aujourd'hui : un échec du règlement de la question touarègue aura un impact négatif sur la lutte contre AQMI, les deux processus sont intrinsèquement liés...
La recherche d’une solution passe inévitablement par une réponse aux problèmes régionaux structuraux. On ne peut pas faire l’économie d’un débat sur le développement économique et social de la région dont le retard est à la base de l’instrumentalisation de certaines populations par AQMI. Si aujourd’hui cette menace est plus sécuritaire que politique, la région est un terreau favorable à un soutien local opportuniste. D’autant, que l’impact très négatif de cette violence terroriste, sur le tourisme ou les investissements, devrait accentuer cette problématique. Toute solution passe également par un renforcement de la légitimité de l’Etat sur ses marges et donc de sa présence notamment par la fourniture de services publics.
Par ailleurs gardons à l’esprit que cet espace a toujours posé des problèmes de gouvernance tant pour l’Etat colonial que pour ses successeurs. La ceinture sahélienne est une zone mouvante d’échanges et de circulation, peuplées de sociétés nomades qui ont toujours entretenus des relations de coopération sur des périodes plus ou moins longues et d’affrontement avec les gouvernements centraux. Toute intervention étrangère (motivée tant par la lutte contre AQMI que la préservation d'une influence dans une région au sol particulièrement riche) doit garder ces données en tête et ne pas commettre les mêmes erreurs qu’en Somalie où les ingérences extérieures ont donné une légitimité aux insurgés. Toute ingérence faire courir le risque que des alliances conjoncturelles se renforcent derrière une cause commune anti-impérialiste. Le djihad devenant la version islamique des luttes anticoloniales comme le rappelle Jean-François Bayart ICI