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mardi 23 novembre 2010

AQMI dans le Sahel, une stratégie de survie (2/3)

Revenons à notre trilogie débutée ICI et essayons de comprendre pourquoi AQMI est descendu plus au Sud de son terrain d’action traditionnel ?
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Trois types d’acteurs principaux organisent la zone saharo-sahélienne:
- ceux voulant contrôler les ressources minières
- ceux l’utilisant comme siège pour des trafics en tout genre (cocaïne, humains, armes…)
- AQMI l’utilisant comme refuge

La combinaison de ces 3 éléments provoque la crise actuelle.
1) La présence de minerais stratégique oblige certains Etats à déployer des troupes (la France au Niger, des troupes prépositionnées en Mauritanie et au Burkina Faso). Les Etats-Unis lançaient dès 2002 l’initiative Pan Sahel et organisent aujourd’hui les exercices militaires Flintlock. La Chine a fait une entrée remarquée dans la région il y a quelques années, l’Iran s’intéresse aux minerais stratégiques (ICI)…etc L’intensification de la présence de ces acteurs extérieurs tant au niveau économique que militaire, dans une zone déjà fragilisée, peu déstabiliser des régimes et des Etats déjà faibles.

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2) La faction saharienne du GSPC qui opérait dans cet espace a toujours été considérée plus comme une organisation criminelle qu’un groupe terroriste conventionnel du fait de son engagement dans le trafic d’armes, de drogue et de cigarettes (nous y reviendrons dans un prochain billet). La criminalité transnationale en Afrique de l’Ouest est fortement développée : trafic de drogue et d’êtres humains, trafic d’armes….Le Sahel est devenu récemment une véritable plaque tournante du trafic de drogue en provenance d’Amérique latine vers l’Europe (voir ICI et explications de Christophe Champin)
Pour Medhi Taj le risque est de voir les narcotrafiquants créer « de nouveaux marchés nationaux et régionaux pour acheminer leurs produits. Ayant besoin de sécuriser le transit de leur marchandise, ces narcotrafiquants recourent à la protection que peuvent apporter, par leur parfaite connaissance du terrain, les groupes terroristes et les différentes dissidences, concourant ainsi à leur financement ».

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3) Cibles et tactiques d’AQMI :
Droukdel, le chef d’AQMI, a fait allégeance à AQ en septembre 2006 et le groupe a adopté les méthodes d’Al Qaïda
Dans le passé les attaques du GSPC ressemblaient beaucoup aux opérations de guérillas rurales menées par les rebelles algériens pendant la guerre d’indépendance (54-62): des embuscades sur des routes contre des convois ou véhicules militaires. AQMI continue de porter ses attaques principalement sur des cibles militaires ou sécuritaires. Cependant depuis que notamment en attaquant plus souvent des cibles urbaines (attentat contre le siège du HCR à Alger en 2007). Dorénavant les attaques sont filmées et les attentats suicides se multiplient : « We have decided to adopt the sytle of martyrdom operations in the confrontations with our enemies from now on » (Droukdel, Al Jazeera le 8 mai 2007). Ces méthodes contestées ont créées des tensions au sein du mouvement.

Les cibles sont de plus en plus souvent des civils occidentaux, chronologie sommaire:
11 décembre 2007 : 2 attentats à la voitures piégés à Alger 72 morts et 100 blessés
Février 2008 : 2 Autrichiens kidnappés en Tunisie
14 décembre 2008 : kidnapping de Robert Fowler, envoyé spécial de l'ONU et ancien ambassadeur du Canada au Niger et son adjoint Louis Guay, ancien ambassadeur du Canada au Gabon, dans la région de Tillaberi, dans l'ouest du Niger.
23 janvier 2009 : 4 touristes européens (2 Suisses, 1 Allemande, 1 Britannique : Edwen Dyer assassiné le 31 mai 2009) enlevés à la frontière entre le Mali et le Niger, alors qu'ils revenaient d'assister au festival de culture nomade «Tamadachit N'Azawagh » d'Andéramboukane (Mali). Robert Fowler est libéré le 22 avril avec l’Allemande et la Suisse.
Juin 2009 : embuscade sur un convoi de sécurité en Algérie 18 policiers tués et 1 civil
23 juin : assassinat d’un américains à Nouakchott en Mauritanie
29 Juillet : 20 soldats Algériens tués dans la province de Tipaza (IED et embuscade)
8 août : 2 gardes de sécurité sont blessés dans l’attaque suicide devant l’ambassade de France en Mauritanie
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25 novembre 2009 : enlèvement de Pierre Camatte au Mali
29 novembre 2009 : enlèvement de 3 Espagnols travailleurs humanitaires en Mauritanie
8 décembre 2009 : AQMI reconnait être responsable des enlèvements
31 décembre 2009 : il demande une rançon de 7 millions de $ pour la libération des 4 otages + la libération de 4 militants d’AQMI détenus au Mali
18 décembre 2009 : enlèvement de 2 Italiens en Mauritanie et leur chauffeur ivoirien
24 juillet 2010 : assassinat de Michel Germaneau
Aout 2010 : 3 militaires tués et en Algérie par l'explosion d'une bombe au passage de leur convoi près de Baghlia, à l'Est d'Alger
15 septembre 2010 : Enlèvement au Niger de 5 Français et leurs 2 accompagnateurs

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Recrutement d’AQMI: Bien que beaucoup de cadres du groupe ont exprimé leur réticences quant à s’aligner sur Al Qaïda et adopter ses stratégies, il y a pourtant des signes que le rapprochement avec Al Quaïda a aidé le groupe à recruter des jeunes hommes qui voulaient combattre en Iraq et qu’ils ont ensuite utilisés pour des opérations locales. Par ailleurs comme les forces de la coalition quittent l’Irak il y a de fortes chances pour que des vétérans Algériens du conflit retournent au pays et complètent les forces d’AQMI.
AQMI opère dans le sud du désert. Les rapports soulignent que de nombreux endroits du Mali seraient des sanctuaires pour AQMI notamment Tombouctou et Kidal. Ces régions montagneuses offrent protection pour des camps d’entrainement Ces endroit sont aussi des lieux de vie pour les Touaregs (attention au amalgames trop rapides de nombreuses tensions existent aussi entre les Touaregs et AQMI).

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Deux hypothèses permettent d’expliquer la descente d’AQMI dans l’espace saharo-sahélien : se rapprocher des réseaux de banditisme et donc obtenir de nouveaux financements et se mettre à l’abri de la répression de l’Etat algérien. Pour survivre le groupe a développé son action plus au Sud.

samedi 20 novembre 2010

L'Afrique au coeur d'un vaste réseau de trafics


La carte dans son intégralité ICI
Les flèches rouges : le trafic d'armes légères
Les flèches grises : la cocaïne en provenance d'Amérique Latine
Les flèches vertes : l'exportation de cannabis et de khat (les pays producteurs en vert)
Les flèches oranges : exportation de médicaments frelatés
Les pays en roses : les gros acheteurs d'armes

vendredi 12 novembre 2010

Le Sahel un terreau propice au développement de la criminalité (1/3)

Voici le premier billet d’une trilogie consacrée à l’Afrique de l’Ouest et plus particulièrement à l’espace saharo-sahélien, publié en parallèle sur AGS
. Nous essaierons de comprendre en quoi cet espace est un terreau favorable à l’expansion des groupes criminels et terroristes (la frontière entre les deux est souvent floue) puis qui sont ces acteurs ? Pourquoi AQMI est descendu de l’Algérie au Sahel ? Comment s’organise la lutte contre cet avatar d’Al Qaïda ?


Un ensemble de facteurs s’imbriquent et expliquent la situation actuelle :
Un espace instable et incontrôlé : Tout d’abord la porosité des frontières est un facteur géopolitique majeur dans la région. L’instabilité dans un pays se propage comme une tache d’huile chez les voisins. Et la région est soumise à de nombreux soubresauts politiques: coups d’Etat en Mauritanie (août 2008) et au Niger (février 2010) ou hyperstabilité (Campaoré au pouvoir depuis octobre 1987, Déby depuis février 1991). D’ailleurs l'entrée des États de la zone dans une période d'élections n'est pas rassurante. En effet la redistribution de pouvoir est au combien déstabilisatrice et génératrice de frustrations. On y observe la naissance ou la renaissance de guerres civiles. Petit aperçu des élections à venir dans la zone : Burkina Faso : Elections présidentielles le 21 novembre 2010. Par une révision de la Constitution Compaore devrait se représenter pour la 4ème fois, Niger : référendum constitutionnel le 31 octobre 2010, les élections locales le 08 janvier 2011, les législatives couplées au 1er tour des présidentielles le 31 janvier 2011, le 2ème tour des présidentielles le 12 mars 2011 et le président élu prêtera serment le 6 avril 2011, Nigéria: janvier 2011, Tchad : les élections générales de 2011 seraient reportées, Mali et Sénégal : 2012

Une situation économique alarmante :
Les pays de la zone sont particulièrement pauvres : le Burkina Faso, la Gambie, la Guinée Bissau, le Sénégal, le Mali, le Niger, le Tchad et le Soudan font parti des PMA (Pays les Moins Avancés) une catégorie créé par l’ONU en 1971 et regroupant les pays les moins développés socio-économiquement. Et pour cause se sont principalement des économies orientées vers l’exportation de produits de base bruts (agricoles et miniers).

La hausse du prix des matières premières n’a pas permis la réduction de la pauvreté car la croissance économique est phagocytée par une forte croissance démographique forte. La population du Sahel devrait doubler et devrait compter 150 millions d’habitant d’ici 2040.
Et même les pays ayant connu une croissance supérieure à 5% ont réduit de façon substantielle le taux de pauvreté. Pourquoi ? Entre autres parce que la région connait une forte corruption qui ne permet pas la redistribution des richesses : l'ONG internationale Transparency International a publié, 26 octobre, son rapport 2010 de la perception de la corruption dans 178 pays. Certains pays, comme le Niger, marquent un déclin, la Mauritanie (143ème), le Tchad (171ème) le Soudan (172ème) sont les plus mauvais élèves. Le Burkina Faso, le Sénégal, le Bénin et le Mali occupent respectivement les 98ème, 105ème, 110ème et 116ème rang.
Et quid de l’emploie des jeunes dans une région où le taux de chômage environne les 18% : 60 % des Africains de l’Ouest ont moins de 25 ans et 70 % moins de trente ans. Cette population est frustrée par la situation politique, économique et sociale est un vivier de recrutement idéal pour des groupes criminels et/ou terroristes en manque de main d’œuvre.

Un espace vide :

La densité du Sahel est plus de 3 fois inférieure à la densité moyenne de l’Afrique subsaharienne et les populations habitent principalement dans les capitales (Nouakchott, Bamako, Niamey, N’Djamena). De fait de vastes espaces restent vides (Nord Mali, Nord Niger, Nord et Ouest Mauritanie…). Ces Etats sont faibles et n’ont pas les moyens de contrôler tout leur territoire en le peuplant ou en ni disposant des forces représentants le pouvoir central. La souveraineté interne des Etats est défaillante. Comme le dit l’adage : « la nature a horreur du vide », certains groupes criminels et terroristes se sont chargés de le remplir.

Des populations vulnérables et marginalisées : 
Le Sahel est un espace vulnérable aux famines or les famines sont circonscrites dans le temps et l’espace et l’on sait aujourd’hui que ce phénomène n’est pas seulement le résultat de calamités naturelles mais qu’il est instrumentalisé, les famines sont cachés pour affaiblir certaines populations, ou créée pour attirer des aides. Mais la malnutrition chronique et quotidienne est aussi une donnée géopolitique, elle affaiblit les populations et cette vulnérabilité devrait croitre avec l’explosion démographique : la production vivrière augmente moins vite que la population.
Ajoutez à cette marginalisation géographique et politique le facteur historique. Certaines populations sont historiquement marginalisées : en Mauritanie on observe des rivalités entre Maures, les arabo-berbères et les Négro-africains. Les Harratines, descendants d’esclaves qui vivent au service de leurs maîtres, et les Beïdanes, Maures blancs pour la plupart. Le jeune qui avait fait un attentat kamikaze contre l’ambassade de France en Mauritanie était un Harratine il semble qu’il ait trouvé dans les revendications égalitaire d’AQMI une manière de lutter contre un Islam qui légitime les hiérarchies traditionnelles. Au Niger le pouvoir militaire appartient principalement aux Djerma-Shongaï le pouvoir économique aux Haoussas, et les Touaregs, peuplent le Nord du pays revendiquent une part du gâteau d’autant que les richesses minières sont dans leur espace de peuplement. Ils réclament : la mise en œuvre effective de la décentralisation, le développement économique, le respect de la diversité culturelle, la plus grande représentation des populations du Nord dans les instances étatiques, l’administration et l’armée ... demande explicitement un versement de 50 % des revenus des sociétés d’exploitation au profit des collectivités locales... Dès lors la question ethnique est un autre facteur géopolitique puisque de nombreuses ethnies vivent entre plusieurs pays qui deviennent des lieux de replis lors de conflits civils (ex : Soudan/Tchad, l’Algérie sahélienne pour les Touaregs en conflit avec le pouvoir central du Niger ou du Mali).
Par ailleurs les traites islamo arabe puis européennes avec la complicité parfois de certaines populations noires ont laissées des traces dans les mémoires collectives. Pour Medhi Taj : « cette fracture raciale Nord-Sud, ancrée dans l’histoire, est à la base d’une profonde conscience ethnico-tribale structurant les sociétés du sahel africain et brouillant la pertinence du concept occidental d’Etat Nation. »

Une série de facteurs qui laissait entrevoir la situation actuelle …