mercredi 8 octobre 2014

Nouveau : Note de veille Afrique

L'IRSEM (Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole Militaire) lance une nouvelle note de veille. Après les notes de veilles sur les États-Unis de Maya Kandel, cette nouvelle note concerne le continent africain. Les notes de veille « Afrique » de l’IRSEM proposent une sélection des analyses de chercheurs sur l’actualité africaine du mois écoulé en matière de sécurité et de défense.

La première note est en téléchargement libre : ICI


mardi 7 octobre 2014

U235 organise jeudi son premier café-débat stratégique autour de Gérald Bronner. Nous vous y attendons nombreux !


lundi 6 octobre 2014

Enrichissements Hebdos africains

Le nouvel site "u235", auquel ce blog est associé, publie chaque semaine ses Enrichissements Hebdos. Nous reportons ici la partie "africaine" :


La Fondation Mo Ibrahim publie son indice annuel 2014 sur la gouvernance en Afrique. L’Île Maurice reste en tête du classement avec le score global le plus élevé (81,7/100), suivi du Cap-Vert (76,6), du Botswana (76,2), de l’Afrique du Sud (73,3) et des Seychelles (73,2). La Somalie arrive dernière (52e) devant la Centrafrique (51e), l’Érythrée (50e), et le Tchad (49e).

Sur Africa4, Aboubakr Tandia, chercheur junior de la Bayreuth International Graduate School of African Studies, évoque l’échec des organisations régionales et continentales dans la lutte contre le virus Ebola : “la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) n’a pratiquement servi à rien dans cette crise. Alors qu’elle dispose en son sein d’une organisation sous-régionale de santé depuis 1987, en l’occurrence l’Organisation Ouest Africaine de la Santé (OOAS), la CEDEAO semblait être absorbée par la signature des accords de partenariats économiques (APE) avec l’Union Européenne et les problèmes de terrorismes du Nigéria et la crise dans le Sahel au bénéfice premier des États-Unis et de la France”.

Nicolas Gros-Verheyde est l’un des rares à noter la fin d’EUPOL RD Congo. Cette mission de police de l’UE en Afrique est la première de type lorsqu’elle est lancée en 2007.

Comment les Shebabs recrutent-ils ? Selon une nouvelle étude de l’ISS, menée auprès de 88 anciens combattants du groupe, plus que des raisons religieuses c’est le contexte économique qui explique leur ralliement. Cette enquête fait échos à celle parue au début du mois sur la radicalisation au Kenya. Anneli Botha avait alors étudié les raisons pour lesquelles des jeunes kenyans pouvaient rejoindre al-Shabaab et le Mombasa Republican Council (MRC). Pourtant pour le Kenya la menace viendrait toujours de l’extérieur. Un an après la tragique attaque du Westgate Mall au Kenya et malgré les résolutions annoncées, Nairobi n’a aucune stratégie cohérente pour renforcer sa sécurité face au terrorisme. Selon la police anti-terroriste 133 attaques ont touché le Kenya depuis le lancement de l’opération Linda Nchi en Somalie, 264 personnes auraient été tuées et 923 blessées. Pour Jérémy Lind et Patrick Mutahi : ”A strategic response to insecurity must consider many other major internal challenges ranging from land reform, to the structure of the overall economy and accumulation of wealth that excludes most, to the citizenship and rights of minorities and young people. A more nuanced understanding of the problem of worsening security, particularly one that asks the right questions, might lead to more appropriate responses”.

Arte propose une carte interactive de “l’internationale des djihadistes”. Bien que manquant parfois d’actualisation, cette carte est très didactique.

lundi 28 juillet 2014

Enrichissements Hebdos africains

Le nouvel site "u235", auquel ce blog est associé, publie chaque semaine ses Enrichissements Hebdos. Nous reportons ici la partie "africaine" :



1) Dans Africa in Transition, John Campbell observe que, contrairement à d’autres groupes comme l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), Boko Haram n’est pas encore parvenu à se territorialiser mais cela pourrait changer depuis qu’ils ont pris la ville de Damboa. 

2/ Louisa Waugh s’est rendue à plusieurs mois d'intervalle dans le quartier de “cinq kilo” à Bangui. Elle rapporte l’apaisement de la situation centrafricaine notamment dans les quartiers musulmans. La présence permanente des troupes françaises, africaines et européennes, ainsi que les actions de cohésion menées par les ONG locales et internationales permettrait aux centrafricains de réapprendre à vivre ensemble : “These local initiatives are another reason Cinq Kilo is now opening for business, and why security has improved in many parts of Bangui. This small capital is still plagued by tensions and crime, especially at night outside the city centre; but dialogue between communities has started”. Et Louisa Waugh de conclure plus loin : “ "The appalling violence of these last twelve months has never been about Christians versus Muslims; it stemmed from fear between neighbours and communities familiar with living together, but easily manipulated by Seleka, anti-Balaka, and other armed rebels who appropriated their vicious brands of identity based politics for their own ends. The Central African civil society challenge is about communities holding the government to account. A local human rights advocate said these words to me just last week; ‘Some people here are not ready to give their pardon, because they still hear nothing about justice.’ » Dès lors la question au coeur de la reconstruction de l’Etat et du pacte social se pose,comment une société traumatisée par les violences exercées par des groupes quicohabitaient ensemble par le passé peut-elle leur réapprendre à vivre ensemble?

3/ The Duck of Minerva s’entretient avec Séverine Autesserre sur les échecs des interventions de consolidation de la paix à la suite de la publication de son dernier ouvrage Peaceland. Par une méthode ethnographique, sa thèse met en lumière le rôle quotidien des “peacebuilders” : “international interveners’ everyday practices, habits, and narratives undermine their own peacebuilding efforts. One of the many ways these everyday elements preclude successful peacebuilding is by separating expatriates from the populations they are trying to help (...) everyday practices create firm boundaries between international peacebuilders and the populations whose cooperation they need to implement their projects. Social habits – with whom you have after-work drinks, parties, and dinners – can either reinforce these boundaries or break them.”.

4/ Sur Al Jazeera America, Daniel Salomon analyse la vague d’attaques terroristes qui touchent actuellement le sud de la Corne de l’Afrique jusqu’en Tanzanie. Marque-t-elle la résurgence du groupe somalien Al Shabaab ou serait-elle liée à la corruption et à l’absence de réponse des Etats de la région aux difficultés sociaux-économiques locales ? : “It is difficult to untangle the chain of political discontent that precedes recent violence across the region. Local grievances, such as land tenure disputes, often accompany the decay of political and economic institutions. For example, Kenya’s Lamu County, one of the sites of recent attacks, has been the locus of large protests against alleged land grabbing by Kenyan port developers. These issues alone may not prompt new violence by local groups. But if mass abuses continue unmitigated, East African governments could soon find unexpected pockets of their society a fertile recruiting ground for Al-Shabab’s terror network. As violence spirals out of control across the region, governments will likely adopt an increasingly heavy-handed strategy against Al-Shabab and its alleged affiliates. However, selective targeting of minority civilians, as witnessed in Kenya, will not root out the threat. In fact, it will likely make matters worse. Regional leaders must acknowledge the role of local grievances in engendering violent response, and seek more robust opportunities for redress. Land ownership issues, in particular, have proved a powerful trigger for violence, particularly in Kenya and Ethiopia. As the multinational campaign against Al-Shabab falters, the resolution of these local grievances may prove to be a more fruitful path to peace”.

5/ Dans Reinventing Peace, Alex de Waal revient sur le travail du Carnegie Working Group on Corruption and Security publié le mois dernier Corruption: TheUnrecognized Threat to International Security. Ce document démontre que la corruption serait liée à la fragilité des Etats et que les contestations et les insurrections trouvent leurs origines dans l’opposition à la kleptomanie des régimes. Le groupe de Carnegie révèle aussi les différentes étapes de son projet :” an early stage of a project that is beginning to reveal just how deeply the problem of corruption is embedded within international insecurity—and in turn how the remedies must be sought in global systems, not just at the national level”. Pour Alex de Waal s’est un nouvel agenda de recherche qui doit s’ouvrir. Dans son billet il propose d’élargir les cas de conflits liées à la corruption déterminées par le groupe d’études de Carnegie à de nouvelles catégories et sous-catégories qu’il décrit.

6/ Dans son article East Africa rising, Robert D. Kaplan dresse un tableau très optimiste de l’Afrique de l’Est et de la Corne de l’Afrique et conclue : “One thing is clear: Economic change is so ever-present and vibrant throughout East Africa that the region's geographical orientation itself may be changing. Rather than be part of a once-lost and anarchic continent, the area from Mozambique north to Ethiopia may be in the process of becoming a critical nodal point of the dynamic Indian Ocean world”.

mardi 8 juillet 2014

De l'imposture à la pseudo censure

Dans son dernier billet Jean Dominique Merchet note : "Attaché à la liberté d'expression, je trouve détestable que quelqu'un - un intellectuel en l'occurrence - soit exclu, voire sanctionné, pour ses idées fussent-elles détestables. Et je considère sans hésitation que celles d'extrême-droite, mues par la haine, le sont. Mais je ne suis pas convaincu que Bernard Lugan ne disent que des sottises sur les sujets dont il a fait profession d'étudier et de vulgariser". Passé une petite toux de gêne mêlée de consternation face à cette complaisance et cette méconnaissance, nous vous proposons une petite réflexion sur l’imposture que nous a inspiré ce petit événement.

L’imposteur a plusieurs visages. Il se cache… non il ne se cache pas, c’est bien ce qui le caractérise d’ailleurs, il « apparaît » sous les traits d’un philosophe faiseur d’opinion, d’un chercheur marginalisé ou d’un pseudo expert habitant les plateaux télé. Comment détecter l’imposteur ? Pour Roland Gori plusieurs critères doivent nous alerter : « faire prévaloir la forme sur le fond, valoriser les moyens plutôt que les fins, se fier à l'apparence et à la réputation plutôt qu'au travail et au courage, préférer la popularité au mérite, opter pour le pragmatisme avantageux plutôt que le courage de l'idéal, choisir l'opportunisme de l'opinion plutôt que tenir bon sur les vertus, chérir le semblant et ses volutes plutôt que la pensée critique, les 'mouvements de manche' plutôt que la force de l'œuvre ». Nos sociétés seraient un terreau idéal de prolifération de ces imposteurs. Nous pourrions les laisser répandre leurs bêtises à longueur de médias, mais il est parfois bon de laisser parler sa colère pour éviter de voir ces imposteurs à la pensée stérile, confisquer le débat et scléroser la réflexion. Portrait d’un imposteur type :

Le chercheur marginalisé par la communauté scientifique

Le chercheur marginalisé se dit chercheur mais sans en adopter la rigueur intellectuelle et la démarche méthodologique. Il se caractérise par sa mauvaise foi intellectuelle que certains qualifieront charitablement de biais de confirmation au sens où il interprète les faits pour leur faire dire ce qu’il souhaite, ou par un biais de sélection en ne choisissant que les faits qui appuient sa thèse. Se gargarisant d’aller à l’encontre de la « bien pensance », il dénigre les autres chercheurs qui seraient tombés dans le « prêt-à-penser ». Alors même que la méthodologie scientifique invite à être contre intuitif et à aller à l’encontre des idées reçues. Cependant cette défiance n’est pas cohérente, et le chercheur marginalisé ne propose que du « prêt-à-penser alternatif», autrement dit : le contraire de l’erreur ne saurait, de ce simple fait, être une vérité. Surtout lorsque le chercheur marginalisé procède fréquemment en caricaturant les propos de ceux qu’il décrie. Ces imposteurs disent rechercher et comprendre l'essence, l'origine, la réalité, des choses du monde. Or, la recherche de l’essence des choses, dans le domaine des sciences humaines et sociales, est une voie bien dangereuse, où l’esprit sage ne se lance qu’en devinant d’emblée son impuissance, là où l’esprit faible ou l’imposteur, à la constante recherche de vérités, tombe trop souvent dans la dangereuse caricature de la pensée d’autrui, avec tous les risques que cela comporte. Le principal problème est que ce pseudo chercheur sévit dans certains milieux et, pire, a parfois la responsabilité de former nos étudiants ou nos jeunes recrues. Ces jeunes ont alors le droit à des bibliographies où ne figurent que les travaux de notre imposteur. Or, un véritable chercheur n’existe qu’au sein d’une communauté où ses idées sont débattues, et ses travaux n’ont de valeur que s’ils sont évalués et soumis à la critique professionnelle. 
Ce « chercheur » avance comme argument imparable qu’il a « fait du terrain » et sait donc de quoi il parle (a priori de 54 Etats). Il est démontré qu’avoir été dans un pays permet indéniablement de dire qu’on a compris ce pays tant socialement, que politiquement et économiquement. Argument incontournable qui permet de rendre légitimes ses propos parfois racistes et permet de faire taire ce naïf interlocuteur qui ose contester l'argument selon lequel les noirs sont vraiment barbares. De plus, ce pseudo expert se dit la victime d’un complot et surtout d’être jalousé par les chercheurs. (Les quoi ?) Surtout le chercheur refuse de voir des choses évidentes selon notre pseudo chercheur: la place majeure (exclusive ?) de l’ethnie en Afrique, par exemple, LE facteur explicatif de tous les conflits du continent. Les acteurs africains étant ce qu’ils sont, cette analyse les déresponsabilise. Les crises du continent africain ne sont ainsi pour lui pseudo-penseur autoproclamé que le résultat de clivages ethniques ataviques : des tueries et des barbaries spontanées sans dimension politique ni instrumentalisation. Bref, aussi élitiste que cela puisse paraître, on ne s’invente pas intellectuel. D’ailleurs, Olivier Schmitt s’interrogeait sur ce point dans le n°100 de DSI : « Imagine-t-on un Professeur des Universités en science politique postuler à l’emploi sous-chef « Relations Internationales » de l’état-major des armées, sous le prétexte que son expertise scientifique est certainement transférable et qu’il fera aussi bien l’affaire que n’importe quel général ? Il lui serait certainement objecté, avec raison, que l’emploi nécessite des compétences spécifiques. Et bien l’inverse arrive tous les jours quand des apprentis auteurs se piquent de travail intellectuel sans en maîtriser les  règles de base qui sont la maîtrise du corpus scientifique existant et l’application des règles méthodologiques dans la conduite de la recherche. » Il n’est pas question ici de promouvoir ce que Benoist Bihan qualifie de " despotisme des experts et une forme de totalitarisme de la pensée" dans l’avant dernier DSI et de ne réserver le droit de penser qu’à certains groupes bien définis. En effet, Benjamin Constant avait raison lorsqu’il constatait que les élites se trompent aussi et ne sont pas détentrice de la vérité, aussi il était préférable de se tromper à plusieurs, ce qui était le socle de la démocratie. Ce que nous dénonçons c’est l’anti-intellectualisme comme posture pour promouvoir du « prêt à penser alternatif » et le scepticisme (« puisqu’il n’y a pas de vérité on peut penser ce que l’on veut ») comme justificatif ; un populo-maoïsme-new-age en toc, en quelque sorte.

mercredi 2 juillet 2014

Génocide rwandais : les réponses de François Léotard

Nous assistions, ce lundi 30 juin, à un colloque organisé par l'association RBF-France Forum de mémoire : « Rwanda : Réflexions sur le dernier génocide du XXèmesiècle » devant une assemblée très engagée, composée de rescapés, de personnalités médiatiques (Sonia Roland) et politiques (l’ambassadeur du Rwanda en France). 
La première table ronde « stigmatiser, exclure, éradiquer. La logique génocidaire, de la planification à l’extermination » s’est avérée assez décevante pour une raison principale: la présence d’un seul africaniste (Gérard Prunier) sur une table ronde constituée uniquement d’historiens. L’intervention de Gérard Prunier avait pour but de rappeler la méconnaissance française et internationale des spécificités politiques, culturelles, et ethniques du Rwanda avant, pendant et après le génocide, mais aussi de refuser les approches comparatistes de l’étude du phénomène génocidaire. Or, c’était bien là l’objectif de cette table ronde qui réunissait Jacques Sémelin, Tal Bruttmann (spécialiste de la Shoah) et Raymond Kevorkian (spécialiste du génocide Arméniens). La définition du génocide est restée celle retenue par la Convention de 1948 alors même que les chercheurs ont élargit cette définition aux actions génocidaires. De fait, cette table ronde est restée assez superficielle et décevante pour celui qui souhaitait, soit avoir une présentation de la recherche académique sur le phénomène génocidaire, soit une analyse du génocide rwandais. Alors que la salle souhaitait élargir le débat sur la prévention des génocides, elle semble être restée sourde aux appels de Gérard Prunier des évènements se déroulant actuellement, dans le silence médiatique, au Soudan.

La deuxième table ronde semblait particulièrement attendue par le public et pour cause, François Léotard, ancien ministre de la Défense, intervenait pour la première fois sur l’opération Turquoise, aux côtés de Bernard Kouchner et de Nicolas Poincaré, journaliste à Europe 1, présents au Rwanda en 1994.
François Léotard a introduit son intervention en rappelant que les deux victimes de ces débats étaient : la vérité et la responsabilité. Seules trois institutions en France peuvent approfondir la vérité : l’Université, la Justice et le Parlement. Sur l’opération Turquoise il a rappelé en être responsable « avec fierté », « nous avons fait ce que nous pouvions et ce que nous devions faire (…) la gestion de l’armée française est irréprochable »  car elle s’est déroulée dans le respect de la personne, le refus du meurtre (il n’y a pas eu de morts Français ce qui prouverait que la France n’a pas participé aux combats), la déontologie militaire a été respectée. Nicolas Poincaré s’est montré plus nuancé : « ni les militaires, ni les humanitaires, ni les journalistes n’ont été sans reproche surtout pendant l’opération Amaryllis». Il prend l’exemple du colonel Tauzin qui fût de fait un temps dirigeant de l’armée rwandaise avant le génocide et en première ligne au début de l’opération Turquoise.
Tous les intervenants se sont entendus sur le rôle du Rwanda dans la politique africaine de la France à l’époque et sur le complexe de Fachoda qui pouvait exister, confirmé par l’attitude américaine dans la région. Le principal sujet de discorde entre François Léotard et le reste de la salle a concerné la responsabilité politique de la France, précisément le choix de son allié. Pourtant, finalement, les intervenants étaient d’accord : il n’y a pas eu de faute militaire mais des erreurs politiques. Pour l’ancien Ministre de la défense, la France n’a pas choisi de soutenir un homme, certes disqualifié, mais la stabilité. L’erreur politique vient de Mitterrand qui est « né avec une autre France, et une autre Afrique ». Il a rejoint les critiques de Gérard Prunier qui, quelques minutes plus tôt, comparait l’ancien Président de la Vème République à un maurassien. Pour Bernard Kouchner les relations entre la France et le Rwanda relevaient depuis des années d’un compagnonnage qui a évolué défavorablement.
L’autre point d’accord, relayé par la presse le lendemain (ICI, ICI, ICI) portait sur la transparence. Pour François Léotard : « aucune raison d’invoquer le secret défense dans cette affaire ». Il s’est même dit prêt à aller voir le Ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, en compagnie de Bernard Kouchner, pour obtenir les documents relevant du ministère de la Défense. On pourra reprocher à l'ancien ministre de la Défense de s’être parfois laissé emporter dans la provocation face à une assemblée hostile notamment :

1/ lorsqu’il refusa de critiquer la mission d’information parlementaire de 1998 – Kouchner rappela qu’il a été interrogé par cette mission mais que ses questions n’ont pas été publiées- ;
2/ lorsqu’il loua les travaux de Pierre Péan et Bernard Lugan, deux « spécialistes » marginalisés par la communauté scientifique et qualifié par Kouchner de « faux-témoins absolus »;
3/ lorsque, de façon condescendante, il affirma : « je considère que ce qui a été fait par la France est à son honneur (…) nous avons sauvé des dizaines de milliers de vie, ça suffit au bilan » ;
4/ lorsqu’il se montra particulièrement imprécis sur les évènements à Bisesero ;
5/ lorsqu’il évita de répondre à plusieurs reprises à Bernard Kouchner : pourquoi avoir disposé l’opération Turquoise sur la route de l’exode des Hutus plutôt qu’à Kigali ? Il rappela alors que ce type de choix relevait de l’exécutif.

En revanche, il était appréciable d’avoir le rappel du contexte complexe dans lequel il évoluait : de nombreux conscrits étaient alors engagés dans le siège de Sarajevo ; l’achèvement de la rédaction du Livre Blanc (« Turquoise n’était pas une hypothèse de travail ») ; les conditions d’opération (le stress et le manque d’information) ainsi que le processus décisionnel français. On notera également que l’ancien Ministre de la Défense a reconnu avoir pu être abusé par des acteurs locaux qui lui auraient donné des informations erronées de la situation sur le terrain.
Les commémorations du génocide se poursuivent, pour aller plus loin : 
- une sélection d'article académiques proposées par Taylor & Francis ICI
- 4 émissions spéciales de La Fabrique de l'Histoire sur France Culture consacrée au Rwanda après un voyage d'étude réalisé en avril 2014 par une équipe de chercheurs. ICI

samedi 7 juin 2014

La piraterie en BD, notes de lecture

Après le cinéma et les célèbres Captain Phillips et Hijacking, c’est au tour de la BD de s’emparer de la thématique de la piraterie. Paru en avril 2014, Black Lord. Somalie : année 0 (Tome 1), retrace les mésaventures de Maxime Stern, skipper du Queen Lucy, un yacht de luxe arraisonné par des pirates Puntlandais.
Le héros désabusé conduit un groupe de touristes Français qui fêtent les 18 ans de la fille d’un riche homme. En s’approchant trop près des côtes somaliennes, les touristes sont pris en otages par des pirates alors que Maxime Stern parvient à s’enfuir. Recueillis par une famille de pécheurs dont le père de famille, Djad, compte l’aider à rejoindre la France, Maxime va découvrir les origines et les enjeux de la piraterie dans ce pays de la Corne de l’Afrique, privé pendant vingt ans de gouvernement. Si la BD traite peu de relations internationales, elle distille au fil des planches la réalité de cette piraterie contemporaine. Des déchets toxiques, au pillage des eaux par des pêcheurs étrangers, en passant par les effets néfastes et coûteux du khat, cette BD d’action ressemble à un roman photo ou à un story board d’un film de Bruce Willis. Les dessins hyper réalistes de Jean-Michel Ponzio (il a utilisé des photos retravaillées) donne à cette BD toute son originalité et en fait selon les mots de Guillaume Dorison une véritable « fresque fictionnelle (inspirée de faits réels mélangés) ». Si la lecture vous fera passer un bon moment tant le scenario est bien pensé mêlant action et suspens, la description faite de la société somalienne et des Somaliens peut paraître surprenante, pour ne pas dire décevante, car très peu crédible : l’habitat du pécheur Djad, les relations entre Aisa sa fille et Churchill le n°2 des pirates, des pêcheurs Somaliens qui ressemblent bien souvent à des Nigérians etc.
Quelques extraits : 



mardi 3 juin 2014

Annonce Journée d'études : "Les Djiboutiens saisit par les sciences sociales"


Nous relayons ici l'annonce d'une conférence intitulée "Les Djiboutiens saisit par les sciences sociales" qui se tiendra se samedi 7 juin à Paris (centre Malher), organisée par Simon Imbert-Vier (avec le soutien de l'IMAF). 

Vous trouverez ci-dessous le programme et la présentation des organisateurs.

Programme
Animation des débats : Colette Dubois (IMAF)
9h30 : accueil
10h : introduction de la journée, par Simon Imbert-Vier
- Amina Saïd Chiré (Université de Djibouti), « L’habiter dans tous ses états : urbanitéversus nomadisme. Forces et faiblesses de la géographie djiboutienne »
- Laurent Jolly (LAM), « Les Djiboutiens, un objet d’étude pertinent pour la micro-analyse sociale ? »
12h30 : Déjeuner
14h : reprise
- Emilie Saussay (Paris 1), « Les sources sur le syndicalisme à Djibouti : une question nationale ? »
- Simon Imbert-Vier (IMAF), « Au-delà des catégories, vers une histoire des “Djiboutiens” »
- Samson Bezabeh (EHESS), « Dépasser les représentations coloniales : nouvelles directions pour les études djiboutiennes »
Conclusion par Colette Dubois (IMAF)
Présentation
Même si le premier texte qu’il est possible de rattacher aux sciences sociales concernant les habitants de ce qui était alors la Côte française des Somalis a été publié en 1937 [1], les sociétés de ce territoire ont longtemps échappé à l’intérêt des scientifiques. Peut-être le titre de l’article publié par Henri Brunschiwg en 1968 (« Une colonie inutile : Obock » [2]), n’a-t-il pas soutenu les vocations. Les habitants de ce petit territoire aride, faiblement peuplé, périphérique aux empires, escale stratégique et nœud de circulation, n’ont longtemps intéressé que les militaires, les administrateurs coloniaux et les journalistes, si ce n’est une étude d’Alain Rouaud publiée tardivement [3] et quelques travaux de maîtrises. Il faut attendre 1997 pour que Colette Dubois publie une première synthèse historique documentée de la période coloniale, avant de poursuivre un travail de défrichage du terrain [4].
Ces recherches précèdent un développement général des études sur Djibouti, mis en évidence par la publication en 2013 d’un panorama des « études djiboutiennes » qui montre aussi la faiblesse des analyses sociales [5]. Cependant, Djibouti et ses habitants sont bien en train de devenir des objets des sciences sociales ; les chercheurs qui participent à cette journée s’y consacrent.
La société djiboutienne est aujourd’hui traversée de tensions et de représentations qui s’opposent, parfois violemment. Il est nécessaire de poursuivre leur étude pour aller au-delà des lieux communs et proposer, en particulier à la jeunesse djiboutienne, des systèmes d’explications et d’analyses qui l’aident à comprendre son environnement et à prendre en main son destin. Les catégories de la société djiboutienne ont commencé à être déconstruites et problématisées. Jusqu’où doit se poursuivre ce mouvement et quels outils conceptuels serait-il utile de mettre en place ? D’autres catégories, et les relations qu’elles entretiennent, sont absentes des études (genre, esclaves, oromos, travail, salariat…), quelles stratégies pour les y intégrer ? Comment les études sur les Djiboutiens peuvent-elles profiter des avancées, des questionnements et problématiques de la recherche d’aujoud’hui dans nos différentes disciplines ? Ce terrain se caractérise en particulier par son espace restreint, son invention récente, la fabrique identitaire qui s’y déroule, la diversité et la faible importance numérique de sa population, son rôle dans les circulations internationales, etc. Ces éléments réduisent-ils la portée des conclusions que l’ont peut proposer ou au contraire facilitent-ils des analyses larges qui permettent d’analyser plus clairement des phénomènes complexes qu’il serait plus ardu d’appréhender ailleurs ?
Ces quelques questions, partielles, montrent l’ampleur du travail à accomplir sur ce terrain. L’objectif de cette journée d’étude est de permettre aux chercheurs de présenter leur vision des Djiboutiens et de leurs fabrications sociales dans un dialogue multidisciplinaire. L’enjeu est de permettre la confrontation des approches, d’identifier des thèmes communs et des secteurs non couverts, et surtout de soutenir cette nouvelle dynamique afin d’inciter de nouveaux chercheurs à s’intéresser à ce terrain et, nous l’espérons, d’ouvrir la porte à de futures collaborations et recherches.
[1Villeneuve (Annie, de), « Etude sur une coutume somalie : les femmes cousues », Journal de la Société des africanistes, t.7, fasc. 1, 1937, p. 15-32 www.persee.fr.
[2Brunschwig (Henri), « Une colonie inutile : Obock », Cahiers d’études africaines, vol. 8/1, n° 29, 1968, p. 32-47 www.persee.fr.
[3Rouaud (Alain), « Pour une histoire des Arabes de Djibouti, 1896-1977 », Cahiers d’études africaines, n° 146, vol. 37-2, 1997, p. 319-348 www.persee.fr.
[4Dubois (Colette), Djibouti, 1888-1967 - Héritage ou frustration, Paris, L’Harmattan, 1997, 431 p. ;
Dubois (Colette), L’or blanc de Djibouti. Salines et sauniers (XIXe-XXe siècles), Paris, Karthala, 2003, 267 p.
[5Amina Saïd Chiré (dir.), Djibouti contemporain, Paris, Karthala, 2013, 354 p

dimanche 1 juin 2014

Les relations entre la France et l’Afrique : la dialectique du maître et du valet

Après « Comment la France a perdu l’Afrique », « Sarko en Afrique », écrits avec Stephen Smith, et « Ces Messieurs Afrique : Des réseaux aux lobbies », Antoine Glaser revient une nouvelle fois sur les relations entre la France et son pré-carré dans son nouvel opus : AfricaFrance. Quand les dirigeants africains deviennent les maîtres du jeu.  L'auteur le dit lui-même « je suis devenu, à mon corps défendant, un spécialiste de la « Françafrique » (p.11) ». Nous vous proposons ici une recension de son ouvrage.
Dans AfricaFrance, l’ancien directeur de La Lettre du continent, souhaite déconstruire « l’histoire communément admise » d’un continent soumis à la France. Selon lui c’est « un leurre qui arrange autant Paris que les capitales africaines (…) loin d’être des pantins et des béni-oui-oui, les présidents africains ont su manœuvrer et instrumentaliser leurs « maîtres » à Paris » (p.12-13). Il va même plus loin, ça n’est pas qu’un simple retournement mais une situation qui préexistait déjà sous le Général de Gaulle. L’objectif d’Antoine Glaser est donc de mettre la lumière sur ces manipulations qui ne proviendraient pas toujours de ceux qu’on croit : « les dirigeants africains jonglent ainsi avec les non-dits pour que leurs interlocuteurs gaulois se sentent toujours responsables de leur avenir (…)[ils] se trouvent plus souvent qu’on ne le croit dans une position dominante vis-à-vis du pouvoir français (…) il considèrent [la France] avec la condescendance du « qui paie commande »» (p.17-18).
De l’influence essentielle de Jacques Foccart et de Felix Houphouët-Boigny, « le patron de la Françafrique », au financement des partis politiques, en passant par les réseaux d’influence parisiens (communicants, hommes d’affaires et politiques) activés par les président africains « pour asseoir leur pouvoir en Afrique » (p.41), ou encore le rôle de la franc-maçonnerie, des réseaux de « l’or noir » au Congo et ceux de l’or jaune au Niger, Antoine Glaser décrypte en dix chapitres le passage de la Françafrique à l’AfricaFrance. Chaque chapitre est consacré à l’une des anciennes colonies françaises. L’auteur revient ainsi sur l’arrivée au pouvoir de l’ivoirien Alassane Ouattara et son soutien à l’opération française au Mali, les relations parfois difficile entre François Hollande et Idriss Déby, le président tchadien, les initiatives du président burkinabé qui relèvent « plus souvent qu’on ne le pense de sa propre initiative » et ne sont pas « téléguidées par Paris ». En effet, pour Antoine Glaser « Blaise Compaoré  sait que la France a plus besoin de lui qu’il n’a besoin de la France. En termes d’aide financières, il compte bien plus sur Taïwan que sur l’Hexagone » (p.146). Antoine Glaser analyse aussi la politique du gabonais Ali Bongo plus tournée vers les Etats-Unis que celle de son père. On peut regretter que Djibouti ne soit que rapidement mentionné en conclusion alors même que ce petit Etat de la Corne de l’Afrique illustrerait parfaitement la thèse de l’auteur (p.213).
Les initiés apprécieront les nombreuses anecdotes et les coulisses des relations entre les présidents africains et le pouvoir français dans la période récente (et jusqu’à fin 2013). L’ouvrage est agrémenté d’entretiens des acteurs de ces relations, comme Anne Lauvergeon, Patricia Balme, André Bailleul, Jean-Marc Simon, Michel Roussin, Michel Katz, Georges Serre, Michel de Bonnecorse, Jean-Christophe Rufin, Pierre-André Wiltzer, Robert Bourgi, etc.
Ainsi, malgré les promesses rééditées de ruptures, tant François Hollande que son prédécesseur auraient été « marabouté[s] par l’Afrique et ses dirigeants » (p.209). Le président français serait parfois « l’obligé » de certains présidents africains car « celui qui paie commande ». Antoine Glaser conclue sur les perspectives économiques et les richesses du continent africain qui attirent déjà de nombreux Etats. Il finit par asséner: « Paris n’est plus le donneur d’ordres, mais il ne le sait pas encore. Il se croit encore aimé alors qu’il n’intéresse plus. L’Afrique a changé sans que son « papa » autoproclamé en soit informé » (p.215) or comme l’aimait à le rappeler l’ancien président gabonais Omar Bongo : « La France sans l’Afrique, c’est une voiture sans carburant » (p.42).
A lire d'une traite !

Quelques interviews de l'auteur : 

vendredi 23 mai 2014

La construction de l’Etat, un enjeu clé des études stratégiques sur l’Afrique

L’auteur de ce blog a eu le privilège de participer le 21 mai au séminaire Etudes stratégiques organisé par la DAS et l’IREM. Nous avons présenté trois thématiques qui animent les débats des africanistes en études stratégiques ces dernières années :


1/ D’une part, la régionalisation des conflits. Les travaux sur ce point s’interrogent sur les facteurs explicatifs de la persistance de la conflictualité dans certaines sous-régions  comme dans la région des Grands lacs, dans la région du fleuve Mano, en Afrique de l’Ouest ou, dans une moindre mesure, dans la Corne de l’Afrique.
2/ Les recherches portent aussi sur les modes de résolution des conflits en Afrique et étudient la construction de l’Architecture de Paix et de Sécurité portée par l’Union africaine et s’appuyant sur les communautés économiques régionales. L’échelon régional/supra étatique serait donc perçu comme « l’espace pertinent pour l’action » (Marie-Claude Smouts).
3/Les travaux s’intéressent aussi aux interventions dans les Etats dits faibles.
La question qui découle de ce constat est : de quoi est-ce le symptôme ? Ces trois axes d’études ont pour enjeu l’Etat et plus particulièrement sa construction au sens d’un  effort conscient de créer un appareil de contrôle. Mais c’est également un processus historique largement inconscient et contradictoire fait de conflits, de négociations et de compromis entre les divers groupes composant une société donnée. 

1/ La régionalisation des conflits.

L’analyse régionale des conflits a émergé dans les études de sécurité après la guerre froide. Qu’est-ce qu’un conflit régionalisé ? Des « situations où les pays voisins connaissent des conflits internes ou interétatiques, et avec des liens significatifs entre les conflits ». 

 Ce modèle introduit l’idée que des interactions frontalières seraient des catalyseurs de la propagation des conflits. Des outils conceptuels ont été développés pour analyser ce phénomène : notamment les complexes conflictuels régionaux et les systèmes de conflits. La notion de régionalisation des conflits illustre l'imbrication des aspects extérieurs et intérieurs de la sécurité. Ces conflits perdureraient parce qu’alimentés par des réseaux régionaux. Ils sont au nombre de quatre : « militaire, politiques (par des liens transfrontaliers entre les élites politiques), économiques (par le commerce transfrontalier de marchandises) et sociaux (d’un côté comme de l’autre des frontières nationales, des groupes partagent une même identité) [1]». Le principal facteur explicatif de l’existence d’une régionalisation des conflits serait la faiblesse des États qui le constituent. Le processus de régionalisation des conflits armés serait facilité par des facteurs structurels liés à l’État : ses déficiences, son incapacité à contrôler certaines zones de son territoire qui deviennent des zones grises ainsi qu’un terreau favorable au développement des trafics, et des difficultés à intégrer des populations transfrontalières, entre autres. Les possibilités d’interactions sont plus faciles lorsqu’un État ne contrôle pas son territoire et ses frontières. Les problématiques des États faibles débordent alors souvent de leurs espaces d'origine pour prendre une dimension sécuritaire régionale.

Pourtant, nous adhérons à l’hypothèse de Jean François Bayart, pour qui la régionalisation des conflits peut être interprétée comme l’un des processus de formation de l’État plutôt que comme l’expression de son déclin. Au sens où les groupes en conflit dans la Corne par exemple ne lutte pas contre l’Etat mais pour prendre le contrôle de l’Etat. 

2/ Le régionalisme sécuritaire
Le régionalisme sécuritaire devient une réponse à la régionalisation conflictuelle. Pour rappel, à la suite de la décennie 90 où le continent a été touché par de nombreux conflits, un nouveau principe a émergé « Try Africa first » : « les solutions africaines avant tout ». Aujourd’hui, la nécessité de solutions endogènes aux crises et conflits africains est collectivement assumée. De fait, le rôle dévolu à la régulation par la région est essentiel et devient une pièce maîtresse du système. En effet, l’architecture de sécurité continentale prend appui sur les sous-régions afin de gérer la conflictualité. Cette africanisation de la gestion des conflits reflète aussi l’idée d’un monde post-bipolaire, structuré autour de blocs régionaux qui s’autoréguleraient. 

On observe à la fois dans l’évolution des organisations régionales et dans l’acte de naissance de l’Union africaine, le passage d’une logique visant à protéger les régimes en place à une logique de consolidation de la souveraineté des Etats. L’architecture de l’Union Africaine a essentiellement pour objet de régler les problèmes internes aux États. Et l’ONU a également favorisé ce régionalisme en donnant la possibilité aux organismes régionaux d’assurer le maintien de la paix encadré par le chapitre VIII de la Charte des Nations unies. Donc les organisations africaines se repositionnent dans la gestion des conflits même si cette redéfinition ne tient pas pleinement compte de l’évolution de la nature des menaces, qui touchent aujourd’hui le continent, notamment du terrorisme, comme on a pu le voir dans le cas du Mali en 2012-2013. La problématique malienne a montré les limites du régionalisme. Or la cohérence et la viabilité des Etats est une condition essentielle pour le succès du régionalisme. Les Etats faibles sont plus susceptibles d’avoir des gouvernements non-démocratiques qui seraient particulièrement jaloux de leur souveraineté. De plus, une partie de la souveraineté de ces Etats leur échappe à travers d’autres dynamiques transfrontalières. Et c'est là tout le « paradoxe africain »[2]. Les progrès de l’intégration institutionnelle sont très faibles. En revanche, la régionalisation progresse suivant des logiques différentes et plus rapides. Il faut donc rappeler le rôle majeur joué par l’État comme acteur sécuritaire, comme le rappelle D. Bach « le développement de l’intégration régionale en Afrique passe par la capacité et la volonté des acteurs étatiques à mettre en œuvre des politiques d’intégration internes, seules capables de transformer en logiques vertueuses les effets destructurants de l’intégration régionale par le bas. Il convient de reconstruire l’État avant d’en chercher le dépassement ». 

3/ Les Etats faibles et les interventions extérieures

Les interventions françaises au Mali et en RCA posent aussi cette question de la construction ou de la reconstruction de l’Etat après une intervention. Aujourd’hui, l’idée généralement admises et qui fait consensus est que l’instauration de la paix passe par la construction ou la reconstruction de l’Etat. Il y aurait un lien direct entre peacebuidling et state-building - au sens de renforcement des institutions politiques, administratives et gouvernementales. C’est vrai que depuis le 11 septembre 2001 en particulier, le continent dans son ensemble est décrit de façon globale, comme faible, fragile et exploitable par les terroristes qui pourraient le conquérir. Les discours font des États défaillants des refuges pour les mouvements terroristes. Notez que certains chercheurs ont d’ailleurs démontré qu’il n’y avait pas nécessairement de corrélation entre la place d’un État dans l’index des États faillis  et le nombre d’organisations terroristes hébergées sur son territoire. Par exemple, l’Inde et Israël ont un indice faible dans l’index des États faillis mais hébergent un grand nombre de groupes terroristes. En revanche, en Somalie, pourtant en tête des Etats dits faillis, seuls les Shebabs affiliés à Al-Qaïda figurent en tant que groupe terroriste en Somalie et ils ne représentaient qu’une minorité, avant 2006 et leur essor. Donc si les États faillis peuvent constituer un terreau favorable pour voir émerger (ou servir de base à) des groupes terroristes, il s’avère qu’empiriquement cette hypothèse ne se vérifie pas. C’était juste une petite remarque.


Bref, l’utilisation du terme Etat failli révèle un renversement de perspectives : la guerre ne naitrait plus de la puissance des Etats mais de leur faiblesse. La priorité pour instaurer la paix est de construire ou reconstruire l’Etat. Le state-building est ainsi la principale réponse à la défaillance de l’État. Ce terme désigne l’idée de « la nécessité de reconstituer, sous une forme ou une autre, des unités politiques au sein desquelles, suite notamment à une guerre civile, la structure, l’autorité, la loi et l’ordre politiques se sont précarisés » (Smouts, Battistella, Petiteville, Vennesson). La construction de l’État est un phénomène historique long, donc la stratégie choisie par la communauté internationale est de parvenir à un modèle d’État wébérien comme en Europe, dans un temps plus restreint, et en évitant la longue étape de conflictualité qui accompagne généralement le processus de développement étatique. Or, que ce soit en Irak, en Afghanistan ou en Somalie, il existe peu d’exemple ou le state-building a fonctionné. Si nous ne remettons pas en question les justifications de certaines interventions (Mali, RCA, etc) ou missions de « maintien de la paix », justifiés par un certain degré de violence ou la responsabilité de protéger, la question de l’opportunité d’intervenir dans certains conflits se pose. D’une part parce que, l’efficience  même de cette stratégie d’intervention pour reconstruire l’Etat est questionnée. Par exemple, pour la chercheuse Marina Ottaway: « la communauté internationale a élaboré une liste de prescriptions pour la reconstruction d’État qui est tellement exhaustive qu’elle est impossible à appliquer sur le terrain ». D’autre part, des chercheurs comme Herbst vont plus loin et se demandent si les organisations internationales en voulant reconstruire des États effondrés, dans les conditions qui existaient auparavant, ne font pas que prolonger un état d’effondrement au lieu d’accepter l’existence du nouvel ordre politique créé. Ainsi, l’ONU refuse de considérer que certains États puissent être trop dysfonctionnels à la base, pour être reconstruits. Ce n’est que très récemment que les chercheurs ont cherché à comprendre l'ordre politique des États dits faillis, sans insister sur l’absence d’État mais en tenant compte de ce qui existe réellement.
Il faut donc accepter de déconstruire l’image de l’Etat.  Il ne faut pas s’interdire de penser l’Etat différemment et laisser place à l’innovation et à d’autres formes d’organisation de la société. En Somalie, par exemple, pendant plus de vingt ans la communauté internationale s’est entêtée à vouloir reconstruire un Etat somalien qui avait disparu au début des années 1990 sans s’interroger sur les raisons qui avaient présidé à sa disparition. Si l’on reconnait que la société somalienne, comme l’afghane et la yéménite sont des sociétés segmentaires, où il n’existe pas de structure formelles d’autorité mais que le pouvoir politique est à chaque niveau segmentaire, alors l’Etat, en tant que société politique organisée autour d’un centre de pouvoir, ne semble pas pouvoir émerger là-bas. Mais c’est une erreur aussi de dire qu’il n y a pas de gouvernance possible, et des solutions hybride existent comme au Somaliland (le droit coutumier complète le système juridique, l’ordre politique s’est adapté au système social, etc). Bref en Somalie, l’Etat ne se désintègre pas nécessairement il est en formation sous une autre forme mais c’est aux Somaliens de repenser leur manière de vivre ensemble.
Enfin, nous pensons pertinent de rappeler avec les travaux d’Antonio Giustozzi, que la violence fait partie du processus de formation de l’Etat et nécessite la victoire par la force d’un groupe social sur ses concurrents. Très peu d’Etats ont échappé à ce processus. Cette thèse renvoie à de nombreux travaux de sociologie historique de l’Etat, dont les plus célèbres sont ceux de Charles Tilly pour qui l’Etat fait la guerre et la guerre fait l’Etat. Or, le présupposé courant parmi les décideurs politiques internationaux est qu’un Etat fonctionnel doit émerger d’un compromis politique entre les factions en conflit et donc passe par le partage du pouvoir (comme ce fut le cas au Kenya par exemple). On ne peut malheureusement pas oublier ce facteur "violence" dans la constitution d’un Etat au risque de conduire les interventions à des échecs. 
Pour conclure, le processus de construction et de formation de l’Etat est en cours et est une problématique qui revient dans les travaux sur la régionalisation des conflits, sur le régionalisme sécuritaire ou encore sur le state-building. Il existe deux approches : la première appréhende les crises actuelles comme la conséquence de l’échec de la formation de l’État, et la seconde approche pense ces crises comme faisant partie du processus de formation de l’État comme cela a été le cas pour les pays européens, c’est cette dernière approche que je retiens mais en la nuançant. L’Etat, en tant qu’organisation politique de la société comme on la connaît en Europe, n’est pas une destinée implacable  et d’autres formes peuvent émerger.    

[1] Barnett RUBIN, Andrea ARMSTRONG, and Gloria R. NTEGEYE (eds.), Regional Conflict Formation in the Great Lakes Region of Africa: Structure, Dynamics and Challenges for Policy, New York, Center on International Cooperation, 2001.
[2] James HENTZ, Fredrick SÖDERBAUM et Rodrigo TAVARES, « Regional Organizations and African Security: moving the Debate Forward », in African Security, pp. 206-217.