samedi 11 octobre 2014

La Turquie en Somalie : un concurrent à l’approche globale de l’Union européenne ?

Le général Maurice de Langlois coordonne une nouvelle étude de l'IRSEM : "Approche globale et union européenne : Le cas de la corne de l'Afrique". Contrairement à ce que son titre indique, l'étude porte plus particulièrement sur la Somalie. Nous y proposons une contribution sur la Turquie. Nous vous proposons ici l'introduction :
« Notre destin est lié à celui du peuple somalien » [1], « la Turquie soutiendra toujours les dirigeants et le peuple somalien dans leur cause sacrée » [2], c’est en ces termes que le ministre des Affaires étrangères de la République de Turquie exprimait, à une année d’intervalle, le soutien inconditionnel de la Turquie à la Somalie. Cet activisme est récent. En août 2011, au plus fort de la famine, la visite officielle du Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan, quelques jours seulement après le retrait du mouvement combattant djihadiste Al-Shabaab de Mogadiscio, marque le rapprochement des deux pays[3]. Contrairement aux autres visiteurs internationaux, cantonnés dans des bases militaires ou à l’aéroport, Recep Tayyip Erdoğan marqua sa visite par un tour de la ville et une visite des camps de réfugiés et des hôpitaux. Le Premier ministre turc, surtout,  annonça la réouverture de l’ambassade de Turquie, une première depuis la chute de Siyaad Barré et le cycle de conflits qui suivit. Dans ses discours, il inscrit la politique de son pays en rupture avec celle des autres acteurs internationaux marquée par leurs échecs[4].
La Turquie est un nouvel acteur sur le terrain somalien et son engagement semble conduire à des résultats positifs. Cet engagement, et la manière dont il a été reçu par la population somalienne, peuvent paraître étonnants, d’autant plus que les Somaliens accusent les interventions étrangères d’être la source de la crise que traverse le pays depuis plus de vingt ans. Le conflit somalien est ancien et de nombreux Etats et organisations ont tenté d’y apporter une solution. Les deux dernières décennies de conflits ont vu des clans s’affronter entre eux et des séparatismes s’affirmer (Somaliland et Puntland). Les interventions militaires onusiennes et américaines du début des années 1990 puis l’intervention d’acteurs régionaux (Ethiopie, Kenya) ont été des échecs complets pour les premiers et relatifs les seconds. Pourtant, la crainte d’une radicalisation graduelle de l’islam politique demeure et les liens avec des réseaux terroristes comme Al-Qaïda ainsi que le développement de la piraterie inquiètent. De processus successifs de réconciliation en interventions militaires, la résolution du conflit somalien n’en finit pas. La Somalie vit aujourd’hui une période clé de son histoire contemporaine : la situation sur le terrain se trouve radicalement modifiée depuis le mois d’août 2011 (intervention éthiopienne et recul des shebabs) et, politiquement, la période de transition a touché à sa fin. 
Néanmoins, l’intervention turque est perçue différemment par les Somaliens. Son engagement humanitaire ne fait pas de doute et sa stratégie n’effraie pas contrairement aux autres. Cette bonne image va parfois jusqu’à qualifier la Turquie de « Godsent country ». En fait, Ankara travaille son image d’allié politique mais aussi de soutien à la société civile et à la population. L’arrivée de ce nouvel acteur est perçue de manière contrastée, entre suspicion et étonnement, par les acteurs traditionnels (Union européenne, Etats-Unis, Italie, Royaume-Uni, France).
L’objet de cette communication est de comprendre les ressorts de l’engagement turc en Somalie et analyser s’il peut s’intégrer dans un processus plus global. Parvenir à construire un consensus entre les puissances émergentes et les acteurs plus traditionnels de la sécurité en Afrique sur la façon de travailler dans des Etats en conflit ou en reconstruction, est devenu un enjeu majeur. Depuis le début des années 2000, ces nouveaux acteurs, dont fait partie la Turquie, constituent un « challenge to the development paradigm »[5]. L’émergence de ce nouveau paradigme aura des implications majeures pour les acteurs traditionnels, comme l’Union européenne. Comment analyser le rôle de ce nouvel acteur qui impose son agenda dans le processus de paix ? Nous verrons que la Turquie tient sa légitimité de facteurs à la fois historiques et religieux. Les caractéristiques de l’approche globale qu’elle met en œuvre en Somalie en font un « modèle » qui pourrait concurrencer le modèle européen. Cette approche est aussi contestée pour son unilatéralisme tant dans son principe que par les autres acteurs et dans sa mise en œuvre par les Somaliens eux-mêmes.
La suite est à télécharger gratuitement : ICI
Le sommaire de l'étude

1/ La corne de l’Afrique, une région faillie  par le Général de division (2S) Maurice de LANGLOIS
2/ La mise a l’épreuve de l’approche globale: le cas de la Somalie par le Général de division (2S) Maurice de LANGLOIS
3/ Un concept d'approche globale diversement interprété et politisé  par Florence VU VAN
4/ L'UE et ses partenaires dans la mise en œuvre de l'approche globale : partenariat(s),
complémentarité et rivalité  par Clara EGGER
5/ Une « stratégie globale » ? Atouts et limites de la stratégie de l'UE pour la Corne de l'Afrique par Clara EGGER
6/ La Turquie en Somalie : un concurrent à l’approche globale de l’Union européenne ? par Sonia LE GOURIELLEC
7/ La Chine dans le golfe d’Aden : signe d’une coopération croissante ou prémices d’une politique  de grande puissance ? par Raphaël ROSSIGNOL
8/ Les Etats-Unis dans la Corne de l'Afrique : le rôle du militaire  par Stephen F. BURGESS
9/ Valeur ajoutée pour valeur réelle : combien coûte l’action multidimensionnelle de l’UE dans la Corne de l’Afrique? Par Chantal LAVALLEE
10/ Les enseignements et recommandations


[1] Ahmet Davutoğlu, « Opening Remarks », Somali Civil Society Gathering, Istambul, 27 mai 2012.
[2] Ahmet Davutoğlu, Conférence sur la Somalie, 7 mai 2013, Londres.
[3] En octobre 2013, le Premier ministre somalien Abdu Farah Shirdon a déclaré le 11 août « Turkey-Somalia Day ».
[4] Recep Tayyip Erdogan, « The tears of Somalia », in Foreign Policy, 10 octobre 2011.
[5] Clemens Six, « The Rise of Postcolonial States as Donors : A Challenge to the Development Paradigm ? », in Third World Quaterly, 30 (6), 2009, p.1109-1121.

mercredi 8 octobre 2014

Nouveau : Note de veille Afrique

L'IRSEM (Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole Militaire) lance une nouvelle note de veille. Après les notes de veilles sur les États-Unis de Maya Kandel, cette nouvelle note concerne le continent africain. Les notes de veille « Afrique » de l’IRSEM proposent une sélection des analyses de chercheurs sur l’actualité africaine du mois écoulé en matière de sécurité et de défense.

La première note est en téléchargement libre : ICI


mardi 7 octobre 2014

U235 organise jeudi son premier café-débat stratégique autour de Gérald Bronner. Nous vous y attendons nombreux !


lundi 6 octobre 2014

Enrichissements Hebdos africains

Le nouvel site "u235", auquel ce blog est associé, publie chaque semaine ses Enrichissements Hebdos. Nous reportons ici la partie "africaine" :


La Fondation Mo Ibrahim publie son indice annuel 2014 sur la gouvernance en Afrique. L’Île Maurice reste en tête du classement avec le score global le plus élevé (81,7/100), suivi du Cap-Vert (76,6), du Botswana (76,2), de l’Afrique du Sud (73,3) et des Seychelles (73,2). La Somalie arrive dernière (52e) devant la Centrafrique (51e), l’Érythrée (50e), et le Tchad (49e).

Sur Africa4, Aboubakr Tandia, chercheur junior de la Bayreuth International Graduate School of African Studies, évoque l’échec des organisations régionales et continentales dans la lutte contre le virus Ebola : “la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) n’a pratiquement servi à rien dans cette crise. Alors qu’elle dispose en son sein d’une organisation sous-régionale de santé depuis 1987, en l’occurrence l’Organisation Ouest Africaine de la Santé (OOAS), la CEDEAO semblait être absorbée par la signature des accords de partenariats économiques (APE) avec l’Union Européenne et les problèmes de terrorismes du Nigéria et la crise dans le Sahel au bénéfice premier des États-Unis et de la France”.

Nicolas Gros-Verheyde est l’un des rares à noter la fin d’EUPOL RD Congo. Cette mission de police de l’UE en Afrique est la première de type lorsqu’elle est lancée en 2007.

Comment les Shebabs recrutent-ils ? Selon une nouvelle étude de l’ISS, menée auprès de 88 anciens combattants du groupe, plus que des raisons religieuses c’est le contexte économique qui explique leur ralliement. Cette enquête fait échos à celle parue au début du mois sur la radicalisation au Kenya. Anneli Botha avait alors étudié les raisons pour lesquelles des jeunes kenyans pouvaient rejoindre al-Shabaab et le Mombasa Republican Council (MRC). Pourtant pour le Kenya la menace viendrait toujours de l’extérieur. Un an après la tragique attaque du Westgate Mall au Kenya et malgré les résolutions annoncées, Nairobi n’a aucune stratégie cohérente pour renforcer sa sécurité face au terrorisme. Selon la police anti-terroriste 133 attaques ont touché le Kenya depuis le lancement de l’opération Linda Nchi en Somalie, 264 personnes auraient été tuées et 923 blessées. Pour Jérémy Lind et Patrick Mutahi : ”A strategic response to insecurity must consider many other major internal challenges ranging from land reform, to the structure of the overall economy and accumulation of wealth that excludes most, to the citizenship and rights of minorities and young people. A more nuanced understanding of the problem of worsening security, particularly one that asks the right questions, might lead to more appropriate responses”.

Arte propose une carte interactive de “l’internationale des djihadistes”. Bien que manquant parfois d’actualisation, cette carte est très didactique.

lundi 28 juillet 2014

Enrichissements Hebdos africains

Le nouvel site "u235", auquel ce blog est associé, publie chaque semaine ses Enrichissements Hebdos. Nous reportons ici la partie "africaine" :



1) Dans Africa in Transition, John Campbell observe que, contrairement à d’autres groupes comme l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), Boko Haram n’est pas encore parvenu à se territorialiser mais cela pourrait changer depuis qu’ils ont pris la ville de Damboa. 

2/ Louisa Waugh s’est rendue à plusieurs mois d'intervalle dans le quartier de “cinq kilo” à Bangui. Elle rapporte l’apaisement de la situation centrafricaine notamment dans les quartiers musulmans. La présence permanente des troupes françaises, africaines et européennes, ainsi que les actions de cohésion menées par les ONG locales et internationales permettrait aux centrafricains de réapprendre à vivre ensemble : “These local initiatives are another reason Cinq Kilo is now opening for business, and why security has improved in many parts of Bangui. This small capital is still plagued by tensions and crime, especially at night outside the city centre; but dialogue between communities has started”. Et Louisa Waugh de conclure plus loin : “ "The appalling violence of these last twelve months has never been about Christians versus Muslims; it stemmed from fear between neighbours and communities familiar with living together, but easily manipulated by Seleka, anti-Balaka, and other armed rebels who appropriated their vicious brands of identity based politics for their own ends. The Central African civil society challenge is about communities holding the government to account. A local human rights advocate said these words to me just last week; ‘Some people here are not ready to give their pardon, because they still hear nothing about justice.’ » Dès lors la question au coeur de la reconstruction de l’Etat et du pacte social se pose,comment une société traumatisée par les violences exercées par des groupes quicohabitaient ensemble par le passé peut-elle leur réapprendre à vivre ensemble?

3/ The Duck of Minerva s’entretient avec Séverine Autesserre sur les échecs des interventions de consolidation de la paix à la suite de la publication de son dernier ouvrage Peaceland. Par une méthode ethnographique, sa thèse met en lumière le rôle quotidien des “peacebuilders” : “international interveners’ everyday practices, habits, and narratives undermine their own peacebuilding efforts. One of the many ways these everyday elements preclude successful peacebuilding is by separating expatriates from the populations they are trying to help (...) everyday practices create firm boundaries between international peacebuilders and the populations whose cooperation they need to implement their projects. Social habits – with whom you have after-work drinks, parties, and dinners – can either reinforce these boundaries or break them.”.

4/ Sur Al Jazeera America, Daniel Salomon analyse la vague d’attaques terroristes qui touchent actuellement le sud de la Corne de l’Afrique jusqu’en Tanzanie. Marque-t-elle la résurgence du groupe somalien Al Shabaab ou serait-elle liée à la corruption et à l’absence de réponse des Etats de la région aux difficultés sociaux-économiques locales ? : “It is difficult to untangle the chain of political discontent that precedes recent violence across the region. Local grievances, such as land tenure disputes, often accompany the decay of political and economic institutions. For example, Kenya’s Lamu County, one of the sites of recent attacks, has been the locus of large protests against alleged land grabbing by Kenyan port developers. These issues alone may not prompt new violence by local groups. But if mass abuses continue unmitigated, East African governments could soon find unexpected pockets of their society a fertile recruiting ground for Al-Shabab’s terror network. As violence spirals out of control across the region, governments will likely adopt an increasingly heavy-handed strategy against Al-Shabab and its alleged affiliates. However, selective targeting of minority civilians, as witnessed in Kenya, will not root out the threat. In fact, it will likely make matters worse. Regional leaders must acknowledge the role of local grievances in engendering violent response, and seek more robust opportunities for redress. Land ownership issues, in particular, have proved a powerful trigger for violence, particularly in Kenya and Ethiopia. As the multinational campaign against Al-Shabab falters, the resolution of these local grievances may prove to be a more fruitful path to peace”.

5/ Dans Reinventing Peace, Alex de Waal revient sur le travail du Carnegie Working Group on Corruption and Security publié le mois dernier Corruption: TheUnrecognized Threat to International Security. Ce document démontre que la corruption serait liée à la fragilité des Etats et que les contestations et les insurrections trouvent leurs origines dans l’opposition à la kleptomanie des régimes. Le groupe de Carnegie révèle aussi les différentes étapes de son projet :” an early stage of a project that is beginning to reveal just how deeply the problem of corruption is embedded within international insecurity—and in turn how the remedies must be sought in global systems, not just at the national level”. Pour Alex de Waal s’est un nouvel agenda de recherche qui doit s’ouvrir. Dans son billet il propose d’élargir les cas de conflits liées à la corruption déterminées par le groupe d’études de Carnegie à de nouvelles catégories et sous-catégories qu’il décrit.

6/ Dans son article East Africa rising, Robert D. Kaplan dresse un tableau très optimiste de l’Afrique de l’Est et de la Corne de l’Afrique et conclue : “One thing is clear: Economic change is so ever-present and vibrant throughout East Africa that the region's geographical orientation itself may be changing. Rather than be part of a once-lost and anarchic continent, the area from Mozambique north to Ethiopia may be in the process of becoming a critical nodal point of the dynamic Indian Ocean world”.

mardi 8 juillet 2014

De l'imposture à la pseudo censure

Dans son dernier billet Jean Dominique Merchet note : "Attaché à la liberté d'expression, je trouve détestable que quelqu'un - un intellectuel en l'occurrence - soit exclu, voire sanctionné, pour ses idées fussent-elles détestables. Et je considère sans hésitation que celles d'extrême-droite, mues par la haine, le sont. Mais je ne suis pas convaincu que Bernard Lugan ne disent que des sottises sur les sujets dont il a fait profession d'étudier et de vulgariser". Passé une petite toux de gêne mêlée de consternation face à cette complaisance et cette méconnaissance, nous vous proposons une petite réflexion sur l’imposture que nous a inspiré ce petit événement.

L’imposteur a plusieurs visages. Il se cache… non il ne se cache pas, c’est bien ce qui le caractérise d’ailleurs, il « apparaît » sous les traits d’un philosophe faiseur d’opinion, d’un chercheur marginalisé ou d’un pseudo expert habitant les plateaux télé. Comment détecter l’imposteur ? Pour Roland Gori plusieurs critères doivent nous alerter : « faire prévaloir la forme sur le fond, valoriser les moyens plutôt que les fins, se fier à l'apparence et à la réputation plutôt qu'au travail et au courage, préférer la popularité au mérite, opter pour le pragmatisme avantageux plutôt que le courage de l'idéal, choisir l'opportunisme de l'opinion plutôt que tenir bon sur les vertus, chérir le semblant et ses volutes plutôt que la pensée critique, les 'mouvements de manche' plutôt que la force de l'œuvre ». Nos sociétés seraient un terreau idéal de prolifération de ces imposteurs. Nous pourrions les laisser répandre leurs bêtises à longueur de médias, mais il est parfois bon de laisser parler sa colère pour éviter de voir ces imposteurs à la pensée stérile, confisquer le débat et scléroser la réflexion. Portrait d’un imposteur type :

Le chercheur marginalisé par la communauté scientifique

Le chercheur marginalisé se dit chercheur mais sans en adopter la rigueur intellectuelle et la démarche méthodologique. Il se caractérise par sa mauvaise foi intellectuelle que certains qualifieront charitablement de biais de confirmation au sens où il interprète les faits pour leur faire dire ce qu’il souhaite, ou par un biais de sélection en ne choisissant que les faits qui appuient sa thèse. Se gargarisant d’aller à l’encontre de la « bien pensance », il dénigre les autres chercheurs qui seraient tombés dans le « prêt-à-penser ». Alors même que la méthodologie scientifique invite à être contre intuitif et à aller à l’encontre des idées reçues. Cependant cette défiance n’est pas cohérente, et le chercheur marginalisé ne propose que du « prêt-à-penser alternatif», autrement dit : le contraire de l’erreur ne saurait, de ce simple fait, être une vérité. Surtout lorsque le chercheur marginalisé procède fréquemment en caricaturant les propos de ceux qu’il décrie. Ces imposteurs disent rechercher et comprendre l'essence, l'origine, la réalité, des choses du monde. Or, la recherche de l’essence des choses, dans le domaine des sciences humaines et sociales, est une voie bien dangereuse, où l’esprit sage ne se lance qu’en devinant d’emblée son impuissance, là où l’esprit faible ou l’imposteur, à la constante recherche de vérités, tombe trop souvent dans la dangereuse caricature de la pensée d’autrui, avec tous les risques que cela comporte. Le principal problème est que ce pseudo chercheur sévit dans certains milieux et, pire, a parfois la responsabilité de former nos étudiants ou nos jeunes recrues. Ces jeunes ont alors le droit à des bibliographies où ne figurent que les travaux de notre imposteur. Or, un véritable chercheur n’existe qu’au sein d’une communauté où ses idées sont débattues, et ses travaux n’ont de valeur que s’ils sont évalués et soumis à la critique professionnelle. 
Ce « chercheur » avance comme argument imparable qu’il a « fait du terrain » et sait donc de quoi il parle (a priori de 54 Etats). Il est démontré qu’avoir été dans un pays permet indéniablement de dire qu’on a compris ce pays tant socialement, que politiquement et économiquement. Argument incontournable qui permet de rendre légitimes ses propos parfois racistes et permet de faire taire ce naïf interlocuteur qui ose contester l'argument selon lequel les noirs sont vraiment barbares. De plus, ce pseudo expert se dit la victime d’un complot et surtout d’être jalousé par les chercheurs. (Les quoi ?) Surtout le chercheur refuse de voir des choses évidentes selon notre pseudo chercheur: la place majeure (exclusive ?) de l’ethnie en Afrique, par exemple, LE facteur explicatif de tous les conflits du continent. Les acteurs africains étant ce qu’ils sont, cette analyse les déresponsabilise. Les crises du continent africain ne sont ainsi pour lui pseudo-penseur autoproclamé que le résultat de clivages ethniques ataviques : des tueries et des barbaries spontanées sans dimension politique ni instrumentalisation. Bref, aussi élitiste que cela puisse paraître, on ne s’invente pas intellectuel. D’ailleurs, Olivier Schmitt s’interrogeait sur ce point dans le n°100 de DSI : « Imagine-t-on un Professeur des Universités en science politique postuler à l’emploi sous-chef « Relations Internationales » de l’état-major des armées, sous le prétexte que son expertise scientifique est certainement transférable et qu’il fera aussi bien l’affaire que n’importe quel général ? Il lui serait certainement objecté, avec raison, que l’emploi nécessite des compétences spécifiques. Et bien l’inverse arrive tous les jours quand des apprentis auteurs se piquent de travail intellectuel sans en maîtriser les  règles de base qui sont la maîtrise du corpus scientifique existant et l’application des règles méthodologiques dans la conduite de la recherche. » Il n’est pas question ici de promouvoir ce que Benoist Bihan qualifie de " despotisme des experts et une forme de totalitarisme de la pensée" dans l’avant dernier DSI et de ne réserver le droit de penser qu’à certains groupes bien définis. En effet, Benjamin Constant avait raison lorsqu’il constatait que les élites se trompent aussi et ne sont pas détentrice de la vérité, aussi il était préférable de se tromper à plusieurs, ce qui était le socle de la démocratie. Ce que nous dénonçons c’est l’anti-intellectualisme comme posture pour promouvoir du « prêt à penser alternatif » et le scepticisme (« puisqu’il n’y a pas de vérité on peut penser ce que l’on veut ») comme justificatif ; un populo-maoïsme-new-age en toc, en quelque sorte.

mercredi 2 juillet 2014

Génocide rwandais : les réponses de François Léotard

Nous assistions, ce lundi 30 juin, à un colloque organisé par l'association RBF-France Forum de mémoire : « Rwanda : Réflexions sur le dernier génocide du XXèmesiècle » devant une assemblée très engagée, composée de rescapés, de personnalités médiatiques (Sonia Roland) et politiques (l’ambassadeur du Rwanda en France). 
La première table ronde « stigmatiser, exclure, éradiquer. La logique génocidaire, de la planification à l’extermination » s’est avérée assez décevante pour une raison principale: la présence d’un seul africaniste (Gérard Prunier) sur une table ronde constituée uniquement d’historiens. L’intervention de Gérard Prunier avait pour but de rappeler la méconnaissance française et internationale des spécificités politiques, culturelles, et ethniques du Rwanda avant, pendant et après le génocide, mais aussi de refuser les approches comparatistes de l’étude du phénomène génocidaire. Or, c’était bien là l’objectif de cette table ronde qui réunissait Jacques Sémelin, Tal Bruttmann (spécialiste de la Shoah) et Raymond Kevorkian (spécialiste du génocide Arméniens). La définition du génocide est restée celle retenue par la Convention de 1948 alors même que les chercheurs ont élargit cette définition aux actions génocidaires. De fait, cette table ronde est restée assez superficielle et décevante pour celui qui souhaitait, soit avoir une présentation de la recherche académique sur le phénomène génocidaire, soit une analyse du génocide rwandais. Alors que la salle souhaitait élargir le débat sur la prévention des génocides, elle semble être restée sourde aux appels de Gérard Prunier des évènements se déroulant actuellement, dans le silence médiatique, au Soudan.

La deuxième table ronde semblait particulièrement attendue par le public et pour cause, François Léotard, ancien ministre de la Défense, intervenait pour la première fois sur l’opération Turquoise, aux côtés de Bernard Kouchner et de Nicolas Poincaré, journaliste à Europe 1, présents au Rwanda en 1994.
François Léotard a introduit son intervention en rappelant que les deux victimes de ces débats étaient : la vérité et la responsabilité. Seules trois institutions en France peuvent approfondir la vérité : l’Université, la Justice et le Parlement. Sur l’opération Turquoise il a rappelé en être responsable « avec fierté », « nous avons fait ce que nous pouvions et ce que nous devions faire (…) la gestion de l’armée française est irréprochable »  car elle s’est déroulée dans le respect de la personne, le refus du meurtre (il n’y a pas eu de morts Français ce qui prouverait que la France n’a pas participé aux combats), la déontologie militaire a été respectée. Nicolas Poincaré s’est montré plus nuancé : « ni les militaires, ni les humanitaires, ni les journalistes n’ont été sans reproche surtout pendant l’opération Amaryllis». Il prend l’exemple du colonel Tauzin qui fût de fait un temps dirigeant de l’armée rwandaise avant le génocide et en première ligne au début de l’opération Turquoise.
Tous les intervenants se sont entendus sur le rôle du Rwanda dans la politique africaine de la France à l’époque et sur le complexe de Fachoda qui pouvait exister, confirmé par l’attitude américaine dans la région. Le principal sujet de discorde entre François Léotard et le reste de la salle a concerné la responsabilité politique de la France, précisément le choix de son allié. Pourtant, finalement, les intervenants étaient d’accord : il n’y a pas eu de faute militaire mais des erreurs politiques. Pour l’ancien Ministre de la défense, la France n’a pas choisi de soutenir un homme, certes disqualifié, mais la stabilité. L’erreur politique vient de Mitterrand qui est « né avec une autre France, et une autre Afrique ». Il a rejoint les critiques de Gérard Prunier qui, quelques minutes plus tôt, comparait l’ancien Président de la Vème République à un maurassien. Pour Bernard Kouchner les relations entre la France et le Rwanda relevaient depuis des années d’un compagnonnage qui a évolué défavorablement.
L’autre point d’accord, relayé par la presse le lendemain (ICI, ICI, ICI) portait sur la transparence. Pour François Léotard : « aucune raison d’invoquer le secret défense dans cette affaire ». Il s’est même dit prêt à aller voir le Ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, en compagnie de Bernard Kouchner, pour obtenir les documents relevant du ministère de la Défense. On pourra reprocher à l'ancien ministre de la Défense de s’être parfois laissé emporter dans la provocation face à une assemblée hostile notamment :

1/ lorsqu’il refusa de critiquer la mission d’information parlementaire de 1998 – Kouchner rappela qu’il a été interrogé par cette mission mais que ses questions n’ont pas été publiées- ;
2/ lorsqu’il loua les travaux de Pierre Péan et Bernard Lugan, deux « spécialistes » marginalisés par la communauté scientifique et qualifié par Kouchner de « faux-témoins absolus »;
3/ lorsque, de façon condescendante, il affirma : « je considère que ce qui a été fait par la France est à son honneur (…) nous avons sauvé des dizaines de milliers de vie, ça suffit au bilan » ;
4/ lorsqu’il se montra particulièrement imprécis sur les évènements à Bisesero ;
5/ lorsqu’il évita de répondre à plusieurs reprises à Bernard Kouchner : pourquoi avoir disposé l’opération Turquoise sur la route de l’exode des Hutus plutôt qu’à Kigali ? Il rappela alors que ce type de choix relevait de l’exécutif.

En revanche, il était appréciable d’avoir le rappel du contexte complexe dans lequel il évoluait : de nombreux conscrits étaient alors engagés dans le siège de Sarajevo ; l’achèvement de la rédaction du Livre Blanc (« Turquoise n’était pas une hypothèse de travail ») ; les conditions d’opération (le stress et le manque d’information) ainsi que le processus décisionnel français. On notera également que l’ancien Ministre de la Défense a reconnu avoir pu être abusé par des acteurs locaux qui lui auraient donné des informations erronées de la situation sur le terrain.
Les commémorations du génocide se poursuivent, pour aller plus loin : 
- une sélection d'article académiques proposées par Taylor & Francis ICI
- 4 émissions spéciales de La Fabrique de l'Histoire sur France Culture consacrée au Rwanda après un voyage d'étude réalisé en avril 2014 par une équipe de chercheurs. ICI

samedi 7 juin 2014

La piraterie en BD, notes de lecture

Après le cinéma et les célèbres Captain Phillips et Hijacking, c’est au tour de la BD de s’emparer de la thématique de la piraterie. Paru en avril 2014, Black Lord. Somalie : année 0 (Tome 1), retrace les mésaventures de Maxime Stern, skipper du Queen Lucy, un yacht de luxe arraisonné par des pirates Puntlandais.
Le héros désabusé conduit un groupe de touristes Français qui fêtent les 18 ans de la fille d’un riche homme. En s’approchant trop près des côtes somaliennes, les touristes sont pris en otages par des pirates alors que Maxime Stern parvient à s’enfuir. Recueillis par une famille de pécheurs dont le père de famille, Djad, compte l’aider à rejoindre la France, Maxime va découvrir les origines et les enjeux de la piraterie dans ce pays de la Corne de l’Afrique, privé pendant vingt ans de gouvernement. Si la BD traite peu de relations internationales, elle distille au fil des planches la réalité de cette piraterie contemporaine. Des déchets toxiques, au pillage des eaux par des pêcheurs étrangers, en passant par les effets néfastes et coûteux du khat, cette BD d’action ressemble à un roman photo ou à un story board d’un film de Bruce Willis. Les dessins hyper réalistes de Jean-Michel Ponzio (il a utilisé des photos retravaillées) donne à cette BD toute son originalité et en fait selon les mots de Guillaume Dorison une véritable « fresque fictionnelle (inspirée de faits réels mélangés) ». Si la lecture vous fera passer un bon moment tant le scenario est bien pensé mêlant action et suspens, la description faite de la société somalienne et des Somaliens peut paraître surprenante, pour ne pas dire décevante, car très peu crédible : l’habitat du pécheur Djad, les relations entre Aisa sa fille et Churchill le n°2 des pirates, des pêcheurs Somaliens qui ressemblent bien souvent à des Nigérians etc.
Quelques extraits : 



mardi 3 juin 2014

Annonce Journée d'études : "Les Djiboutiens saisit par les sciences sociales"


Nous relayons ici l'annonce d'une conférence intitulée "Les Djiboutiens saisit par les sciences sociales" qui se tiendra se samedi 7 juin à Paris (centre Malher), organisée par Simon Imbert-Vier (avec le soutien de l'IMAF). 

Vous trouverez ci-dessous le programme et la présentation des organisateurs.

Programme
Animation des débats : Colette Dubois (IMAF)
9h30 : accueil
10h : introduction de la journée, par Simon Imbert-Vier
- Amina Saïd Chiré (Université de Djibouti), « L’habiter dans tous ses états : urbanitéversus nomadisme. Forces et faiblesses de la géographie djiboutienne »
- Laurent Jolly (LAM), « Les Djiboutiens, un objet d’étude pertinent pour la micro-analyse sociale ? »
12h30 : Déjeuner
14h : reprise
- Emilie Saussay (Paris 1), « Les sources sur le syndicalisme à Djibouti : une question nationale ? »
- Simon Imbert-Vier (IMAF), « Au-delà des catégories, vers une histoire des “Djiboutiens” »
- Samson Bezabeh (EHESS), « Dépasser les représentations coloniales : nouvelles directions pour les études djiboutiennes »
Conclusion par Colette Dubois (IMAF)
Présentation
Même si le premier texte qu’il est possible de rattacher aux sciences sociales concernant les habitants de ce qui était alors la Côte française des Somalis a été publié en 1937 [1], les sociétés de ce territoire ont longtemps échappé à l’intérêt des scientifiques. Peut-être le titre de l’article publié par Henri Brunschiwg en 1968 (« Une colonie inutile : Obock » [2]), n’a-t-il pas soutenu les vocations. Les habitants de ce petit territoire aride, faiblement peuplé, périphérique aux empires, escale stratégique et nœud de circulation, n’ont longtemps intéressé que les militaires, les administrateurs coloniaux et les journalistes, si ce n’est une étude d’Alain Rouaud publiée tardivement [3] et quelques travaux de maîtrises. Il faut attendre 1997 pour que Colette Dubois publie une première synthèse historique documentée de la période coloniale, avant de poursuivre un travail de défrichage du terrain [4].
Ces recherches précèdent un développement général des études sur Djibouti, mis en évidence par la publication en 2013 d’un panorama des « études djiboutiennes » qui montre aussi la faiblesse des analyses sociales [5]. Cependant, Djibouti et ses habitants sont bien en train de devenir des objets des sciences sociales ; les chercheurs qui participent à cette journée s’y consacrent.
La société djiboutienne est aujourd’hui traversée de tensions et de représentations qui s’opposent, parfois violemment. Il est nécessaire de poursuivre leur étude pour aller au-delà des lieux communs et proposer, en particulier à la jeunesse djiboutienne, des systèmes d’explications et d’analyses qui l’aident à comprendre son environnement et à prendre en main son destin. Les catégories de la société djiboutienne ont commencé à être déconstruites et problématisées. Jusqu’où doit se poursuivre ce mouvement et quels outils conceptuels serait-il utile de mettre en place ? D’autres catégories, et les relations qu’elles entretiennent, sont absentes des études (genre, esclaves, oromos, travail, salariat…), quelles stratégies pour les y intégrer ? Comment les études sur les Djiboutiens peuvent-elles profiter des avancées, des questionnements et problématiques de la recherche d’aujoud’hui dans nos différentes disciplines ? Ce terrain se caractérise en particulier par son espace restreint, son invention récente, la fabrique identitaire qui s’y déroule, la diversité et la faible importance numérique de sa population, son rôle dans les circulations internationales, etc. Ces éléments réduisent-ils la portée des conclusions que l’ont peut proposer ou au contraire facilitent-ils des analyses larges qui permettent d’analyser plus clairement des phénomènes complexes qu’il serait plus ardu d’appréhender ailleurs ?
Ces quelques questions, partielles, montrent l’ampleur du travail à accomplir sur ce terrain. L’objectif de cette journée d’étude est de permettre aux chercheurs de présenter leur vision des Djiboutiens et de leurs fabrications sociales dans un dialogue multidisciplinaire. L’enjeu est de permettre la confrontation des approches, d’identifier des thèmes communs et des secteurs non couverts, et surtout de soutenir cette nouvelle dynamique afin d’inciter de nouveaux chercheurs à s’intéresser à ce terrain et, nous l’espérons, d’ouvrir la porte à de futures collaborations et recherches.
[1Villeneuve (Annie, de), « Etude sur une coutume somalie : les femmes cousues », Journal de la Société des africanistes, t.7, fasc. 1, 1937, p. 15-32 www.persee.fr.
[2Brunschwig (Henri), « Une colonie inutile : Obock », Cahiers d’études africaines, vol. 8/1, n° 29, 1968, p. 32-47 www.persee.fr.
[3Rouaud (Alain), « Pour une histoire des Arabes de Djibouti, 1896-1977 », Cahiers d’études africaines, n° 146, vol. 37-2, 1997, p. 319-348 www.persee.fr.
[4Dubois (Colette), Djibouti, 1888-1967 - Héritage ou frustration, Paris, L’Harmattan, 1997, 431 p. ;
Dubois (Colette), L’or blanc de Djibouti. Salines et sauniers (XIXe-XXe siècles), Paris, Karthala, 2003, 267 p.
[5Amina Saïd Chiré (dir.), Djibouti contemporain, Paris, Karthala, 2013, 354 p

dimanche 1 juin 2014

Les relations entre la France et l’Afrique : la dialectique du maître et du valet

Après « Comment la France a perdu l’Afrique », « Sarko en Afrique », écrits avec Stephen Smith, et « Ces Messieurs Afrique : Des réseaux aux lobbies », Antoine Glaser revient une nouvelle fois sur les relations entre la France et son pré-carré dans son nouvel opus : AfricaFrance. Quand les dirigeants africains deviennent les maîtres du jeu.  L'auteur le dit lui-même « je suis devenu, à mon corps défendant, un spécialiste de la « Françafrique » (p.11) ». Nous vous proposons ici une recension de son ouvrage.
Dans AfricaFrance, l’ancien directeur de La Lettre du continent, souhaite déconstruire « l’histoire communément admise » d’un continent soumis à la France. Selon lui c’est « un leurre qui arrange autant Paris que les capitales africaines (…) loin d’être des pantins et des béni-oui-oui, les présidents africains ont su manœuvrer et instrumentaliser leurs « maîtres » à Paris » (p.12-13). Il va même plus loin, ça n’est pas qu’un simple retournement mais une situation qui préexistait déjà sous le Général de Gaulle. L’objectif d’Antoine Glaser est donc de mettre la lumière sur ces manipulations qui ne proviendraient pas toujours de ceux qu’on croit : « les dirigeants africains jonglent ainsi avec les non-dits pour que leurs interlocuteurs gaulois se sentent toujours responsables de leur avenir (…)[ils] se trouvent plus souvent qu’on ne le croit dans une position dominante vis-à-vis du pouvoir français (…) il considèrent [la France] avec la condescendance du « qui paie commande »» (p.17-18).
De l’influence essentielle de Jacques Foccart et de Felix Houphouët-Boigny, « le patron de la Françafrique », au financement des partis politiques, en passant par les réseaux d’influence parisiens (communicants, hommes d’affaires et politiques) activés par les président africains « pour asseoir leur pouvoir en Afrique » (p.41), ou encore le rôle de la franc-maçonnerie, des réseaux de « l’or noir » au Congo et ceux de l’or jaune au Niger, Antoine Glaser décrypte en dix chapitres le passage de la Françafrique à l’AfricaFrance. Chaque chapitre est consacré à l’une des anciennes colonies françaises. L’auteur revient ainsi sur l’arrivée au pouvoir de l’ivoirien Alassane Ouattara et son soutien à l’opération française au Mali, les relations parfois difficile entre François Hollande et Idriss Déby, le président tchadien, les initiatives du président burkinabé qui relèvent « plus souvent qu’on ne le pense de sa propre initiative » et ne sont pas « téléguidées par Paris ». En effet, pour Antoine Glaser « Blaise Compaoré  sait que la France a plus besoin de lui qu’il n’a besoin de la France. En termes d’aide financières, il compte bien plus sur Taïwan que sur l’Hexagone » (p.146). Antoine Glaser analyse aussi la politique du gabonais Ali Bongo plus tournée vers les Etats-Unis que celle de son père. On peut regretter que Djibouti ne soit que rapidement mentionné en conclusion alors même que ce petit Etat de la Corne de l’Afrique illustrerait parfaitement la thèse de l’auteur (p.213).
Les initiés apprécieront les nombreuses anecdotes et les coulisses des relations entre les présidents africains et le pouvoir français dans la période récente (et jusqu’à fin 2013). L’ouvrage est agrémenté d’entretiens des acteurs de ces relations, comme Anne Lauvergeon, Patricia Balme, André Bailleul, Jean-Marc Simon, Michel Roussin, Michel Katz, Georges Serre, Michel de Bonnecorse, Jean-Christophe Rufin, Pierre-André Wiltzer, Robert Bourgi, etc.
Ainsi, malgré les promesses rééditées de ruptures, tant François Hollande que son prédécesseur auraient été « marabouté[s] par l’Afrique et ses dirigeants » (p.209). Le président français serait parfois « l’obligé » de certains présidents africains car « celui qui paie commande ». Antoine Glaser conclue sur les perspectives économiques et les richesses du continent africain qui attirent déjà de nombreux Etats. Il finit par asséner: « Paris n’est plus le donneur d’ordres, mais il ne le sait pas encore. Il se croit encore aimé alors qu’il n’intéresse plus. L’Afrique a changé sans que son « papa » autoproclamé en soit informé » (p.215) or comme l’aimait à le rappeler l’ancien président gabonais Omar Bongo : « La France sans l’Afrique, c’est une voiture sans carburant » (p.42).
A lire d'une traite !

Quelques interviews de l'auteur :