samedi 10 janvier 2015

Forum pour la Paix et la Sécurité ...dans le Sahel


Le Sénégal a accepté d’accueillir la première édition de ce Forum informel. Inspiré du Forum de Manama, du Shangri-la Dialogue à Singapour, de la Conférence de Munich ou encore celle d’Halifax, le Forum de Dakar aspire à devenir pérenne. Ce premier objectif semble avoir été atteint puisque Macky Sall, le président sénégalais, a conclu le Forum par ce verdict : « la parole s’est libérée ce soir, rendez-vous dans un an. Inch’Allah ». La réunion avait également pour ambition de faire dialoguer politiques, experts, chercheurs et acteurs de la société civile concernés par les questions de paix et de sécurité en Afrique. Le Forum n’avait donc pas la prétention de prendre des décisions mais de poser les bases d’un nouveau rendez-vous sécuritaire. Peut-on considérer que ce Forum constitue une nouvelle forme de dialogue et « marquera un tournant » comme le souhaitait Cheikh Tidiane Gadio ? Est-il parvenu à poser les bases d’une vision ou d’une défense commune entre Africains ? 
 Le terrorisme est la menace qui a monopolisé les débats. L’existence de cette menace transnationale a préoccupé les participants, inquiets de la faible capacité des Etats à coopérer et à mutualiser leurs moyens pour la combattre.  La situation sécuritaire au Mali et en Libye était le sujet incontournable des échanges. Tous les intervenants s’accordent sur la menace que représente la Libye pour la région. Ainsi, la responsabilité occidentale dans la déstabilisation régionale depuis l’intervention de l’OTAN en Libye en 2011 est revenue à de nombreuses reprises. Les participants africains ont appelé les Occidentaux à prendre leurs responsabilités. Le Forum s’est d’ailleurs clôturé sur la longue diatribe du président tchadien Idriss Deby appelant l’OTAN à intervenir et à « finir le travail ». Jean-Yves Le Drian l’a ensuite rappelé à ses responsabilités : « le Tchad vient de tracer la feuille de route, l’exécutif est là. Comme disait ma grand-mère : il n’y a plus qu’à faire ». La menace liée à l’extension du champ d’activité de Boko Haram a également été évoquée. Le ministre de la Défense français, Jean-Yves Le Drian, a proposé « la mise en place d’un comité de liaison de nature militaire entre les autorités de ces quatre pays [Cameroun, Niger, Nigeria, Tchad], pour aider à coordonner leur action et leur capacité de riposte, et nous mettons à leur disposition plusieurs officiers […] susceptibles de les accompagner à cet égard ». Cette initiative vise, entre autres, à unir les Etats dans la lutte via le partage de renseignements alors même que le déploiement de 2800 soldats promis le long des frontières communes pour fin novembre est à peine entamé.
La deuxième journée était consacrée à l’appropriation africaine et aux partenariats avec les acteurs sécuritaires internationaux militaires et civils. La coopération est le seul moyen de contenir la menace terroriste. Elle implique tous les Etats africains, ainsi que leurs partenaires internationaux. Ainsi, tous ont reconnu et remercié la France pour son intervention « salutaire » au Mali, tout en invoquant la nécessité d’une appropriation africaine que la France elle-même demande. Jean-Yves Le Drian l’a confirmé « Barkhane est un accélérateur de coopération ». Il invite également les Nations Unies, l’Union européenne, les États-Unis mais également la Chine et le Japon, tous présents au Forum, « à faire de la coopération la règle et non plus l’exception ». Les partenaires internationaux étaient notamment représentés par Zhon Jianhua, l’envoyé spécial de la Chine pour l’Afrique, qui a expliqué que son pays avait « une histoire de conflits mais aussi une histoire de solutions ». Le Japon a été, à plusieurs reprises, remercié pour l’aide financière apportée à l’organisation du Forum (20%). Le sous-secrétaire adjoint à la Défense des Etats-Unis, Amanda Dory a évoqué la coopération forte avec la France dans la zone sahélienne. Le représentant de l’Union européenne a reconnu que le Sahel était une priorité de l’Union européenne et appartenait à son voisinage immédiat. Un ancien ministre tunisien a d’ailleurs évoqué l’émergence d’une zone sahélo-magrébine. Le Sahel est entré de plein pied dans l’espace géostratégique méditerranéen ce qui constitue une nouvelle donne.
 Les réponses africaines sont encore balbutiantes et l’opérationnalisation de la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC[1]) et des Forces Africaines en Attente (FAA) a été posé comme un défi dans l’un des ateliers. Les difficultés de financement sont revenues à de nombreuses reprises dans les débats. A ce titre, l’ancien président du Nigeria, Olusegun Obasanjo, qui doit publier un rapport sur le financement de la paix et de la sécurité en Afrique, a pris la présidence d’un atelier sur la question et a rappelé que le financement doit être « une affaire africaine ». Idriss Déby lui-même est revenu lors de la clôture sur la nécessité d’un financement africain pour permettre l’appropriation de la sécurité. Toutefois, les difficultés ne sont pas uniquement financières et un ancien ministre a expliqué que la coordination et la bonne volonté étaient essentielles. « On parle beaucoup, on fait peu » a-t-il ajouté. Selon lui, les problèmes sécuritaires au Sahel seraient en partie résolus si l’Algérie et le Maroc coopéraient et se coordonnaient. Au-delà, la lutte contre le terrorisme reproblématise la question de l’État en Afrique. Jean-Marie Guéhenno, président de l’International Crisis Group, l’a évoqué : la « fragilité de l’État » est au cœur de la problématique. Face à ce constat certains participants ont appelé à dépasser l’État pour créer les États-Unis d’Afrique. En réponse, d’autres leur ont répondu qu’avec les défis actuels il fallait se garder de conclure que « l’État est terminé » car une autre forme d’État menacerait : le Califat. Jean-Yves Le Drian a d’ailleurs insisté sur l’importance de développer des armées africaines solides et des États forts : « La sécurité se construit à l’échelle d’un État. Pour une architecture régionale forte il faut des fondement solides ».
Le Forum confirme être un lieu de coopération, de dialogue et de sociabilisation nécessaire. A ce titre, il peut être considéré comme un succès diplomatique. En effet, le Forum a accueilli le double de participants qu’initialement prévu. Ainsi, entre 350 et 400 personnalités politiques de haut niveau, des militaires, de nombreux académiques, dont douze organisations internationales et une centaine de journalistes se sont retrouvés à l’Hôtel King Fahd de Dakar. Les participants ont applaudis la « liberté de parole » qui a accompagné ces deux jours de forum. Smaïl Chergui, le Commissaire à la Paix et à la Sécurité de l’Union africaine a salué « un dialogue au service de la paix universelle ». Le principe de « Chatham House », instauré lors des ateliers pour assurer leur caractère informel, y a sûrement contribué. Les rencontres bilatérales et les entretiens en marge du Forum ont probablement permis des échanges porteurs. Néanmoins, on notera un certain climat de scepticisme et de doute chez les participants concernant les ambitieuses déclarations de coopération, de mutualisation et d’appropriation en l’absence de gouvernance démocratique. Selon le chercheur Roland Marchal (sur RFI), il ne faut pas être spécialement pessimiste. Les Etats de la région ont une certaine capacité à répondre à ces défis. Néanmoins, la communauté internationale ne tire pas suffisamment les leçons des expériences afghanes syriennes et somaliennes, au risque de reproduire les mêmes erreurs. Il souligne le risque d’avoir un débat un peu trop stéréotypé, trop sécuritaire, trop militaire. Il faut pousser le débat au-delà des accords trop flous de façon à ce que des solutions originales soient trouvées. Le Forum pour la Paix et la Sécurité en Afrique aspirait également à avoir, comme son nom l’indique, une portée continentale. Néanmoins, on peut regretter que les conflits soudanais, somalien, congolais, et même centrafricain n’aient été abordés ou l’ont été à la marge. De même, le Forum a souffert de l’absence d’acteurs continentaux majeurs. Ainsi, le Kenya, l’Afrique du Sud ou encore la République Démocratique du Congo n’étaient pas représentés. Il en est de même du Soudan et de l’Egypte qui prônent pourtant une intervention en Libye. L’Ethiopie, l’Ouganda et le Nigeria n’ont envoyé qu’un représentant (respectivement le conseiller du Premier ministre, le Chef d’état-major des armées et l’ancien Président). Certains participants ont également souligné la surreprésentation des pays francophones. Le Forum semble donc plus concerner les États du Sahel que le continent africain dans sa globalité comme l’atteste la présence de quatre Présidents sahéliens lors du panel de clôture.
 L’africanisation de la gestion des conflits, retenue comme la principale conclusion du Forum, est une idée qui a émergé au lendemain de la guerre froide. Elle reflète l’idée d’un monde post-bipolaire,  structuré autour de blocs régionaux qui s’autoréguleraient. Vivement critiquée pour ses difficultés, et une nouvelle fois au Forum, la construction d’une architecture de paix et de sécurité s’inscrit  dans  le  temps long des grandes évolutions politiques. Dans un contexte de contraintes capacitaires sur le continent, la question est de savoir si la prévention, la gestion des conflits et des périodes post-conflits sont une réalité ou simplement du ressort du discours. Ce Forum s’il se pérennise véritablement apportera peut-être « une « nouvelle pierre », qui manquait encore, à l’édifice de l’APSA », comme le préconisait Jean-Yves Le Drian. Il a révélé la difficulté de trouver l’acteur essentiel à la gestion de crise sur le continent au niveau régional ou continental, dans une période où la menace évolue et défie des États déjà fragiles. Il a permis de réunir un large panel de spécialistes des questions sécuritaires sur le continent. Jean-Yves Le Drian le reconnaît : « L’Afrique a besoin de lieu de débat où se cristallise le consensus ». Néanmoins, ce Forum ne doit pas rester une nouvelle initiative de dialogue et devra, à l’avenir, aborder les questions de fond. Il devra également s’élargir et attirer les grands acteurs de la sécurité du continent, faute de quoi il deviendra un Forum pour la paix et la sécurité dans le Sahel.

[1] Décidée lors du Sommet de l’Union africaine en mai 2013 et reposant sur le volontariat.

dimanche 4 janvier 2015

Agenda 2015 : les dates à ne pas manquer

 JANVIER :
17 janvier : Ouverture de la 30ème Coupe d’Afrique des Nations en Guinée équatoriale
20 janvier : Présidentielle en Zambie
21 janvier : Forum économique mondial à Davos
30-31 janvier : 24ème sommet de l'Union africaine sur le thème "Année de l'autonomisation des femmes et Développement de l'Afrique pour la concrétisation de l'Agenda 2063"
FEVRIER :
14 février : présidentielle et législatives au Nigeria
28 février : Etat et gouvernorat au Nigéria
Législatives au Tchad
MARS :
24 mars : Scrutins au niveau local, municipal et communal au Bénin
Présidentielle au Togo
AVRIL :
2 avril : Présidentielle et législatives au Soudan
26 avril : Législatives au Bénin
MAI :
Législatives en Ethiopie (régime parlementaire)
JUIN :
Présidentielle au Burundi
Présidentielle en RCA ?
JUILLET :
7 juillet : Procès pour crimes contre l’humanité de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo devant la CPI
8 juillet : En Russie sommet des chefs d'Etat et de gouvernement des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud),
Législatives au Burundi
SEPTEMBRE :
Le bilan des objectifs du millénaire et à New York un sommet spécial sur le développement durable où doivent être définis une nouvelle série d'objectifs pour l'après 2015
OCTOBRE : 
Présidentielle en Côte d’Ivoire
Présidentielle et législatives en Tanzanie
NOVEMBRE :
15  novembre : Sommet du G20 en Turquie
30 novembre : La France préside la 21e Conférence des parties à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP 21)
Présidentielle en Guinée Conakry
Présidentielle au Burkina Faso
DECEMBRE :
Forum pour la Paix et la Sécurité en Afrique à Dakar

DATES NON FIXEES :
RDC : des élections locales, municipales et provinciales en 2015
Présidentielle à Maurice

jeudi 11 décembre 2014

Perspectives : la chute de Blaise Compaoré


La rapidité des évènements qui ont mis fin à vingt-sept années de pouvoir a surpris de nombreux observateurs. Les chercheurs ont donc essayé de comprendre pourquoi les dernières manifestations ont fait tomber le régime du Président Blaise Compaoré ? L’extrême pauvreté est citée comme un facteur majeur. Les politistes ont également mis en évidence le rôle des partis politiques, en particulier la prédominance du parti présidentiel dans les assemblées législatives. Celle-ci multiplierait la probabilité de voir le mandat présidentiel prolongé. Le danger vient des défections et des dissensions au sein de ce parti comme observé au Burkina Faso depuis janvier (ICI). 
 
Pour Romain Tiquet, doctorant en histoire de l'Afrique à la Humbolt Universität de Berlin, interrogé sur Africa4 : « la confusion qui a régné au lendemain de la chute du régime de « Blaise » est à l'image des dissensions qui existent au sein de l'armée burkinabè depuis la fin des années 2000 ». L’un des principaux défis que devra relever le nouveau pouvoir en place sera justement de définir le rôle attribué aux forces armées. En effet, dans l’histoire burkinabé, elles ont toujours joué un rôle politique central et elles garantissaient la stabilité, rappelle Valérie Arnould (Egmont – the Royal Institute for International Relations). Quant au rôle des forces de police : « il faut (…) garder en tête que les forces civiles de police ont toujours été marginalisées dans un pays où culture politique et culture militaire sont intiment liées ».
La chute de Blaise Compaoré est aussi l’occasion de revenir sur ses années de pouvoir. Pour les historiens Jean-Pierre Bat et Vincent Hiribarren : « il est sans aucun doute l'un des derniers héritiers des relations franco-africaines des années 1980, sollicité et longtemps défendu par Paris ».
Selon Landry Signé, quatre raisons expliquent la chute du régime burkinabé : la lenteur de la démocratisation (pour aller plus loin, lire ICI et ICI), l’importante mobilisation populaire, la division des forces de sécurité et le faible soutien international. Andrew G. Reiter (Mount Holyoke College) part des travaux de la Freedom House selon lesquels il existerait près de 25% d’États « non libres » dans le monde. Une statistique stable depuis la fin de la guerre froide. Cette persistance des régimes non démocratiques s’expliquerait par un ensemble de facteurs. Les régimes autoritaires actuels sont souvent issus de luttes révolutionnaires ou de mouvements de libération et seraient plus résilients. Le facteur économique doit également être pris en compte. Ainsi, les succès de la Chine et de la Russie en font des modèles attrayants. Enfin, le dernier facteur serait la diminution des efforts occidentaux de promotion de la démocratisation notamment après l’échec irakien. Ainsi, la sécurité serait devenue prioritaire sur la démocratisation dans la politique étrangère américaine.
Un ensemble d’analystes interrogent les répercussions des évènements burkinabés sur le reste du continent. David Stasavage constate que la longévité présidentielle est plus élevée dans les États d’Afrique centrale et australe (Cameroun, Angola, Guinée équatoriale) où la rente principale provient du pétrole. Ken Opalo rappelle que depuis 1990, onze chefs d’Etats d’Afrique subsaharienne ont tenté de réviser la durée du mandat présidentiel. Sept y sont parvenus (Burkina Faso, Tchad, Gabon, Guinée, Namibie, Togo et Ouganda) et trois ont échoué (Malawi, Nigeria, Zambie). Au Niger, les tentatives de Mamadou Tandja ont provoqué un coup d’Etat. La République démocratique du Congo est également citée par Hanna Ucko Neill, de l’International Institute for Strategic Studies (IISS). Ce chercheur compare la situation du Burkina Faso à celle de la RDC car Kabila pourrait être tenté par un troisième mandat (ICI).
Rachel Beatty Riedl, l’auteur de « Authoritarian origins of Democratic Party Systems in Africa » se demande si la démocratie peut émerger de ce type de bouleversement. Les transitions politiques, de l’autocratie vers la démocratie, interviennent en général avec un degré de violence plus élevé. La phase de transition elle-même peut créer des contestations dans la démocratie naissante ou lorsqu’un nouveau régime prend le dessus surtout s’il est autoritaire. Rachel Beatty Riedl démontre que la chute des régimes autoritaires a offert l’opportunité d’une grande réforme du système politique. Ainsi, de véritables démocraties peuvent émerger d’un vide politique. Les exemples les plus parlants sont, selon elle, le Bénin, la Zambie, le Malawi et le Mali.
Zachariah Mampilly met en évidence l’existence de trois grandes vagues de contestations en Afrique. Le Burkina Faso appartiendrait à une troisième vague. La première concerne les manifestations nationales des années 1950 qui ont abouti aux indépendances. La deuxième vague englobe les manifestations en Afrique de l’Ouest, du milieu des années 1980 au début des années 1990, à la suite des mesures d’austérité imposées par les institutions internationales (Banque Mondiale et Fond monétaire International). La troisième vague aurait débuté en 2005. Le chercheur a ainsi étudié 90 soulèvements populaires dans 40 pays d’Afrique depuis cette date. Ces mouvements n’ont pas provoqué une attention aussi importante que celle consacrée aux soulèvements en Egypte et en Tunisie. Pourquoi ? Selon Zachariah Mampilly et Adam Branch les changements politiques en Afrique sont considérés comme le résultat de conflits violents ou d’interventions extérieures. Les Africains seraient considérés comme trop ruraux, trop ethnicisés ou trop pauvres pour pouvoir mener de telles transformations politiques.
Enfin, le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union africaine a estimé que le renversement de Blaise Compaoré « n’était pas un cas classique de changement inconstitutionnel de gouvernement mais plutôt une expression « du droit des peuples à se soulever pacifiquement contre des systèmes politiques oppressifs » » rapporte le dernier Rapport sur le Conseil de Paix et de Sécurité. En effet, ces dernières années, l‘Union africaine s’est montrée ferme à l’égard de ces changements inconstitutionnels de régime par la mise en place d’une politique de sanctions, suivie par le reste de la communauté internationale. Néanmoins, pour Vera Songwe, de la Brookings, elle peut aller plus loin.

Cette analyse et d'autres dans la 3ème Note de veille Afrique de l'IRSEM : ICI