mercredi 23 décembre 2015

Djibouti, un amour de Chine

« Des projets, encore des projets, toujours des projets. Telle est la nouvelle fièvre qui a saisi le pays. (…) Oui, ici même, dans ce coin d'Afrique aux allures de far-west miniature», scande l’écrivain djiboutien Abdourahman A. Waberi dans son livre « Passage des larmes ». À l’ombre des conflits qui touchent une partie du continent et accaparent l’attention des médias et de nos gouvernements, un autre visage émerge, encouragé par de nouveaux acteurs. L’un d’entre eux s’impose parmi tous : la Chine.

Déjà très présente chez le voisin éthiopien, celle-ci multiplie en effet depuis quelques années les projets d’infrastructures à Djibouti. La dernière décision en date de disposer d’installations militaires sur place a été largement relayée dans les médias et a mis en lumière cette attention portée par la Chine à la petite République djiboutienne.

Nul ne doute de la nécessité pour ce petit État de diversifier ses partenariats pour sortir du tête à tête qu’il a longtemps entretenu avec son ancienne puissance coloniale, la France, qui dispose sur place de sa principale base militaire sur le continent. Le pays y voit un moyen d’assurer sa souveraineté et son existence sur la scène internationale. Il est, toutefois, légitime de questionner la prééminence du partenaire chinois, le rapprochement avec l’Éthiopie et les réelles retombées pour Djibouti. Plus que les partenaires, le pays doit surtout diversifier son économie afin d’assurer son indépendance.

Première visite d'un chef de la diplomatie américaine

Dans sa quête de diversification, on constate d'abord que le bal des visites diplomatiques s’enchaîne à un rythme soutenu dans les allées du nouveau palais présidentiel construit par les Chinois à Djibouti. En 2015, John Kerry a été le premier secrétaire d'État américain à se rendre sur place. Il a succédé de quelques jours la première visite d’un président turc. Pas une semaine ne passe sans que le quotidien national La Nation n’énonce la visite d’un officiel et la conclusion d’un nouveau partenariat.

Au pouvoir depuis 1999, le président Ismaïl Omar Guelleh assurait récemment que « le principe de concessions de bases militaires à des puissances étrangères [devait être lu] non comme le procédé choisi pour faire gagner des devises au pays mais plutôt, comme le canal répertorié pour lui conférer une certaine visibilité sur le plan international ». Il est vrai que depuis longtemps la France n’est plus la seule puissance à jouir d’une présence militaire sur place. Elle y a été rejoint par les États-Unis, le Japon, l’Italie et, peut-être bientôt, l’Arabie Saoudite. On y croise également les troupes allemandes ou espagnoles déployées dans le cadre de la lutte contre la piraterie maritime.

Le petit État capitalise sur sa position géographique privilégiée à l’entrée du détroit de Bab el Mandeb entre la mer Rouge et l’océan Indien. La mise en compétition des acteurs extérieurs est une véritable fenêtre d’opportunité stratégique. Djibouti s’internationalise et ce qui s’y passe est particulièrement révélateur des évolutions du système international.

Floraison d'infrastructures

Djibouti souhaite dépasser sa fonction de ville « garnison » sur la mer Rouge, et cherche à jouer un rôle de plateforme régionale majeure. Cordon ombilical du géant éthiopien enclavé, elle représente une pièce maîtresse dans le projet d’intégration économique régionale, soutenu par Pékin. À partir de Djibouti, la puissance chinoise se verrait bien atteindre l’Afrique centrale et pourquoi pas l’Atlantique…

Depuis quelques années, les projets d’infrastructures fleurissent comme jamais. La construction de deux nouveaux est ainsi prévue. La Chine soutient aussi la mise en chantier de deux lignes de chemin de fer, l’une entre Addis Abeba (la capitale éthiopienne) et Djibouti, l’autre afin d’exporter la potasse de Mékélé dans le nord de l’Éthiopie via le nouveau port de Tadjourah (sur la pointe nord de Djibouti).

Ex-colonie française, Djibouti est située à la confluence de l'Afrique et de la péninsule arabique. Charles Roffey : Flickr, CC BY-NC

Dans la capitale, plusieurs centres commerciaux sont en cours de construction ou planifiés. Le port de Doraleh et une zone franche de 3500 hectares seront bientôt opérationnels. Un pipeline est pratiquement achevé pour l’adduction de l’eau potable en provenance d’Éthiopie et un autre projet devrait relier le port de Djibouti et le dépôt de carburants d’Awash en Éthiopie. Un port minéralier dédié à l’exploitation industrielle des ressources naturelles du lac Assal devrait aussi voir le jour au Ghoubet.

Hub maritime et logistique régional

Près d’une dizaine de ces projets sont réalisés par des sociétés chinoises. Si les Éthiopiens ont une longue expérience des rapports avec la Chine, ce rapprochement est nouveau pour Djibouti. La Chine permet à la cité-Etat de réaliser son ambition de devenir un hub maritime et logistique régional alors que les « partenaires traditionnels » - France, Etats-Unis - privilégient le pays pour son positionnement géostratégique dans la lutte contre le terrorisme et la piraterie.

Pourtant, la fonction de plateforme n’est pas nouvelle. Historiquement, le colonisateur français avait fait de Djibouti un port de transit pour les marchandises exportées ou importées par l’empire abyssin. La « réémergence » de l’Éthiopie au XXIème siècle accroît le dynamisme de Djibouti et pour certains acteurs de la vie économique locale les rôles sont clairs : « l’Éthiopie a accepté que Djibouti devienne un hub » …

Néanmoins, Djibouti pourrait se trouver dépasser par cette stratégie économique. Car ces investissements n’élargissent pas les champs des répertoires possibles pour le pays, au contraire ils le contraignent à une destinée commune avec l’Éthiopie. Avant l'indépendance de Djibouti en 1977, celle-ci ne cachait pas ses velléités de rattacher un territoire constituant à ses yeux son prolongement naturel. Cette vision semble encore bien ancrée puisqu’en février 2015, le Premier ministre éthiopien, Haile Mariam Dessalegn, proposait d’aller au-delà de l’intégration économique et invitait les représentants djiboutiens de l’Assemblée nationale à une intégration politique (closer political integration). Des critiques ont émergé dénonçant un agenda caché ou un « mariage forcé », qui font échos aux menaces d’annexion du territoire djiboutien au moment de l’indépendance, devenue mythe fondateur de la souveraineté djiboutienne.

Le risque de vassalité

Ces relations avec la puissance régionale éthiopienne sont à la fois une part du dynamisme de Djibouti et un facteur de risque à l’avenir. Le dilemme qui se pose à Djibouti reflète une contradiction intrinsèque à sa stratégie. En souhaitant, à juste titre, diversifier ces partenaires et ce faisant en dynamisant son économie, Djibouti s’est rapproché de la Chine, elle-même favorable à l’intégration économique régionale. Cette intégration crée une interdépendance encore plus forte avec l’Éthiopie qui pourrait avoir des visées plus ambitieuses. Djibouti risque de se retrouver dans une posture inconfortable de vassalité et de perte de souveraineté.

Plus encore, la question de la soutenabilité économique de la stratégie djiboutienne se pose. Le petit pays de la Corne de l’Afrique adopte une stratégie de développement éloignée du consensus de Washington et parie sur la bienveillance du partenaire chinois. Or le rapprochement avec la Chine ne résout en rien les handicaps structurels de son économie, dont la persistance de la pauvreté - 80% de la population en « extrême pauvreté » - et des taux de chômage élevés restent des symptômes prégnants. Or le développement doit être pensé en termes d’emplois pour ne pas engendrer des troubles sociaux. Cette « croissance sans développement » a de quoi inquiéter.

Grâce à la Chine, Djibouti veut devenir le hub maritime et logistique de la Corne de l'Afrique. Charles Roffey / Flickr, CC BY-NC

Si le « miracle éthiopien » fait rêver son petit voisin, il repose sur un socle minimum d’industrialisation qui n’est pas présent à Djibouti. Dernièrement, le Fonds monétaire international (FMI) s’est inquiété d’une croissance certes élevée dans le petit État - 6% en 2014 et 7% prévu entre 2015 et 2019 - mais financée par les fortes dépenses publiques. L’endettement externe atteint des records : 50% du PIB en 2014, 60 % en 2015 et 80% en 2017.

Ainsi, Djibouti se trouvera à court terme face au défi de la soutenabilité de cette dette alors même que le pays n’a pas débuté le remboursement du capital des principales dettes contractées auprès de l’Exim Bank China, et ce à des taux que d’autres pays africains n’acceptent plus…

Alors que la campagne en vue de l'élection présidentielle d'avril 2016 va bientôt démarrer, Djibouti fait face à un enjeu existentiel majeur qui nécessite une vision à long terme. La réélection annoncée à un quatrième mandat du président Guelleh n'est pas forcément à même de garantir la sérénité nécessaire pour la définition d’une telle stratégie.

The Conversation

Sonia Le Gouriellec, Chercheur à l'Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole militaire (IRSEM), Sciences Po

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

jeudi 2 juillet 2015

L’Union européenne et l’approche globale : le cas des crises en Afrique

EGMONT Institute et l'IHEDN organisent le 9 juillet un séminaire sur l'apporche globale de l'Union européenne en Afrique. Vous trouverez ci dessous la présentation du séminaire et ICI le programme.

"Le Continent africain est de plus en plus contrasté : à côté de pays à fort taux de croissance, demeurent des régions déchirées par les crises pour lesquelles l’Union africaine et les organisations sous régionales tentent de jouer un rôle de médiation et de stabilisation de plus en plus affirmé, en renforçant leurs dispositifs politiques et militaires.
Les causes complexes de ces crises, leur caractère souvent hybride et le lien entre la sécurité et le développement rendent nécessaire une approche impliquant tous les intervenants, prenant en compte toutes les facettes des crises et des conflits armés.
L’Union européenne, par ses différentes composantes et instruments, peut mobiliser toutes ses capacités de réponse aux crises de manière cohérente et complémentaire. L’approche globale a été consacrée comme un principe directeur de la politique extérieure de l’Union européenne lors du conseil européen de décembre 2013; la conception de l’UE se rapproche ainsi de l’approche intégrée de l’ONU qui recouvre tous les domaines liés à la sécurité, à la stabilisation, à la reconstruction, à la gouvernance et au développement. L’Union européenne a ainsi principalement mis en oeuvre de manière combinée, ses instruments économiques, politiques et parfois militaires dans la Corne l’Afrique et au Sahel.
Cependant, l’approche globale proposée par l’Union Européenne en Afrique constitue-t-elle un mode d’action véritablement opératoire, sa mise en oeuvre se révélant complexe en raison de la multiplicité des enjeux, des acteurs et des intérêts ? Ses instruments sont-ils les mieux adaptés ?
Ce séminaire a pour objet d’analyser en trois tables rondes, à la lumière des actions menées dans la Corne de l’Afrique (1ère table ronde) et au Sahel (2ème table ronde), le bilan de l’approche globale par l’Union Européenne et d’engager une réflexion prospective sur son devenir (3ème table ronde).
Participation sur invitation – Langues de travail français/anglais avec interprétation simultanée."

mercredi 1 juillet 2015

Érythrée: le naufrage du régime et le sort de la population

"Les enjeux internationaux" de Thierry Garcin ont consacré une émission à l’Érythrée. Vous pouvez la réécouter ICI.


mercredi 17 juin 2015

Colloque : l'Afrique émergente

L’Université Paris Descartes (Paris 5) organise demain un colloque qui a pour thème : l'Afrique émergente.
Vous trouverez ci dessous le programme


I – QUELLE EMERGENCE POUR L’AFRIQUE ? (9h30-12h30)
Présidence  de Pierre Pascallon, Président de Participation et Progrès,
9h 30 : Pascal Chaigneau, Professeur à l’Université Paris Descartes Sorbonne Paris Cité, Centre Maurice Hauriou.
« XXX »
9h50 : Thierry Garcin,  Maître de conférences à HEC, directeur de programmes à Radio France, Centre Maurice Hauriou.
« La notion d’émergence »
10h10 : Derek El Zein, Maître de conférences à l’Université Paris Descartes Sorbonne Paris Cité, Centre Maurice Hauriou, Avocat à la Cour.
« Investissements internationaux et émergence en Afrique»
10h30 : Michael Strauss, Journaliste, Expert en Géopolitique.
« La primo-spécialisation : un frein à l'émergence africaine ? » 
10h50 : débat
11h10 : pause
11h25 : Fouad Nohra, Maître de conférences à l’Université Paris Descartes Sorbonne Paris Cité, Centre Maurice Hauriou.
« Politiques éducatives et émergence en Afrique »
11h45 : Mustapha Benchenane, Politologue de l’Université Paris Descartes, Conférencier au Collège de l’OTAN
« Stabilité politique et développement économique dans l’Afrique sahélienne»
12h05  Débat
12h25 fin de la première partie
II- ETATS EMERGENTS ET ETATS PIVOTS EN AFRIQUE
 (14h00- 16h30)
Présidence de Pascal Chaigneau, Professeur à l’Université Paris Descartes, Centre Maurice Hauriou, EA 1515
14h00 : Delphine Lecoutre, Maître de conférences à l’EDHEC.
« L’Union africaine dans une Afrique émergente »
14h20 : Michel Raimbaud , Ambassadeur de France, Directeur Honoraire de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides
«Nigéria, Afrique du sud : la compétition pour le leadership africain»
14h40 débat
14h50 pause
15h05 : Sonia Legouriellec, Chargé d’études à l’IRSEM
« Le cas de l’Ethiopie comme puissance émergente » 
15h25 : Reda Mezoui, Professeur à l’Université d’Alger, Directeur du Laboratoire des Politiques Publiques à Alger
 « Quelle place pour l’Algérie dans l’environnement économique africain ?»
15h45 : débat
16h00 : Conclusion : Pierre Pascallon, Président du Club Participation et Progrès
16h20 : clôture

vendredi 12 juin 2015

Erythréens : pourquoi fuient-ils leur pays, au risque de leur vie ?

Hier, nous étions avec Franck Gouéry et Leonard Vincent sur le plateau de l'émission 28minutes sur Arte pour évoquer la situation en Erythrée. Vous retrouver ICI le replay de l'emission et le synopsis ci dessous : 
"Après un an d’enquête, trois experts mandatés par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU ont publié le 8 juin dernier un rapport de 500 pages qui décrit l’Erythrée comme un système répressif où les violations des droits de l’homme par le gouvernement sont « systématiques et à grande échelle ». Selon le rapport, certains abus commis en Erythrée « pourraient constituer des crimes contre l’humanité », conduisant près de 5 000 personnes à fuir leur pays chaque mois pour migrer en partie vers l’Europe."

jeudi 11 juin 2015

Séminaire : Les violences extrêmes

L'Institut Universitaire Varenne organise demain, en partenariat avec l'IHEJ et l'AFJT, un séminaire consacré aux violences commises par Boko Aram et Daech, ainsi qu'en Centrafique et au Mexique. J'aurais l'honneur d'y participer aux côtés de spécialistes de plusieurs disciplines afin de les présenter et analyser dans une perspective pluridisciplinaire, ainsi qu'à engager - dans une démarche prospective - la réflexion quant aux solutions stratégiques et juridiques permettant d'y faire face. Vous trouverez ci-dessous le programme. 
Programme:
9h00 - 9h10 - Mot de bienvenue
Daniel POUZADOUX, Président de la Fondation Varenne
9h10 - 9h40 - Allocution d’ouverture
Jean-Pierre MASSIAS, IUV
9h40 - 12h40 - Table ronde 1 : ANALYSER
Modérateur : Antoine GARAPON, IHEJ
- Marc-Antoine PÉROUSE DE MONTCLOS, IRD
- Nicolas HENIN, Journaliste
- Enoch TOMPTE-TOM, Université de Bangui
- Jean RIVELOIS, IRD
13h45 - 16h15 - Table ronde 2 : COMPRENDRE
Modérateur : Emmanuel LAURENTIN, France Culture
- Marcel HENAFF, Université de Californie (San Diego)
- Stéphane AUDOIN-ROUZEAU, EHESS
- Danièle COHN, Université Paris 1
- Olivier MONGIN, Revue Esprit
- Bassma KODMANI, Arab Reform Initiative
- Georges MALBRUNOT, Journaliste au Figaro
16h30 - 18h - Table ronde 3 : FAIRE FACE
Modérateur : Jean-Pierre MASSIAS, IUV
- Michel TERESTCHENKO, IEP Aix-en-Provence
- Xavier PHILIPPE, Université Aix-Marseille
- Sonia LE GOURIELLEC, IRSEM
18h - 18h30 - Synthèse
Antoine GARAPON, IHEJ

Infos pratiques
En raison d’un nombre limité de places, les organisateurs
vous prient de bien vouloir vous inscrire pour assister au séminaire.
Pour tout renseignement et inscription
magalie.besseATneuf.fr
tél : 06 87 13 33 00
Lieu du séminaire
Fondation Varenne – 79 avenue Raymond Poincaré – Paris 16èmeMétro Victor Hugo (ligne 2) ou Métro Trocadéro ou Boissière (ligne 6)

mardi 2 juin 2015

Recension : « Peacekeeping in Africa. The evolving security architecture »



Les articles et ouvrages sur le maintien de la paix ne sont pas légion. Depuis le début des années 1990, le nombre d’articles ou d’ouvrages académiques sur le sujet se multiplie, rejoints ces dernières années par des travaux sur l’architecture de paix et de sécurité en Afrique (APSA). L’ouvrage de Thierry Tardy et Marco Wyss s’inscrit dans cette ligne. 
Les dernières interventions militaires en Afrique, suivies d’opérations de maintien de la paix, ont démontré à quel point le sujet était en constante évolution. Selon Megan Gleason-Roberts et Alischa Kugel, nous traversons « a pivotal time ». Le continent africain apparaît comme un laboratoire pour tester les différentes dimensions du maintien de la paix. Il serait l’ « epicentre of peacekeeping », selon les auteurs de l’ouvrage. D’une part, parce qu’il accueille le plus grand nombre d’opérations et de personnels civils et militaires de l’Organisation des Nations Unies (ONU), d’autre part, du fait que le nombre d’acteurs non onusien est en constante progression (UA, EU, CER, non gouvernementaux, États). Les expériences du Mali et de la République centrafricaine montrent qu’une réponse hybride se dessine. En effet, différents acteurs interviennent, et pas nécessairement successivement, mais plutôt conjointement. Ces évolutions sont autant de défis pour les acteurs africains du maintien de la paix qui sont devenus, selon les auteurs : « real stakeholder ». Elles ont des conséquences normatives et pratiques indéniables.
Au début des années 2000, un nouveau principe a émergé : « Try Africa first , « les solutions africaines avant tout ». La nécessité de solutions endogènes aux crises et conflits africains est collectivement assumée. Le rôle dévolu à la régulation par la région est essentiel et devient une pièce maîtresse du système. En effet, l’architecture de sécurité continentale prend appui sur les sous-régions afin de gérer la conflictualité. L’ONU a également favorisé ce régionalisme en donnant la possibilité aux organismes régionaux d’assurer le maintien de la paix, encadré par le chapitre VIII de la Charte des Nations unies, une « nouvelle division international du travail [1]», en quelque sorte.
Cette construction d’une architecture de paix et de sécurité est donc un projet qui s’inscrit dans le temps long des grands projets historiques. Le sujet intéresse particulièrement  les universitaires, au-delà des aspects techniques du processus. C’est l’ambition de l’ouvrage présenté ici. Ce travail réunit dix-sept chercheurs et offre une analyse riche des évolutions et des défis du maintien de la paix en Afrique, dans le contexte de la construction d’une architecture de paix et de sécurité.
L’ouvrage est divisé en trois parties, qui présentent  les évolutions institutionnelles, l’implication de nouveaux acteurs et quelques cas d’étude. Dans un premier temps, les auteurs analysent l’évolution des opérations de maintien de la paix sur le continent africain, puis celle des opérations menées par des Africains, au Burundi, au Soudan et en Somalie. Le panorama dressé par les premiers chapitres met en parallèle l’évolution des conflits sur le continent, des opérations de maintien de la paix de l’ONU et l’africanisation des opérations. Leurs conclusions sont connues. La cohérence et la coordination doivent être renforcées dans une période de contraintes budgétaires et où les initiatives ad hoc se multiplient. Sont également traitées dans cette partie : l’approche européenne du maintien de la paix et la question centrale du financement des opérations. Ce dernier point pose le problème de l’appropriation des opérations après l’africanisation, et donc celui de l’autonomie. Le schéma actuellement retenu – financement des opérations par les bailleurs extérieurs - n’est pas tenable sur la durée. La recherche de solutions alternatives est essentielle et régulièrement à l’ordre du jour des sommets et forums internationaux. Dans le chapitre consacré à cette problématique, David Ambrosetti et Romain Esmenjaud étudient quatre modes de financement et s’interrogent sur la volonté des Africains à être autonomes dans le domaine de la gestion des conflits. Ils ouvrent un agenda de la recherche, pour des travaux en économie politique des opérations de paix, et ce que cela nous révèle des politiques des États africains.
Dans la deuxième partie de l’ouvrage, consacrée aux politiques de la Chine, de l’Inde et de la France, l’implication de la Chine dans le maintien de la paix est étudiée comme une tentative d’influer un système onusien dont elle se sent exclue. Une position en partie partagée par l’Inde, qui ne veut pas que les opérations de l’ONU soient un « cheval de Troie » des puissances occidentales. En revanche, la France a une approche parfois ambigüe, comme la crise ivoirienne l’a montrée. Son intervention a été rendue nécessaire par le manque de moyens des instances continentales et de l’impasse politique.
 La dernière partie rassemble un ensemble de cas d’étude. Elle aborde à la fois le rôle des voisins régionaux dans la persistance d’une crise, et dans le même temps, leur engagement dans la résolution de celle-ci, notamment en RDC et en Somalie. Dans le cas du Mali, on comprend le caractère hybride de la réponse qui se dessine, avec les difficultés des interactions entre une organisation régionale comme la CEDEAO, l’UA et l’ONU... L’importance de la compréhension des acteurs et du contexte local nous est rappelée par l’exemple congolais. Le chapitre suivant analyse les difficultés à établir un cadre normatif, notamment avec la Responsabilité de protéger, au Darfour.
L’ensemble de l’ouvrage apporte une réflexion stimulante sur la pratique des interventions de paix en Afrique. L’originalité de cette étude est de ne pas se focaliser uniquement sur l’ONU et de proposer une analyse globale incluant aussi bien les acteurs africains que les nouveaux acteurs étatiques parmi les plus traditionnels. La conclusion est classique. L’enjeu de moyens est politique, tant pour les Africains que pour les acteurs exogènes ; qu’ils soient étatiques ou institutionnels. La légitimité de chaque acteur est questionnée, directement ou implicitement, dans toutes les contributions. Il est question d’une part d’interroger ce que cette extraversion du maintien de la paix en Afrique nous révèle des acteurs extérieurs au continent, ainsi que de leurs intérêts, et d’autre part, ce qu’elle nous révèle des États africains et des élites au pouvoir.


[1] Mélanie CATHELIN, Le rôle international d’un État: construction, institutionnalisation et changement. Le cas de la politique canadienne de maintien de la paix en Afrique, thèse de doctorat (sous la direction de Daniel COMPAGNON), Université Montesquieu Bordeaux IV - IEP Bordeaux, Décembre 2008.