dimanche 25 août 2019

Dernières nouvelles du continent (1)



C’est la rentrée mais je vous propose un nouveau rendez-vous hebdomadaire. Une veille qui reprend les articles scientifique ou de presse les plus marquants, sur le modèle de "This Week in Africa" de Jeffrey Paller. Bien sûr je reste fidèle à mes centres d’intérêts : sécurité, défense, politique étrangère et…littérature ! Je publierai également les appels à communications et les évènements scientifiques. Vos commentaires sont les bienvenus pour améliorer ce nouveau projet.
Corne de l’Afrique, Afrique de l’Est
Le Soudan entame-t-il une transition politique ?  The New York Times publie "A Season of Hope in Sudan" où l’auteur explique l’opportunité pour la jeunesse soudanaise de transformer le pays. On lira également le récit de la réalisatrice Hind Meddeb à Khartoum au cœur des manifestations. Ecoutez cette émission de France 24 pour comprendre la crise actuelle et celle-ci sur le choix des nouveaux membres du conseil souverain au Soudan. Sur le nouveau dirigeant du pays (ICI) et les nombreux défis qu’il doit relever. Pour Woldemariam, la résolution de la crise est un succès du multilatéralisme africain avec l’investissement de l’Union africaine et de l’Ethiopie.
La revue Le Point consacre un numéro aux Nouvelles Routes de la Soie avec un papier signé par Claire Meynial sur Djibouti
Le Kenya et Djibouti sont concurrents pour un siège au Conseil de sécurité de l’ONU.
L’Est du Congo reste une des zones les plus violentes du monde. Ce rapport rappelle que depuis deux ans, rien que dans la région du Kivu,  1897 personnes ont été tuées, 3 316 kidnappé et 100 victimes de viols.
À l’été 2018, les observateurs ne cachaient pas leur surprise de voir enfin se résoudre un conflit vieux de vingt ans entre l’Ethiopie et l’Erythrée qui a constitué un véritable nœud de crispation dans les tensions régionales. Cet article explique les impasses du régime érythréen. Sur la crise du fédéralisme éthiopien on lira René Lefort ICI
Joël Hubrecht interroge les relations entre la France et le Rwanda au moment du génocide : « Par leur proximité et leur présence, les analystes français auraient pu et dû, mieux que quiconque, saisir les signaux d’alerte puis être les premiers à rompre tout lien avec les génocidaires au lieu de s’inscrire, pour reprendre les mots d’Hubert Védrine, dans « la suite de l’engagement d’avant ». Cela n’a pas été le cas. Ils ont vu mais n’ont rien compris, ne comprennent toujours pas et, dans leur superbe arrogance, s’y refusent. Obstinément. »
Sahel, Afrique de l’Ouest
Un des derniers articles de Morgane Le Cam, la correspondante du journal Le Monde au Mali, avant de quitter son terrain décrit la situation au centre du Mali : « la Minusma est de plus en plus contestée par une population qui ne comprend pas pourquoi ses casques bleus n’interviennent pas lorsque leurs villages sont pris d’assaut par des groupes armés, tantôt djihadistes, tantôt communautaires (…)Depuis le début de l’année, dans la région de Mopti, au moins 845 personnes ont été tuées dans plus de 200 attaques ».
Rémi Carayol propose un papier sur les milices au Mali soutenus par les pouvoirs et cette stratégie n’est pas nouvelle. Ecoutez cette émission avec Jean-Marc Durou (qu’un ami m’avait présenté jadis comme « le plus grand spécialiste de la zone ») sur le Sahel.
Début août le Ghana accueillait la première conférence en Afrique de l’International Studies Association (pour la première fois sur le continent). La même semaine Nancy Pelosi visitait le pays pour célébrer The Year of the Return : « Ce sont douze mois pendant lesquels le pays d’Afrique de l’Ouest, qui fut l’un des importants pays de départ de la traite négrière entre les XVe et XVIIIe siècles, organise des événements pour commémorer le premier bateau d’esclave arrivé en Virginie il y a 400 ans. »
Ecoutez l’interview de Laurent Guillaume, ancien officier de la police française, sur les narcotrafiquants en Afrique de l’Ouest. Aujourd'hui, aux Éditions La manufacure de livres, il publie « Africa Connection », un ouvrage collectif sur la criminalité organisée en Afrique
Sécurité, défense
L’emploi de compagnies de sécurité privées est de plus en plus courant dans certains pays d’Afrique selon cet article. La privatisation de la sécurité et les « gardiens » employés en Afrique de l’Ouest, débouche sur une meilleure compréhension de la place de l’Etat.
Les processus de réconciliation renforcent-ils ou atténuent-ils les divisions ayant mené au conflit? Et quand sont-ils pertinents? Eléments de réponse par Milena Dieckhoff
Publications
Je lirai avec plaisir le dernier ouvrage de Terrence Lyons sur la politique éthiopienne.
On lira cet article sur le travail des observateurs lors des élections kényanes de 2017,  celui-ci sur l’impact des dépenses militaires sur l’industrialisation de 35 pays d’Afrique entre 1990 et 2015. Excellent papier de Nina Willen, Gérard Birantamije et David Ambrosetti sur la professionnalisation de l’armée burundaise.
J’ai hâte de découvrir cette nouvelle publication « Contemporary French Security Policy in Africa. On Ideas and Wars ».
Les études africanistes sont en pleine expansion d’après l’éditeur de l’African Studies Review  mais ça n’est pas encore très visible dans les enseignements et que la diversité manque au sein de l’édition.
Pensées
Pour Souleymane Bachir Diagne : « Décoloniser les imaginaires, ce n’est pas s’opposer ou mener une guerre d’indépendance, mais considérer qu’il n’y a pas d’humanités séparées et qu’il n’y a pas un lieu qui serait seul le théâtre de l’histoire universelle
Culture
L'écrivaine américaine Toni Morrison, première femme noire à recevoir le Prix Nobel de Littérature, est morte à l'âge de 88 ans.
La rentrée littéraire voit la sortie de plusieurs ouvrages consacrés à l’Afrique et ICI on trouvera un classement des meilleurs films africains de l’année.
Les 10 finalistes pour le Prix des cinq continents, organisé par  l’Organisation internationale de la Francophonie sont dévoilés. Il récompense chaque année un texte de fiction narratif d’expression française.
Conférences et appels à communications 
L’AEGES organise son colloque annuel à Paris sur le thème Guerre et corps. Pour soumettre un article ou un panel : ICI
Ne manquez pas la Masterclass Global Actors for Peace organisée par la faculté de droit de l’Université Catholique de  Lille. La journée du jeudi 19 sera consacrée à l’Afrique avec une conférence  « Peace from the Bottom » de Séverine Autesserre et en soirée, une conférence-débat avec projection du documentaire “L’homme qui répare les femmes” en présence de sa réalisatrice Colette Braeckman et de Sylvie Humbert Membre de la Commission de chercheurs pour l’étude des archives françaises du Rwanda (2019).
Un AAC est lancé pour la journée d’études « Quand le sud pense le nord : défis méthodologiques, enjeux épistémologiques » organisé le 13 décembre. La date limite pour l'envoi des propositions de communication est le 30 septembre 2019, à l'adresse : je.quandlesudpenselenord@gmail.com
Global Integrity s’apprête à lancer la huitième édition des Indicateurs d’Intégrité en Afrique, en partenariat avec la Fondation Mo Ibrahim, et cherche des journalistes professionnels, universitaires, acteurs d’organisations non-gouvernementales et/ou du secteur privé ayant une expérience avérée dans la conduite d’entretiens et la recherche documentaire.
Vous avez jusqu’au 25 octobre pour répondre à l’AAC de Politique africaine «  Rwanda : la trajectoire de l’État après le génocide ».

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lundi 31 octobre 2016

Djibouti dans le jeu international

Nous publions un article sur Djibouti dans le numéro d'octobre de la revue Esprit (ICI).
Voici un extrait de l'article :


Alors que les regains de tensions en mer de Chine méridionale suscitent l’inquiétude des décideurs politiques et concentrent l’attention des médias, l’onde de choc de ces tensions pourrait toucher les rives d’un petit territoire à l’est du continent africain. Djibouti concentre depuis quelques années la présence militaire des puissances internationales et attirent les investissements étrangers du monde entier. Les jeux diplomatiques qui s’y jouent sont particulièrement révélateurs des évolutions du système international. Cet îlot de tranquillité de 23 200 km², dans une région agitée par les conflits, accueille les troupes françaises, américaines, japonaises, européennes et bientôt chinoises, saoudiennes et peut-être russes. Les plus puissants États y ont pris place afin de lutter contre la piraterie, le terrorisme ou, plus récemment, comme base arrière dans le cadre de la guerre au Yémen. Djibouti représente également un atout économique majeur. Bien que ce territoire ne produise aucune richesse, il pourrait jouer un rôle de plateforme régionale et une pièce maîtresse dans le projet d’intégration économique, soutenu par Pékin. Garnison internationale, hub maritime et logistique régional, Djibouti l’oublié se trouve désormais au cœur du nouveau grand jeu international.

vendredi 28 octobre 2016

Recension : Politics and Democracy in Microstates de Wouter Veenedaal


« Quelles sont les conséquences politiques de la taille d’un État ? » telle est la question posée par le chercheur néerlandais Wouter Veenedaal. Le lien entre la taille de la population et la démocratie est un des plus vieux débat de la science politique. Les études quantitatives montrent que les petits États et les micro-États seraient, comparativement, plus enclins à développer des gouvernances démocratiques. « Small is democratic » semble un adage partager depuis des siècles, des philosophes grecs à Rousseau en passant par Montesquieu. 


Aujourd’hui encore les organisations internationales font la promotion des avantages de la petitesse et invitent les États en reconstruction après un conflit à des pratiques de décentralisation et de dévolution afin de confier plus de pouvoirs et de compétences politiques à des unités réduites. Pourtant, aucune hypothèse satisfaisante ne permet d’expliquer cette corrélation entre la taille et le caractère démocratiques d’un État.  Au contraire, de plus en plus d’études de cas tendent même à l’infirmer en soulignant l’intensité des rivalités personnelles, de la corruption et du clientélisme dans les petits États. Il semble donc qu’il y aurait un écart entre la théorie suggérée par la recherche quantitative et la réalité constatée les travaux qualitatifs. Les institutions démocratiques des petits ou micro États seraient une façade et la réalité démocratique de leur système politique doit être relativisée. D’après, Wouter Veenedaal cette énigme relève bien de l’approche méthodologique quantitative qui a été privilégiée jusqu’à présent pour étudier ce lien. Il propose ici une étude comparative de la nature des systèmes politiques dans quatre micro-États : San Marino, St Kitts et Nevis, les Seychelles et Palau. Il nous éclaire sur les réalités politiques de ces États présentés comme démocratiques. Si ces analyses peuvent s’avérer intéressantes pour des spécialistes de ces zones géographiques, en revanche le politiste ne s’étonnera pas des résultats de l’étude. Elles démontrent qu’une explication monocausale (la taille) ne permet pas d’expliquer le système politique même dans les micro-États. L’auteur démontre, sans surprise, que la situation géographique, l’histoire coloniale ou encore les relations internationales sont des variables essentielles. Néanmoins, on retiendra de cette étude les stimulants chapitres sur les débats théoriques et l’état de l’art.

jeudi 27 octobre 2016

« Des Afriques » : gestion de crises et résolution des conflits en Afrique subsaharienne

La Revue Défense Nationale a publié cet été un numéro spécial sur le continent africain. J'ai eu la chance de diriger ce numéro. 

Vous trouverez ICI le sommaire et ci-dessous l'introduction au numéro.


Plus que n’importe quelle autre partie du globe, après la Guerre froide, le continent africain a été associé aux conflits et à l’insécurité. Au début des années 1990, Robert Kaplan invoquait, dans une formule restée célèbre, « the coming anarchy »[1]. Pour l’auteur américain, le continent était alors celui des haines ethniques et de la violence aveugle. Vingt ans plus tard, le gagnant du prix Pulitzer, Jeffrey Gettleman, peignait le même tableau, se désespérant que les guerres ne terminent jamais et s’étendent comme, pour reprendre ses termes, « une pandémie virale ». Aujourd’hui, l’insécurité et les conflits sur le continent occupent une place centrale dans les cercles politiques, les travaux des chercheurs et le travail des forces de sécurité. Bien que la situation se soit transformée et que les statistiques s’entendent sur une baisse tendancielle du nombre de conflits, d’anciennes grilles d’analyses continuent de guider certains commentaires et analyses.
L’objectif de ce numéro de la Revue Défense Nationale répond à cette vision encore ancrée dans l’imaginaire collectif. Il vise à contester les approches populaires qui réduisent la complexité des situations conflictuelles sur le continent à des facteurs uniques et trop souvent essentialistes. Parmi ces facteurs les plus communs invoqués, on retrouve le colonialisme, la religion, l’ethnicité et les ressources naturelles. Or, la rigueur intellectuelle et une démarche méthodologique permettent d’éviter les biais de confirmation - au sens d’interpréter les faits pour leur faire dire ce que l’on souhaite, ou les biais de sélection, en ne choisissant que les faits qui appuient une thèse définie a priori. Avant d’expliquer pourquoi ces facteurs ne sont pas suffisants pour expliquer les conflits sur le continent, essayons tout d’abord de peindre à grands traits l’évolution de la conflictualité sur le continent depuis la fin de la Guerre froide.
Pendant la Guerre froide, les politiques à l’égard du continent étaient guidées par des considérations politiques liées à l’opposition entre les deux blocs. L’Est et l’Ouest supportaient des régimes afin de s’assurer le maintien d’une sphère d’influence. Les États-Unis, l’Union soviétique et leurs alliés respectifs étaient des sources de financement à la fois de groupes insurrectionnels et d’États. Les armes, les entrainements militaires, les soutiens diplomatiques dépendaient de cette lutte pour dominer et influencer. Certains régimes autoritaires furent maintenu au pouvoir parce qu’ils avaient une fonction spécifique dans cette lutte globale, comme pare-feu face au communisme. Le plus connu fut Mobutu au Zaïre. D’autres sont tombés après des coups d’États soutenus ou encouragés par les puissances extérieures. Avec la fin de la Guerre froide, le continent a perdu de sa valeur stratégique. Samuel Decalo dira même : « les États africains passèrent de pions stratégiques pendant la Guerre froide à d’« irrelevant clutter » ».  Progressivement, dans les années 1990, les États-Unis, et ce qu’il reste de l’Union soviétique, se désengagent du continent. Les premiers réduisent ou interrompent totalement leur aide militaire aux alliés les plus anciens : Kenya, Somalie, Liberia, Tchad, Zaïre. Les missions humanitaires américaines et les postes de renseignement se ferment et les personnels sont redirigés vers de nouvelles zones prioritaires notamment en Europe de l’Est. Les États qui survivaient en partie grâce à ces soutiens extérieurs deviennent plus vulnérables aux insurrections populaires et aux guerres civiles. Les événements au Liberia avec Samuel Doe, au Zaïre avec Mobutu, en Somalie et en Éthiopie doivent être appréhendés dans ce contexte. Ils n’ont plus le statut de clients dans un monde bipolaire. Cette perte de la rente stratégique coïncide parfois, en plus, avec une crise économique et des pressions de plus en plus fortes pour démocratiser. Les donateurs redirigent leurs aides en fonction des efforts faits en termes de gouvernance. De plus, l’aide au développement chute de 21% entre 1990 et 1996[2]. Les réseaux de clientélisme s’effondrent, tout comme certaines coalitions au pouvoir qui se divisent. Dans ce contexte, le nombre de conflits et l’insécurité augmentent. En parallèle, les outils analytiques font aussi évoluer comme nous allons le voir.
L’approche de la conflictualité sur le continent a souffert de trois grandes faiblesses : la « déconnexion », le culturalisme essentialiste et le réductionnisme économique auquel se rattache, en partie, le modèle « greed and grievance »[3]. Cette approche réduit les conflits à de l’opportunisme économique et à des décisions irrationnelles. Les conflits seraient donc une forme d’activité criminelle menée par cupidité par des seigneurs de guerre intéressés par la rente. Si cette approche a été très critiquée pour sa dépolitisation des conflits, elle était profondément réductionniste en expliquant les conflits uniquement en termes d’opportunité économique. Cette théorie a évolué ces dernières années et laisse moins place aux motivations économiques mais les conflits sont toujours expliqués en termes d’opportunité économiques plutôt que politiques. Les ressources naturelles ne sont, bien souvent, pas la cause du conflit bien qu’elles puissent l’alimenter. Ainsi, en Sierra Leone le conflit s’apparentait à une révolte contre les structures agricoles oppressives. Séverine Autesserre a montré qu’en République Démocratique du Congo  les ressources naturelles n’étaient pas au cœur des conflits[4]. Les mêmes arguments sur la dépolitisation des conflits sur le continent ont permis de critiquer la théorie des « nouvelles et anciennes guerres [5]». Cette thèse, largement controversée, postule que les guerres civiles de l’après-Guerre froide sont tendanciellement différentes de celles de la période bipolaire. Pour ce faire, l’auteur juge possible de tracer une distinction entre « nouvelles » et « anciennes » guerres. Au niveau global, la guerre interétatique semble révolue et l’anomie du système international aurait pour conséquence de favoriser la résurgence de phénomènes identitaires. Cet argumentaire recoupe celui sur l’ethnicité des conflits. L’idée répandue est que l’ethnie tue. Cette approche est partagée par certains commentateurs du génocide rwandais. Selon eux, les Tutsi et les Hutu seraient destinés à s’affronter et les massacres sont le résultat d’une opposition raciste atavique. Cette approche exclut toute analyse des évènements ayant conduit à l’exécution du génocide. Cette littérature décriée est, en partie, héritière des travaux sur l’anthropologie de la race élaborée à la fin du XIXème siècle. Elle refuse de penser le racisme en Afrique comme une idéologie construite politiquement et socialement. Les crises africaines, ici celles des Grands Lacs, ne seraient que le résultat de clivages ethniques ataviques : des tueries et des barbaries spontanées sans dimension politique ni instrumentalisation. Cette approche privilégie également une lecture de déresponsabilisation des acteurs africains qui seraient pris au cœur des stratégies de puissances étrangères dans la région. Enfin, l’analyse des conflits sur le continent souffre d’un autre écueil : la déconnexion. Certaines approches placent le continent dans un cadre cognitif distinct qui nécessiterait de recourir à des théories spécifiques. Or, l’Afrique sub-saharienne n’a pas de conflits qualitativement distincts.
Il y a d’autres changements dans le panorama sécuritaire : la fréquence accrue des violences électorales et les « crises de citoyenneté »[6]. Ainsi, les travaux des chercheurs américains Zachariah Mampilly et Adam Branch[7] nous apprennent que le continent serait au milieu d’une troisième vague de contestations. La première regroupe les soulèvements nationalistes des années 1950 qui mènent aux indépendances. La seconde englobe les mouvements d’Afrique de l’Ouest, du milieu des années 1980 au début des années 1990, à la suite des mesures d’austérité imposées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Selon ces chercheurs, les révoltes arabes de 2011 constituent l’apogée d’un long « printemps africain » amorcé en 2005 - avec les mouvements de contestation liés à la crise alimentaire - mais qui n’aboutit pas nécessairement à des changements de régimes et n’ont pas suscité la même attention des médias, alors même que la contestation des régimes jugés autoritaires se poursuit. 
Par ailleurs, la compétition politique peut accroître les tentations de mobilisation sur des bases ethniques. La plupart des élections africaines sont relativement calmes (Togo, Bénin, Comores), mais certains exemples comme l’élection kenyane de 2007 montrent le chaos qui peut régner (1000 morts, 350 000 déplacés). Dernièrement, les violences ont aussi accompagné les élections au Zimbabwe, en Côte d’Ivoire, au Burundi. Actuellement, les révisions constitutionnelles afin de modifier les mandats présidentiels est une cause de mobilisation des populations (Djibouti, RDC, Burkina, Ouganda, Congo, etc.). Si l’expression première des violences électorales est identitaire, elle se combine avec des considérations plus locales comme l’accès à la terre, des ressources, ce qui rend simpliste et invalides les interprétations uniquement ethniques (Côte d’Ivoire, Kenya, Burundi). L’augmentation des violences religieuses et du terrorisme sont également de nouveaux visages de la conflictualité sur le continent. On le voit avec le groupe Al-Shabaab en Somalie, Boko Haram au Nigeria, AQMI et tous les autres groupes évoluant dans le Sahel. Pourtant, la religion et la dimension globale de ces conflits mérite encore des études sérieuses. Historiquement, la religion a toujours joué un rôle mineur dans les conflits en Afrique. Stephen Ellis disait même qu’à proprement parler, il n’y a pas de guerre de religion en Afrique subsaharienne. Cela ne veut pas dire que les croyances religieuses ne sont pas cruciales dans la guerre. Tant en Sierra Leone qu’au Liberia, les fidèles croyaient en la puissance des esprits comme en République centrafricaine[8] ou en Ouganda avec l’Armée de libération du seigneur. Mais la religion n’était pas la cause de la guerre bien qu’elle puisse l’alimenter. De même, historiquement, ce qui apparaissait à première vue comme des combats entre religions était en fait totalement lié à des luttes entre élites pour la puissance politique ou matérielle. Enfin, la « guerre contre le terrorisme » participe à une restriction de l’espace politique sous couvert de lutte contre le terrorisme. En effet, l’autoritarisme s’est renforcé dans plusieurs États subsahariens au cours de la dernière décennie. Cette évolution est intimement liée aux efforts des donateurs pour « stabiliser » le continent dans un contexte de lutte contre les groupes jihadistes[9].L’un des objectifs de ce numéro est donc d’essayer de comprendre certains conflits du continent et d’examiner la réponse apportée par les acteurs continentaux et leurs partenaires avec un regard spécifique sur la politique française qui justifie les choix thématiques et régionaux effectués. Pour ce faire, nous avons réuni des praticiens, des militaires, des diplomates et des chercheurs. Leurs écrits sont des témoignages, des présentations politiques ou des études scientifiques. Rassemblés dans ce numéro, ils apportent une vision complémentaire et globale des enjeux sécuritaires de certaines régions du continent. Après un premier ensemble de textes portant sur la zone saharo-sahélienne, une deuxième partie propose une série d’articles sur la sécurité maritime dans le Golfe de Guinée ; un troisième groupe de contributions est consacré à l’engagement des organisations internationales dans la gestion de crises et la résolution des conflits ; et le numéro s’achève sur des problématiques en cours. Plusieurs thématiques reviennent dans chacune de ces contributions. D’abord un questionnement : « le déficit capacitaire » de nombreux États face aux défis sécuritaires. Ensuite les enjeux de la régionalisation des réponses sécuritaires tant face au terrorisme, qu’à la piraterie et aux conflits civils ; enfin la coopération avec des partenaires extra-continentaux et des organisations internationales. Une étude croisée peut permettre de comprendre les conflits sur le continent dans leur complexité et nous espérons que ce numéro en fait la démonstration en privilégiant une discussion entre praticiens, politiques et chercheurs.

Pour aller plus loin :
Amselle Jean-Loup, M'Bokolo Elikia (dir.), Au cœur de l’ethnie, Paris, La Découverte, 2005, 225p.
Bonnecase Vincent et Brachet Julien (dir.), Crises et chuchotements au Sahel, Politique africaine, N° 130, 2013/2.
Collier Paul, Hoeffler Anke, Rohner Dominic, « Beyond Greed and Grievance : Feasibility and Civil War », Oxford Economic Papers, 2009, 61 (1), pp.1-27.
Courtin Nicolas (dir.), Comprendre Boko Haram, Afrique Contemporaine, n° 255, 2015/3.
Cramer Christopher, « Homo Economicus Goes to War : Methodological Individualism. Rational Choice and the Political Economy of War », World Development, 2002, 30 (11), pp.1845-1864.
Gazibo Mamadou et Thiriot Céline (dir.), La politique en Afrique. Etat des débats et pistes de recherche, Karthala, 2009.
Marchal Roland et Messiant Christine, « Les guerres civiles à l’ère de la globalisation. Nouvelles réalités et nouveaux paradigmes », Critique international, 2003/1, n°18.
Marchal Roland (dir.), « Le Sahel dans la crise malienne », Dossiers du CERI, 07/2013 
Prunier Gérard, Chrétien Jean-Pierre (dir.), Les ethnies ont une histoire, Paris, Karthala, 2003 (2ème ed.), 435p.
Ramsbotham Olivier, Woodhouse Tom, Miall Hugh, Contemporary Conflict Resolution. The Prevention, Management and Transformation of deadly Conflicts, Polity, (Third Edition), 2015.
Reno William, Warfare in Independent Africa, 2011, Cambridge, Cambridge University Press.
Richards Paul, « New War. An Ethnographic Approach », in Paul Richards (dir.), No Peace, No War, Athens, OH and Oxford, Ohio University Press and James Currey.
Straus Scott, « War do end ! Changing Patterns of Political Violence in Sub-Saharan Africa in African Affairs, 2012, 111 (443), pp.179-201.
Williams Paul D., War & Conflict in Africa, Polity, 2016 (second Edition).


[1] Robert Kaplan, « The Coming Anarchy : How Scarcity, Crime, Overpopulation, and Disease is Rapidly Destroying the Social Fabric of Our Planet », in Atlantic Monthly, Février 1994, pp.44-76 et la critique : Harri Englund, « Culture, Environment and the Enemis of Complexity », in Review of African Political Economy, 1998, 76, pp.179-188.
[2] Rita Abrahamsen, Conflict and Security in Africa, James Currey, 2013, 240 p.
[3]  Paul Collier et Anke Hoeffler, Greed and Grievance in Civil War, 2002, Washington, DC : World Bank
[4] “Dangerous Tales -Dominant Narratives on the Congo and their Unintended Consequences,” African Affairs, 111 (443),pp. 202-222, 2012.
[5] Mary Kaldor, New and Old Wars: Organized Violence in a Global Era, 3 edition, Cambridge: Polity Press, 2012, 256p. On lira également les critiques suivantes : Stathis Kalyvas, « Les guerres civiles après la guerre froide », in Pierre Hassner et Roland Marchal (éd.), Guerres et sociétés (États et violences après la guerre-froide), Paris, Karthala, 2003, 615p ; Siniša Malesevic, « The sociology of new wars? Assessing the causes and objectives of contemporary violent conflicts », International Political Sociology, vol.2, n°2, juin 2008, pp.97-112.
[6] Richard Banégas (dir.), « L’Afrique de l’Ouest: des crises de la citoyenneté », Les Dossiers du CERI, 2012-10.
[7] Zachariah Mampilly et Adam Branch, Africa Uprising. Popular Protest and Political Change, Zed Books – African Arguments, 2015, 272p.
[8] Marielle Debos, « Centrafrique : attention aux mots », Le Monde, 20 février 2014.
[9] Jonathan Fisher et David M. Anderson, « Authoritarianism and the securitization of development in Africa », International Affairs, 91, 1, 2015, pp. 131–151. Nicolas Desgrais et Sonia Le Gouriellec, « Stratégies d’extraversion : les défis de la construction de l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité », Note de Recherche Stratégique, IRSEM, Septembre 2016.