La rapidité
des évènements qui ont mis fin à vingt-sept années de pouvoir a surpris de
nombreux observateurs. Les chercheurs ont donc essayé de comprendre pourquoi
les dernières manifestations ont fait tomber le régime du Président Blaise
Compaoré ? L’extrême pauvreté est citée comme un
facteur majeur. Les politistes ont également mis en évidence le rôle des
partis politiques, en particulier la prédominance du parti présidentiel dans les assemblées
législatives. Celle-ci multiplierait la
probabilité de voir le mandat présidentiel prolongé. Le danger
vient des défections et des dissensions au sein de ce parti comme observé au
Burkina Faso depuis janvier (ICI).
Pour Romain
Tiquet, doctorant en histoire de l'Afrique à la Humbolt Universität de Berlin, interrogé sur Africa4 : « la confusion qui a régné au lendemain de la
chute du régime de « Blaise » est à l'image des dissensions qui existent au
sein de l'armée burkinabè depuis la fin des années 2000 ». L’un des
principaux défis que devra relever le nouveau pouvoir en place sera justement
de définir le rôle attribué aux forces armées. En effet, dans l’histoire
burkinabé, elles ont toujours joué un rôle politique central et elles
garantissaient la stabilité, rappelle Valérie
Arnould (Egmont – the Royal
Institute for International Relations). Quant au rôle des forces de
police : « il faut (…) garder
en tête que les forces civiles de police ont toujours été marginalisées dans un
pays où culture politique et culture militaire sont intiment liées ».
La chute de
Blaise Compaoré est aussi l’occasion de revenir sur ses années de pouvoir. Pour
les historiens Jean-Pierre
Bat et Vincent Hiribarren : « il
est sans aucun doute l'un des derniers héritiers des relations
franco-africaines des années 1980, sollicité et longtemps défendu par Paris ».
Selon Landry Signé, quatre
raisons expliquent la chute du régime burkinabé : la lenteur de la
démocratisation (pour aller plus loin, lire ICI et ICI),
l’importante mobilisation populaire, la division des forces de sécurité et le
faible soutien international. Andrew G.
Reiter (Mount Holyoke College)
part des travaux de la Freedom House
selon lesquels il existerait près de 25% d’États « non libres » dans
le monde. Une statistique stable depuis la fin de la guerre froide. Cette
persistance des régimes non démocratiques s’expliquerait par un ensemble de
facteurs. Les régimes autoritaires actuels sont souvent issus de luttes
révolutionnaires ou de mouvements de libération et seraient plus résilients. Le
facteur économique doit également être pris en compte. Ainsi, les succès de la
Chine et de la Russie en font des modèles attrayants. Enfin, le dernier facteur
serait la diminution des efforts occidentaux de promotion de la démocratisation
notamment après l’échec irakien. Ainsi, la sécurité
serait devenue prioritaire sur la démocratisation dans la
politique étrangère américaine.
Un ensemble
d’analystes interrogent les répercussions des évènements burkinabés sur le
reste du continent. David
Stasavage constate que la longévité présidentielle est plus élevée dans les
États d’Afrique centrale et australe (Cameroun, Angola, Guinée équatoriale) où
la rente principale provient du pétrole. Ken Opalo rappelle
que depuis 1990, onze chefs d’Etats d’Afrique subsaharienne ont tenté de
réviser la durée du mandat présidentiel. Sept y sont parvenus (Burkina Faso,
Tchad, Gabon, Guinée, Namibie, Togo et Ouganda) et trois ont échoué (Malawi,
Nigeria, Zambie). Au Niger, les tentatives de Mamadou Tandja ont provoqué un
coup d’Etat. La République démocratique du Congo est également citée par Hanna
Ucko Neill, de l’International Institute
for Strategic Studies (IISS). Ce chercheur compare la situation du Burkina
Faso à celle de la RDC car Kabila pourrait être tenté par un troisième mandat (ICI).
Rachel Beatty Riedl, l’auteur de
« Authoritarian
origins of Democratic Party Systems in Africa » se demande si la
démocratie peut émerger de ce type de bouleversement. Les transitions politiques,
de l’autocratie vers la démocratie, interviennent en général avec un degré de
violence plus élevé. La phase de transition elle-même peut créer des
contestations dans la démocratie naissante ou lorsqu’un nouveau
régime prend le dessus surtout s’il est autoritaire. Rachel Beatty Riedl
démontre que la chute des régimes autoritaires a offert l’opportunité d’une
grande réforme du système politique. Ainsi, de véritables démocraties peuvent
émerger d’un vide politique. Les exemples les plus parlants sont, selon elle,
le Bénin, la Zambie, le Malawi et le Mali.
Zachariah
Mampilly met en évidence l’existence de trois
grandes vagues de contestations en Afrique. Le Burkina Faso appartiendrait
à une troisième vague. La première concerne les manifestations nationales des
années 1950 qui ont abouti aux indépendances. La deuxième vague englobe les
manifestations en Afrique de l’Ouest, du milieu des années 1980 au début des
années 1990, à la suite des mesures d’austérité imposées par les institutions internationales
(Banque Mondiale et Fond monétaire International). La troisième vague aurait
débuté en 2005. Le chercheur a ainsi étudié 90 soulèvements populaires dans 40
pays d’Afrique depuis cette date. Ces mouvements n’ont pas provoqué une
attention aussi importante que celle consacrée aux soulèvements en Egypte et en
Tunisie. Pourquoi ? Selon Zachariah Mampilly et Adam Branch les changements politiques en
Afrique sont considérés comme le résultat de conflits violents ou
d’interventions extérieures. Les Africains seraient considérés comme trop
ruraux, trop ethnicisés ou trop pauvres pour pouvoir mener de telles
transformations politiques.
Enfin, le
Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union africaine a estimé que le
renversement de Blaise Compaoré « n’était
pas un cas classique de changement inconstitutionnel de gouvernement mais
plutôt une expression « du droit des peuples à se soulever pacifiquement contre
des systèmes politiques oppressifs » » rapporte le dernier
Rapport sur le Conseil de Paix et de Sécurité. En effet, ces dernières années,
l‘Union africaine s’est montrée ferme à l’égard de ces changements
inconstitutionnels de régime par la mise en place d’une politique de sanctions,
suivie par le reste de la communauté internationale. Néanmoins, pour Vera Songwe, de la
Brookings, elle peut aller plus loin.
Cette analyse et d'autres dans la 3ème Note de veille Afrique de l'IRSEM : ICI
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire