Le Sénégal a
accepté d’accueillir la première édition de ce Forum informel. Inspiré du Forum
de Manama, du Shangri-la Dialogue à Singapour, de la Conférence de Munich ou
encore celle d’Halifax, le Forum de Dakar aspire à devenir pérenne. Ce premier objectif semble avoir été atteint puisque
Macky Sall, le président sénégalais, a conclu le Forum par ce verdict :
« la parole s’est libérée ce soir,
rendez-vous dans un an. Inch’Allah ». La réunion avait également pour
ambition de faire dialoguer politiques,
experts, chercheurs et acteurs de la société civile concernés par les
questions de paix et de sécurité en Afrique. Le Forum n’avait donc pas la prétention de prendre des décisions
mais de poser les bases d’un nouveau rendez-vous sécuritaire. Peut-on
considérer que ce Forum constitue une nouvelle forme de dialogue et
« marquera un tournant » comme le souhaitait Cheikh Tidiane
Gadio ? Est-il parvenu à poser les bases d’une vision ou d’une défense
commune entre Africains ?
Le terrorisme
est la menace qui a monopolisé les débats. L’existence de cette menace
transnationale a préoccupé les participants, inquiets de la faible capacité des
Etats à coopérer et à mutualiser leurs moyens pour la combattre. La
situation sécuritaire au Mali et en Libye était le sujet incontournable des
échanges. Tous les intervenants s’accordent sur la menace que représente la
Libye pour la région. Ainsi, la responsabilité occidentale dans la
déstabilisation régionale depuis l’intervention de l’OTAN en Libye en 2011 est
revenue à de nombreuses reprises. Les
participants africains ont appelé les Occidentaux à prendre leurs
responsabilités. Le Forum s’est d’ailleurs clôturé sur la longue diatribe
du président tchadien Idriss Deby appelant l’OTAN à intervenir et à
« finir le travail ». Jean-Yves Le Drian l’a ensuite rappelé à ses
responsabilités : « le Tchad
vient de tracer la feuille de route, l’exécutif est là. Comme disait ma
grand-mère : il n’y a plus qu’à faire ». La menace liée à l’extension du champ d’activité de Boko Haram a
également été évoquée. Le ministre de la Défense français, Jean-Yves Le
Drian, a proposé « la mise en place
d’un comité de liaison de nature militaire entre les autorités de ces quatre
pays [Cameroun, Niger, Nigeria, Tchad], pour aider à coordonner leur action et
leur capacité de riposte, et nous mettons à leur disposition plusieurs
officiers […] susceptibles de les accompagner à cet égard ». Cette
initiative vise, entre autres, à unir les Etats dans la lutte via le partage de
renseignements alors même que le déploiement de 2800 soldats promis le long des
frontières communes pour fin novembre est à peine entamé.
La deuxième journée était
consacrée à l’appropriation africaine et aux partenariats avec les acteurs
sécuritaires internationaux militaires et civils. La coopération est le seul moyen de contenir la menace terroriste. Elle implique tous les Etats africains,
ainsi que leurs partenaires internationaux. Ainsi, tous ont reconnu et
remercié la France pour son intervention « salutaire » au Mali, tout
en invoquant la nécessité d’une appropriation africaine que la France elle-même
demande. Jean-Yves Le Drian l’a confirmé « Barkhane est un accélérateur de coopération ». Il invite
également les Nations Unies, l’Union
européenne, les États-Unis mais également la Chine et le Japon, tous présents
au Forum, « à faire de la
coopération la règle et non plus l’exception ». Les partenaires internationaux étaient notamment représentés par
Zhon Jianhua, l’envoyé spécial de la Chine pour l’Afrique, qui a expliqué que
son pays avait « une histoire de
conflits mais aussi une histoire de solutions ». Le Japon a été, à
plusieurs reprises, remercié pour l’aide financière apportée à l’organisation
du Forum (20%). Le sous-secrétaire adjoint à la Défense des Etats-Unis, Amanda
Dory a évoqué la coopération forte avec la France dans la zone sahélienne. Le
représentant de l’Union européenne a reconnu que le Sahel était une priorité de
l’Union européenne et appartenait à son voisinage immédiat. Un ancien ministre
tunisien a d’ailleurs évoqué l’émergence d’une zone sahélo-magrébine. Le Sahel est entré de plein pied dans l’espace
géostratégique méditerranéen ce qui constitue une nouvelle donne.
Les réponses
africaines sont encore balbutiantes et l’opérationnalisation de la Capacité
africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC[1])
et des Forces Africaines en Attente (FAA) a été posé comme un défi dans l’un
des ateliers. Les difficultés de
financement sont revenues à de nombreuses reprises dans les débats. A ce
titre, l’ancien président du Nigeria, Olusegun Obasanjo, qui doit publier un
rapport sur le financement de la paix et de la sécurité en Afrique, a pris la présidence
d’un atelier sur la question et a rappelé que le financement doit être
« une affaire africaine ». Idriss Déby lui-même est revenu lors de la
clôture sur la nécessité d’un financement africain pour permettre
l’appropriation de la sécurité. Toutefois, les difficultés ne sont pas
uniquement financières et un ancien ministre a expliqué que la coordination et la bonne volonté étaient
essentielles. « On parle
beaucoup, on fait peu » a-t-il ajouté. Selon lui, les problèmes
sécuritaires au Sahel seraient en partie résolus si l’Algérie et le Maroc
coopéraient et se coordonnaient. Au-delà,
la lutte contre le terrorisme reproblématise la question de l’État en Afrique.
Jean-Marie Guéhenno, président de l’International
Crisis Group, l’a évoqué : la « fragilité de l’État » est au cœur de la problématique. Face à
ce constat certains participants ont appelé à dépasser l’État pour créer les
États-Unis d’Afrique. En réponse, d’autres leur ont répondu qu’avec les défis
actuels il fallait se garder de conclure que « l’État est terminé »
car une autre forme d’État menacerait : le Califat. Jean-Yves Le Drian a d’ailleurs insisté sur l’importance de
développer des armées africaines solides et des États forts : « La sécurité se construit à l’échelle d’un
État. Pour une architecture régionale forte il faut des fondement solides ».
Le Forum confirme être un lieu de
coopération, de dialogue et de sociabilisation nécessaire. A ce titre,
il peut être considéré comme un succès diplomatique. En effet, le Forum a
accueilli le double de participants qu’initialement prévu. Ainsi, entre 350 et
400 personnalités politiques de haut niveau, des militaires, de nombreux
académiques, dont douze organisations internationales et une centaine de
journalistes se sont retrouvés à l’Hôtel King Fahd de Dakar. Les participants
ont applaudis la « liberté de parole »
qui a accompagné ces deux jours de forum. Smaïl Chergui, le Commissaire à la
Paix et à la Sécurité de l’Union africaine a salué « un dialogue au service de la paix universelle ». Le principe
de « Chatham House », instauré lors des ateliers pour assurer leur
caractère informel, y a sûrement contribué. Les rencontres bilatérales et les
entretiens en marge du Forum ont probablement permis des échanges porteurs.
Néanmoins, on notera un certain climat
de scepticisme et de doute chez les participants concernant les ambitieuses
déclarations de coopération, de mutualisation et d’appropriation en l’absence
de gouvernance démocratique. Selon le chercheur Roland Marchal (sur RFI), il ne
faut pas être spécialement pessimiste. Les Etats de la région ont une certaine
capacité à répondre à ces défis. Néanmoins, la communauté internationale ne
tire pas suffisamment les leçons des expériences afghanes syriennes et
somaliennes, au risque de reproduire les mêmes erreurs. Il souligne le risque
d’avoir un débat un peu trop stéréotypé, trop sécuritaire, trop militaire. Il
faut pousser le débat au-delà des accords trop flous de façon à ce que des
solutions originales soient trouvées. Le Forum pour la Paix et la Sécurité en
Afrique aspirait également à avoir, comme son nom l’indique, une portée
continentale. Néanmoins, on peut regretter que les conflits soudanais, somalien, congolais, et même centrafricain
n’aient été abordés ou l’ont été à la marge. De même, le Forum a souffert
de l’absence d’acteurs continentaux
majeurs. Ainsi, le Kenya, l’Afrique du Sud ou encore la République
Démocratique du Congo n’étaient pas représentés. Il en est de même du Soudan et
de l’Egypte qui prônent pourtant une intervention en Libye. L’Ethiopie,
l’Ouganda et le Nigeria n’ont envoyé qu’un représentant (respectivement le
conseiller du Premier ministre, le Chef d’état-major des armées et l’ancien
Président). Certains participants ont également souligné la surreprésentation des pays francophones. Le Forum semble donc plus concerner les États du Sahel que le continent
africain dans sa globalité comme l’atteste la présence de quatre Présidents
sahéliens lors du panel de clôture.
L’africanisation de la gestion des conflits,
retenue comme la principale conclusion du Forum, est une idée qui a émergé au
lendemain de la guerre froide. Elle reflète l’idée d’un monde
post-bipolaire, structuré autour de blocs
régionaux qui s’autoréguleraient. Vivement critiquée pour ses difficultés, et
une nouvelle fois au Forum, la construction d’une architecture de paix et de
sécurité s’inscrit dans le
temps long des grandes évolutions politiques. Dans un contexte de contraintes
capacitaires sur le continent, la
question est de savoir si la prévention, la gestion des conflits et des
périodes post-conflits sont une réalité ou simplement du ressort du discours.
Ce Forum s’il se pérennise véritablement apportera peut-être « une « nouvelle pierre », qui
manquait encore, à l’édifice de l’APSA », comme le préconisait
Jean-Yves Le Drian. Il a révélé la difficulté de trouver l’acteur essentiel à
la gestion de crise sur le continent au niveau régional ou continental, dans
une période où la menace évolue et défie des États déjà fragiles. Il a permis
de réunir un large panel de spécialistes des questions sécuritaires sur le
continent. Jean-Yves Le Drian le reconnaît : « L’Afrique a besoin de lieu de débat où se cristallise le consensus ».
Néanmoins, ce Forum ne doit pas rester une nouvelle initiative de dialogue et
devra, à l’avenir, aborder les questions de fond. Il devra également s’élargir
et attirer les grands acteurs de la sécurité du continent, faute de quoi il
deviendra un Forum pour la paix et la
sécurité dans le Sahel.
[1] Décidée lors du Sommet de
l’Union africaine en mai 2013 et reposant sur le volontariat.
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