Le jeudi 20 janvier dans un chat sur le MOnde.fr Bertrand Badie a donné son analyse des évènements en Côte d'Ivoire et en Tunisie, extraits :
" (...) Une élection n'a de sens que si elle est approuvée comme mode de régulation politique par tous ceux qui y participent. Autrement dit : pas d'élection sans démocratie instituée, pas de démocratie possible sans Etat installé, et pas d'Etat concevable sans nation construite autour d'un contrat social. On voit bien, par exemple dans le cas ivoirien, que le vrai défi d'une élection est de faire en sorte que la minorité battue tienne son échec pour légitime. (...)
En bref, l'organisation matérielle d'élections dans des pays qui ne sont pas arrivés à bout de leur guerre civile et où la puissance publique n'est pas parfaitement structurée et légalisée a peu de chances d'aboutir à des résultats probants. Maintenant, si les élections sont contestées et si, comme en Côte d'Ivoire, le candidat réputé défait refuse d'admettre son échec, la "communauté internationale" peut-elle le faire changer d'avis ? Et comment ? Un candidat qui obtient 47 % des suffrages ne peut pas être tenu pour un dictateur isolé. Il a une base sociale. Dans le cas ivoirien, il incarne presque la moitié du pays. Une opération de commando à la Noriega ne serait donc pas suffisante. La vraie question qui se pose est de savoir si une armée étrangère peut reconstituer par la force un contrat social déchiré.(...)
La principale erreur des Nations unies est d'avoir pensé un processus électoral dans un contexte de démilitarisation et de démobilisation inachevées : l'Onuci n'a pas su faire ce qu'avait réussi la Minul au Liberia ou la Minusil en Sierra Leone. Le principal rôle de l'acteur onusien est de créer les conditions d'une vraie compétition électorale. En Côte d'Ivoire, l'élection n'apparaissait que comme le prolongement de la guerre intestine amorcée en 2002 en mobilisant d'autres moyens.
On ne s'étonnera pas que les résultats électoraux soient eux aussi le prolongement de la guerre civile par d'autres moyens. (....)
On est en fait confronté, à travers cette expérience, au danger de vouloir mêler, voire confondre, le rôle du juge et celui du médiateur. Etre médiateur suppose d'occuper une position intermédiaire et équidistante entre deux protagonistes ; être juge consiste à donner raison à l'un contre l'autre. Il s'agit bien, donc, de deux rôles distincts. Les Nations unies ont, dans l'affaire ivoirienne, jugé. Nous n'avons pas les moyens d'établir ici si elles ont accompli cette tâche de manière correcte. Mais s'y étant installées, elles s'interdisent désormais de jouer le rôle de médiateur. D'où l'apparition de toute une série d'acteurs nouveaux qui s'efforcent de tenir ce rôle ainsi laissé vacant : des chefs d'Etat de la Cédéao, le premier ministre kényan, ou, tout au début, l'ancien président sud-africain.(...)"
Sur la Tunisie : " (...) D'abord, la dictature a fait oublier la culture démocratique, a rasé la vie politique, a cassé les forces d'opposition et a aboli le débat public. Une élection n'est pas possible ni légitime sans que tous ces éléments se trouvent préalablement restaurés. D'autre part, cette révolution a une particularité remarquable : c'est peut-être la vraie première révolution post-léniniste que nous connaissons. C'est-à-dire sans leader, sans organisation, sans interlocuteur, donc, qui puisse parler au nom du mouvement social ou le confisquer. Or, l'élection est fondamentalement une institution élitiste, qui suppose un personnel politique, des partis, bref, une oligarchie qui sera portée par les urnes. Un temps de latence devient indispensable pour que se constitue cet autre préalable nécessaire.(...)
Prenons-la [la démocratie] comme un idéal, c'est-à-dire faisons-en une valeur partagée par tous, c'est-à-dire reconstruite par ceux-là même auxquels elle est censée s'adresser. Sa faiblesse se trouve dans sa dérive procédurale, dans son universalisme naïf, dans son formalisme, dans la volonté de plaquer et d'imposer de l'extérieur des modèles tout faits auxquels on ne cherche même pas à faire adhérer ceux auxquels on veut l'adresser. Peut-être que le fond du problème est là ; nous avons oublié chez nous que la démocratie était un idéal, nous n'en retenons plus que l'aspect facile de technique de gouvernement : on l'exporte telle quelle et on veut en faire en plus une technique d'action diplomatique ; on a alors tout faux.
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