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mardi 1 avril 2014

Réflexions sur la régulation du conflit en RCA

Bien que les médias soient accaparés par d’autres problématiques, la République centrafricaine reste traversée par une crise politique, humanitaire et économique que les forces internationales, présentes sur place, peinent à réguler. Une carte dénichée sur le compte facebook « Anti-Balaka Vs Sélèka » illustre parfaitement la dynamique destructrice qui touche la RCA. 


On peut y voir une carte de Bangui où figure les « zones à détruire d’urgence », « l’axe du mal à libérer » ou encore les « zones libres ». Le titre en sango « Zo Kwe Zo » signifie « un homme en vaut un autre » et peut se comprendre par la formule : "Tous les hommes sont égaux". Cette devise aurait été énoncée par le Père fondateur de la République Centrafricaine, Barthélemy Boganda. Elle peut ici faire aussi référence à la mouvance Zo Kwe Zo (ex mouvance Ange Felix Patasse) qui a diffusé le 1er mars une pathétique« déclaration historique sur laguerre  du pétrole en Centrafrique etrelative à la déclaration de guerre du gouvernement français «aux anti-balaka»et donc au peuple centrafricain ».
Dans le même temps, la présidente de la transition Catherine Samba-Panza déclarait, dans une interview à Jeune Afrique, que les Forces armées centrafricaines ont été sélectionnés sur des critères essentiellement ethniques et qu’il faut maintenant mettre sur pied une armée républicaine et représentative de toutes les régions du pays, ce qui peut passer par l’intégration des éléments de l’ex-Séléka ou des anti-balaka.
Ces deux positions montrent parfaitement la difficulté qu’il y aura à reconstruire l’Etat et le pacte sociale en RCA.
Une question se pose : comment une société traumatisée par les violences exercées par des groupes qui cohabitaient ensemble par le passé peut-elle leur réapprendre à vivre ensemble ? Comment rétablir la paix ? Dans la même interview la présidente  répond à une question sur l’intérêt que porte la Cour pénale internationale à la Centrafrique, selon elle : « ceux qui ont commis des actes graves devront en répondre. Cela n’exclut pas de pardonner dans le cadre de la réconciliation ». La régulation du conflit passerait par deux modes de régulation : la paix par la justice (donc par la punition judiciaire des crimes commis) et la paix par le pardon (donc par la non poursuite des crimes). Deux modes de régulation que nous tentons de décrypter dans ce billet.
Le développement croissant de la justice pénale internationale tend à établir la sanction pénale comme un impératif. Cette judiciarisation des conflits est une tendance lourde depuis les procès de Nuremberg et de Tokyo. Elle s’est caractérisée par la création de tribunaux ad hoc (Rwanda, Ex-Yougoslavie par exemple) et de la CPI. Le principe sous tendu semble légitime : pour rétablir la paix il faut que justice soit faite et que les victimes soient reconnues et les bourreaux punis. Toutefois, le temps de la justice ne correspond pas toujours à celui de la paix. D’autres mécanismes extrajudiciaires ont été envisagés, ils passent parfois par l’abandon des poursuites judiciaires.
Comme des vidéos circulant sur les réseaux sociaux ont pu le montrer, les victimes étaient parfois elles-mêmes coupables de crimes violents. Il est donc difficile d’établir les responsabilités et, impossible dans un Etat faible comme la RCA, de juger les coupables (d’où le recours à la CPI). De plus, le jugement pourrait s’avérer négatif, en stigmatisant des groupes identifiés comme coupable et entériner les divisions au sein de la société. Par ailleurs, certains acteurs du conflit critiquent parfois l’instrumentalisation politique des tribunaux. En effet, l’objectif doit d’abord être de retrouver la paix politique et sociale or cela peut impliquer de laisser des crimes impunis. Bien que ce positionnement puisse paraître moralement contestable, cela fait pourtant partie de certains modes de régulation des conflits. Considérer les acteurs des violences comme des interlocuteurs politiques et non criminels est un prérequis aux négociations pour parvenir à des accords de paix. Il s’agit d’inclure ces acteurs dans un cadre politique pour permettre la résolution du conflit, donc de faire primer la signature d’accord de paix sur l’application de sanctions pénales. De même, dans une vision pragmatique, qui répond à l’impossibilité de juger tous les coupables, les Commissions Vérité et Réconciliation émergent comme une autre forme de régulation des conflits (en Afrique du Sud, Burundi, Côte d'Ivoire, etc). 
Ces instances extra-juridictionnelles ad hoc forment une alternative à l’approche juridictionnelle traditionnelle. Son action peut inclure des amnisties afin de permettre d’établir une paix sociale et la reconstruction de la société. Ce mode de régulation répond à la dimension socialement difficile que pourrait revêtir des procès. La question aujourd’hui est de savoir comment articuler ces différents modes de régulation des conflits ?

Pour aller plus loin :
Roland Marchal, « Justice internationale et réconciliation nationale », in Politique africaine 2003/4, n° 92.
Graeme Simpson,  « Amnistie et crime en Afrique du Sud après la Commission « Vérité et réconciliation » », in Cahiers d'études africaines 2004/1-2, n° 173-174
Laura Seay, "Rwanda  : Has reconciliation by legal means worked ?", 8 avril 2014 ICI