Bien que les médias soient
accaparés par d’autres problématiques, la République centrafricaine reste
traversée par une crise politique, humanitaire et économique que les forces
internationales, présentes sur place, peinent à réguler. Une carte dénichée sur
le compte facebook « Anti-Balaka Vs Sélèka » illustre parfaitement la
dynamique destructrice qui touche la RCA.
On peut y voir une carte de
Bangui où figure les « zones à détruire d’urgence », « l’axe du
mal à libérer » ou encore les « zones libres ». Le titre en
sango « Zo Kwe Zo » signifie « un homme en vaut un autre » et
peut se comprendre par la formule : "Tous les hommes sont égaux".
Cette devise aurait été énoncée par le Père fondateur de la République Centrafricaine,
Barthélemy Boganda. Elle peut ici faire aussi référence à la mouvance Zo Kwe Zo
(ex mouvance Ange Felix Patasse) qui a diffusé le 1er mars une pathétique« déclaration historique sur laguerre du pétrole en Centrafrique etrelative à la déclaration de guerre du gouvernement français «aux anti-balaka»et donc au peuple centrafricain ».
Dans le même temps, la présidente
de la transition Catherine Samba-Panza déclarait, dans une interview à Jeune
Afrique, que les Forces armées centrafricaines ont été sélectionnés sur
des critères essentiellement ethniques et qu’il faut maintenant mettre sur pied
une armée républicaine et représentative de toutes les régions du pays, ce qui
peut passer par l’intégration des éléments de l’ex-Séléka ou des anti-balaka.
Ces deux positions montrent
parfaitement la difficulté qu’il y aura à reconstruire l’Etat et le pacte
sociale en RCA.
Une question se pose :
comment une société traumatisée par les violences exercées par des groupes qui
cohabitaient ensemble par le passé peut-elle leur réapprendre à vivre ensemble ?
Comment rétablir la paix ? Dans la même interview la présidente répond à une question sur l’intérêt que porte
la Cour pénale internationale à la Centrafrique, selon elle : « ceux qui
ont commis des actes graves devront en répondre. Cela n’exclut pas de pardonner
dans le cadre de la réconciliation ». La régulation du conflit passerait
par deux modes de régulation : la paix par la justice (donc par la
punition judiciaire des crimes commis) et la paix par le pardon (donc par la
non poursuite des crimes). Deux modes de régulation que nous tentons de
décrypter dans ce billet.
Le développement croissant de la
justice pénale internationale tend à établir la sanction pénale comme un
impératif. Cette judiciarisation des conflits est une tendance lourde depuis
les procès de Nuremberg et de Tokyo. Elle s’est caractérisée par la création de
tribunaux ad hoc (Rwanda, Ex-Yougoslavie par exemple) et de la CPI. Le principe sous tendu semble légitime : pour rétablir la paix il
faut que justice soit faite et que les victimes soient reconnues et les
bourreaux punis. Toutefois, le temps de la justice ne correspond pas toujours à
celui de la paix. D’autres mécanismes extrajudiciaires ont été envisagés, ils
passent parfois par l’abandon des poursuites judiciaires.
Comme des vidéos circulant sur
les réseaux sociaux ont pu le montrer, les victimes étaient parfois elles-mêmes
coupables de crimes violents. Il est donc difficile d’établir les
responsabilités et, impossible dans un Etat faible comme la RCA, de juger les
coupables (d’où le recours à la CPI). De plus, le jugement pourrait s’avérer
négatif, en stigmatisant des groupes identifiés comme coupable et entériner les
divisions au sein de la société. Par ailleurs, certains acteurs du conflit
critiquent parfois l’instrumentalisation politique des tribunaux. En effet, l’objectif
doit d’abord être de retrouver la paix politique et sociale or cela peut
impliquer de laisser des crimes impunis. Bien que ce positionnement puisse
paraître moralement contestable, cela fait pourtant partie de certains modes de
régulation des conflits. Considérer les acteurs des violences comme des
interlocuteurs politiques et non criminels est un prérequis aux négociations pour
parvenir à des accords de paix. Il s’agit d’inclure ces acteurs dans un cadre politique
pour permettre la résolution du conflit, donc de faire primer la signature d’accord
de paix sur l’application de sanctions pénales. De même, dans une vision pragmatique,
qui répond à l’impossibilité de juger tous les coupables, les Commissions Vérité et Réconciliation émergent comme une autre forme de régulation des
conflits (en Afrique du Sud, Burundi, Côte d'Ivoire, etc).
Ces instances extra-juridictionnelles ad hoc forment une alternative à l’approche juridictionnelle
traditionnelle. Son action peut inclure des amnisties afin de permettre d’établir
une paix sociale et la reconstruction de la société. Ce mode de régulation
répond à la dimension socialement difficile que pourrait revêtir des procès. La
question aujourd’hui est de savoir comment articuler ces différents modes de
régulation des conflits ?
Pour aller plus loin :
Roland Marchal, « Justice
internationale et réconciliation nationale », in Politique africaine
2003/4, n° 92.
Graeme Simpson, « Amnistie et crime en Afrique du Sud
après la Commission « Vérité et réconciliation » », in Cahiers d'études
africaines 2004/1-2, n° 173-174
Laura Seay, "Rwanda : Has reconciliation by legal means worked ?", 8 avril 2014 ICI
Laura Seay, "Rwanda : Has reconciliation by legal means worked ?", 8 avril 2014 ICI
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