Il est devenu un lieu commun dans les discours politiques
et académiques de présenter la Corne de l’Afrique, et plus largement l’Afrique
de l’Est, comme une région majeure de développement du terrorisme
jihadiste. La réalité est pourtant bien plus
nuancée.
D’une part, et à l’exception du Kenya,
les autres pays de la région semblent
relativement épargnés par le phénomène. En effet, l’Éthiopie a été relativement
peu touchée par les attaques liées à des organisations affiliées à Al-Qaïda
.
La plupart des attaques connues sont d’Al-Itthad al-Islami,
basée en Somalie, avec des ramifications en Éthiopie, et les groupes comme le
Front de Libération Oromo et le Front National de Libération de l’Ogaden qui
pratiquent l’assassinat, le kidnapping, minent les
routes, préparent des attentats dans les bars, les hôtels ou les bâtiments
publics (on se référera aux tableaux en annexes).
D’autre part,
B.
Møller a démontré la faiblesse quantitativement des activités terroristes d’Al-Qaïda dans la région entre 1998 et 2005. La figure suivante recense tous les
incidents terroristes dans la région. Il en ressort que ni le nombre d’attaques
terroristes, ni le nombre de tués ou de blessés ne semblent particulièrement
alarmants. Environ onze incidents par an en moyenne et moins d’une centaine de
tués dans toute la région. Le troisième tableau montre, à l’exception des deux
attentats de 1998, que le terrorisme est principalement motivé par des raisons
politiques plutôt que religieuses. Lorsque la religion est en cause, ce n’est
souvent pas l’islam, mais le christianisme. C’est par exemple le cas de la LRA
(Lord’s Resistance Army) de Joseph Kony en Ouganda. Comme le précise
B. Møller, vingt fois plus de personnes ont
péri dans des attentats perpétrés par des personnes de confession chrétienne
que par des jihadistes. Enfin, le dernier tableau indique que la menace terroriste
varie d’un pays à l’autre. L’Ouganda est le plus vulnérable des huit pays
présentés (si nous excluons les deux attentats de 1998).
Figure
14: Tableau des incidents terroristes dans la
Corne de l’Afrique entre 1998 et 2005
Figure
15: Tableau du terrorisme en Afrique de l'Est
Figure
16: Tableau des actes terroristes par causes
Figure
17: Tableau de répartition géographique (par
pays) des actes terroristes
Ainsi, la menace terroriste jihadiste, dans la Corne de l’Afrique et en
Afrique de l’Est plus généralement, est surestimée pour la période allant de
1998 à 2005. Il fut de l’intérêt des
gouvernements locaux d’exagérer cette menace afin de se placer parmi les alliés
des États-Unis dans la guerre contre le terrorisme, d’obtenir des subsides, et
enfin, « en interne », de labéliser comme « terroristes » leurs
propres opposants et les combattre en adoptant des mesures extra-ordinaires. Or
ceci mènera à l’intervention éthiopienne en Somalie en 2006 e.
Bjørn MØLLER, « The Horn of Africa and the US
”War on Terror” with a special Focus on Somalia », Development, Innovation and International Political Economy Research
(DIIPER), Aalborg University Denmark, DIIPER Research Series, Working Paper n°16,
2009, 58p.