Le président mauritanien, Mohamed
Ould Abdel Aziz, a été blessé le 13 octobre, par balle et transféré vers Paris.
Sans information supplémentaire sur son état de santé, toutes les rumeurs courent
dans le pays. Le Président aurait été touché au bras et/ou à l'abdomen. Sa
venue à Paris ne serait pas un signe inquiétant, il devrait juste y obtenir des
"soins complémentaires" après avoir été opéré avec "succès"
dans son pays. Rapidement, le président assurait que son état de santé était
bon et précisait même les circonstances de l’accident :
"Je veux
les rassurer sur ma santé après cet incident commis par erreur par une unité de
l'armée sur une piste non goudronnée dans les environs de la localité de Tweila
(40 km de Nouakchott)", d’où il revenait d'une excursion dans le nord
du pays. Le véhicule ne se serait pas arrêté à un barrage mobile de l'armée, et
la voiture présidentielle, non identifiée, aurait été prise en chasse et mitraillée
de 14 balles après n’avoir pas prêté attention aux tirs de sommation (témoignage à lire
ICI)
L’hypothèse de l’accident est
plausible bien qu’elle fasse débat
et puisse paraitre un peu fantaisiste. Ce qui nous intéresse ici est le vide
juridique que cet évènement révèle. En effet, le président s’est rapidement
exprimé et montré publiquement afin de prouver qu’il n’était pas mort, n’avait pas
abdiqué et qu’il n’y avait donc pas de vacance du pouvoir. Le ministre des
Affaires étrangères Hamadi Ould Hamadi, est intervenu pour assurer que le
président :
"exerce la plénitude de ses pouvoirs (…) L'Etat
fonctionne, il n'y a aucun problème particulier qui nécessite des dispositions
particulières".
Pourtant la rumeur enfle. L’absence
du Président commence à être longue et l’opposition n’est plus la seule à
gronder. Le Président est-il en état de convalescence ou peut-on poser la
question de la vacance formelle du pouvoir ?
Appuyons
nous sur la norme fondamentale pour débuter : la Constitution
mauritanienne. Celle-ci dispose :
« Article 40 : En cas de
vacance ou d’empêchement déclaré définitif par le Conseil constitutionnel,
le Président du Sénat assure l’intérim du Président de la République pour
l’expédition des affaires courantes. Le Premier ministre et les membres du
Gouvernement, considérés comme démissionnaires, assurent l’expédition des
affaires courantes. Le Président intérimaire ne peut mettre fin à leurs
fonctions. Il ne peut saisir le peuple par voie de référendum, ni dissoudre
l’Assemblée Nationale. L’élection du nouveau Président de la République a lieu,
sauf cas de force majeure, constaté par le Conseil constitutionnel, dans les
trois (3) mois à partir de la constatation de la vacance ou de l’empêchement
définitif. Pendant la période d’intérim, aucune modification constitutionnelle
ne peut intervenir ni par voie référendaire, ni par voie parlementaire.
Article 41 : Le Conseil constitutionnel, pour
constater la vacance ou l’empêchement définitif, est saisi soit par :• Le
Président de la République ; • Le Président de l’Assemblée Nationale ; • Le
Premier Ministre. »
Donc
la vacance ou l’empêchement définitif sont des faits juridiques même s’ils ne
sont pas définis précisément dans le texte suprême. C’est au Conseil
constitutionnel de déclarer la vacance (ça n’est pas le cas ici car le
Président n’est pas mort) ou l’empêchement définitif (distinct de l’empêchement
provisoire qui serait, par exemple, une maladie plus ou moins prolongée mais
non handicapante pour l’exercice de la fonction présidentielle). Si le Conseil
déclare l’empêchement il permet ainsi au Président du Sénat d’assurer l’intérim.
Or
pour cela le Conseil constitutionnel doit être saisi (il ne peut s’autosaisir),
ce qui n’est pas le cas pour l’instant. Cette saisine revient soit au Président
(ce qui reviendrait à constater sa démission, ça ne devrait pas être le cas
ici), soit au Président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir (photo), ou au
Premier ministre, Moulaye Ould Mohamed Laghdaf or ces derniers ne peuvent
saisir le Conseil constitutionnel s’ils n’ont pas d’information sur la santé du
Président. La charge de la preuve revient donc au gouvernement ou au Président
de l’Assemblée nationale. Et ce dernier a « reconnu n’avoir jamais reçu le
moindre bulletin de santé du Chef de l’Etat en précisant n’avoir aucune
compétence médicale pour se prononcer sur son état uniquement à partir d’une
communication téléphonique de 7 mn avec un interlocuteur qu’il dit être lucide
mais parlant d’une " voix faible" (ICI).
Le
seul moyen pour les pousser à saisir le Conseil constitutionnel serait que l’état
de santé du Président soit déclarée grave et l’empêcherait d’exercer son
pouvoir. Sans bulletin de santé publié, ils ne peuvent exercer leur charge
constitutionnelle. Il faudrait que le bulletin de santé du Président soit
publié (ce que demande l’opposition). Or la publication du bulletin de santé n’est
pas une obligation. C’est un vide juridique tant en Mauritanie qu’en France et
dans d’autres pays. De de Gaulle à
Sarkozy tous les présidents français ont
promis de publier leur bulletin de santé
mais ces bulletins étaient faux ou omettaient des informations.
Et les Présidents comme les autres citoyens ont le droit au secret médical
malgré l’exigence de transparence.
Allons
plus loin, émettons l’hypothèse que la preuve de la santé vacillante du
Président soit établie. Le Premier ministre et le Président de l’Assemblée
nationale ne peuvent même pas, en droit pur, saisir le Conseil constitutionnel.
En effet, le cercle vicieux se poursuit.
L’Assemblée nationale est arrivée au terme de son mandat mais n’a pas été
renouvelée donc le Président de l’Assemblée nationale est sans prérogative
constitutionnelle. De plus, si le Président du Sénat devait assurer l’intérim,
il ne le pourrait pas car il n’a pas été renouvelé selon la règle du renouvellement
par tiers tous les deux ans. Pour sa part, le Premier ministre n’a pas de
majorité parlementaire sur laquelle s’appuyer à l’Assemblée puisque ses membres
n’ont pas été renouvelés à la fin du mandat parlementaire. Last but not least,
le Conseil constitutionnel ne pourrait même pas se prononcer car il est
incomplet. Trois de ses membres n’ayant pas encore porté serment.
Ce vide juridique
laisse le pays en état de paralysie institutionnelle. Nous l’avons vu, la
Constitution ne permet pas de trouver une solution à ce blocage. Une situation
d’autant plus grave vu le contexte régional actuel et les préparatifs d’une
intervention militaire chez le voisin malien. Selon un journal local : «
La Constitution ne prévoyant pas de vacance temporaire du pouvoir, il y a de
fortes chances que le Haut Conseil de Sécurité (HCS) renaisse de ses cendres,
pour tirer les ficelles jusqu’au retour du président. »