jeudi 8 avril 2010
Après Amin Dada, l’Armée de Résistance du Seigneur sème la terreur
La LRA (Lord Resistance Army), la plus vieille rébellion du continent africain, fait tragiquement reparler d’elle par des attaques répétées depuis février dans les pays voisins de l’Ouganda. Ces attaques auraient fait plus de 200 morts depuis 2008 dans l’Est de la République Centrafricaine (RCA) et près de 300 morts (320 selon un récent rapport de l’organisation Human Rights Watch) fin 2009 dans le Nord Est de la République Démocratique du Congo (RDC). Le mode opératoire est toujours le même : les combattants évoluent dans la zone frontalière reliant l’Ouganda, le Soudan, la RDC et la Centrafrique, et de villages en villages prennent des otages et des biens de valeurs. Pour le ministre Délégué à la Défense nationale centrafricaine : « C'est une guerre qui nous est imposée ». La RCA, incapable de faire face à cette nouvelle déstabilisation sur son territoire, a donné son feu vert en juin 2009 pour que l'armée ougandaise poursuive la LRA sur son territoire.
Origines de la rébellion
La LRA est active depuis l’arrivée au pouvoir de Museveni en 1988, après une période de guerres civiles et de coups d’Etats opposant les ethnies du nord et celle du sud (Obote, Amin Dada…), elle figure sur la liste américaine des groupes terroristes à combattre. Cette guerre est la plus ancienne de la région et entrave les perspectives d’avenir.
Au départ, ce mouvement est un mouvement populaire d’autodéfense des populations Acholi du nord du pays (carte ci-dessous), face à la prise de pouvoir de Museveni, et donc des ethnies du Sud-ouest. Son objectif est de remplacer le pouvoir de Museveni par un pouvoir basé sur la bible. L’Ouganda a été marqué par le clivage entre protestants et catholiques. L’une des particularités du pays est d’avoir été construit par le colonisateur britannique sur la base de la juxtaposition au sein d’un même territoire de l’aire géographique nilotique et soudanaise face à l’aire Bantou. Bien qu’associées, ces deux parties ont été maintenues dissociées au niveau géographique, politique et administratif jusqu’à l’indépendance du pays. Comme le rappelle Bernard Calas : « L’Ouganda est le produit d’une histoire particulière qui va transformer un blanc cartographique en un territoire limité et soumis à une même tutelle politico-administrative. Son devenir contemporain y trouve ses racines ». Le problème récurrent est donc de maintenir l’unité entre ces deux parties régionales qui luttent pour le pouvoir. Le territoire actuel était au départ composé de plusieurs royaumes et le pays tel qu’il est aujourd’hui a été construit par ajustements successifs.
La LRA s’est formée à partir du mouvement millénariste d’Alice Auma, le Holy Spirit Movement (HSM). La prêtresse se disait possédée « par l’esprit Lakwena (=messager) qui lui ordonne de constituer [des] forces armées [...] pour renverser le gouvernement » ainsi que pour « purger le monde du pêché et construire un monde nouveau où seront réconciliés l’homme et la nature» (Behrend). Pour Brett la répression exercée par la NRA ((National Resistance Army, branche armée du mouvement de Museveni) sur les populations Acholis crée une transition au sein du HSM, d’une dynamique d’expiation de la culpabilité vers une dynamique de rébellion. Le sociologue Behrend explique la multiplication des conflits dans la région et les discours sur la sorcellerie ont produit un phénomène de « moral panic », « dans [un] contexte de terreur générale et de menace intérieure et extérieure à la communauté » et le HSM proposait des solutions morales. La prêtresse prend ensuite le nom d’Alice Lakwena. Le HSM prêche un syncrétisme mêlant christianisme, islam et religions traditionnelles. Les combattants acceptaient de se soumettre à un rituel de purification où ils étaient aspergés d’une eau leur assurant la protection des esprits même contre les balles !
A l’origine l’armée, comptant près de 10 000 combattants (beaucoup d’anciens militaires attirés par le repentir et parce qu’ils craignaient de connaître la marginalisation politique et la discrimination), rencontre de nombreux succès et entame une marche vers la capitale. Elle est défaite à 60km de Kampala en 1987 et Alice Lakwena s’exile au Kenya. Les troupes rejoignent plusieurs mouvements qui succèdent aux HSM dont celui de Joseph Kony (photo). Ce dernier emprunte la plupart des idées, du discours et des méthodes du HSM cependant la LRA est moins messianiste. Dans les mouvements de rébellion le chef possède un rôle très important dans la motivation des troupes. Ce type de conflit repose en effet sur la figure charismatique d’un homme (ou d’une femme) et de sa capacité à accomplir la mission qu’il s’est fixé.
Au départ les Acholi étaient conciliants et offraient des denrées et des hommes aux rebelles pour les soutenir. En effet, l’une des premières phases d’un mouvement de guérilla consiste à gagner l’appui des masses. Cette mobilisation a pour but de déboucher sur la constitution d’une infrastructure politique clandestine et sur la popularisation du projet. Cette stratégie présuppose que l’État est impopulaire ce qui était le cas dans cette région. Les paysans nilotiques du Nord se sentaient exclus d’un développement qu’ils ne voyaient que de loin.
Dans les années 1990, l’armée gouvernementale a forcé les Acholi, (environ 2,5 millions de personnes), à se rassembler dans des camps de déplacés. Cette politique a eu l’effet recherché puisque, coupés de leurs sources de recrutement et de ravitaillement, les rebelles se sont mis à piller les villages et à kidnapper les jeunes enfants engagés de force dans ce combat. En outre, sur le plan militaire, la guérilla cherchait à disperser au maximum les forces armées. Jusqu’en 1992, le mouvement dispose de capacités militaires réduites. Sans soutien extérieur, il se contente d’effectuer des opérations de brigandage à petite échelle et des actions criminelles. Entre 1992 et 1994, la LRA est la cible d’une offensive d’envergure menée par l’armée gouvernementale.
Le plus important, en dehors du soutien de la population, consistait à organiser des bases où la guérilla pouvait connaître une relative sécurité. Ces bases étaient vitales. La LRA a donc trouvé du soutien auprès du régime islamique de Khartoum, alors soucieux de limiter l'aide militaire apportée par l’Ouganda, avec le soutien de la Grande-Bretagne et des États-Unis, à l’Armée de libération populaire du Sud-Soudan (SPLA) du chrétien John Garang. En 1994, les forces soudanaises arrivent près de la frontière. Dès lors la guérilla bénéficie d’un important soutien notamment par la livraison de matériel et la mise à disposition de bases arrière. La LRA dispose alors d’environ 4000 hommes. La NRA n’est pas en mesure de réagir aux pillages des villages. La seule solution adoptée est de soutenir la SPLA dans le Sud du Soudan. Le conflit interne devient régional. La NRA pénètre sur le territoire soudanais pour détruire les bases arrière de la guérilla. C’est une véritable stratégie croisée qui s’organise et s’autoalimente, chaque guérilla (LRA et SPLA) bénéficiant de bases arrière et de soutien dans le pays voisin.
La LRA perd un peu de son soutien populaire en 1999 lorsque les autorités de Kampala développent une nouvelle politique qui favorise le rapprochement entre les autorités locales et les populations. Dès lors on ne peut plus parler de guérilla mais de rébellion.
Un conflit dans l’impasse
Qualifiée de « crise humanitaire la plus négligée du monde » par l’ancien secrétaire général adjoint des Nations unies en charge des Affaires humanitaires, Jan Egeland, la guerre civile ougandaise a provoqué des dizaines de milliers de morts (100 000) et environ 2 millions de déplacés dans le Nord de l’Ouganda et le sud du Soudan depuis 1986. Les membres de ce mouvement sont accusés de massacres, de viols, d'attaques de la population civile et autres violations des droits de l'homme. Ses effectifs seraient aujourd’hui constitués à plus de 80% d’enfants soldats. Plus de 25.000 enfants ont été enlevés par la LRA depuis 1986 dont 30 % de filles et sont utilisés comme soldats, porteurs et esclaves sexuels. Ils sont souvent mutilés par les rebelles.
Aujourd’hui, le conflit avec la LRA est dans l’impasse. Aussi bien les tentatives politiques de résolution du conflit que la solution militaire ont échoué. La population Acholi, qui vit dans des camps de déplacés, continue à être victime des rebelles et de l’abandon du gouvernement. La survie de la rébellion passe nécessairement par un bon renseignement sur l’adversaire or il arrive souvent par l’infiltration dans l’armée et surtout des sympathisants locaux. Pour Gérard Prunier si cette rébellion perdurent c’est aussi parce qu’elle sert « les appétits d’une classe d’officiers souvent corrompus, auxquels la guerre permet d’entretenir un flou ».
La Cour Pénale Internationale a émis des mandats d’arrêts en septembre 2005 qui visent les 5 hauts responsables de la LRA dont Joseph Kony et son adjoint, Vincent Otti. L’intervention de la CPI suscite une vive controverse dans le pays. Ces inculpations constitueraient un frein au processus de paix entamé en juillet 2006 entre les rebelles et le gouvernement. D’autant que cette cour pourrait aussi s’intéresser aux exactions commises par l’armée ougandaise.
Sources :
BALENCIE (J.M.), de LA GRANGE (A.), «Mondes rebelles : Guérillas, milices, groupes terroristes », Paris, 2001, Michalon
BEHREND (H.), « War in Nothern Uganda-The Holy Spirit Movements of Alice Lakwena, Severino Lukoya and Joseph Kony (1986-97), in CLAPHAM (C.), “African Guerillas”, 1998.
BRETT (E.A.), “Neutralising the Use of force in Uganda: The role of the military in Politics”, in The Journal Modern African Studies, 1995
CALAS (Bernard), PRUNIER (Gérard), « L’Ouganda contemporain », Paris, 1994, Khartala, 303 p.
CHALIAND (Gérard), « Terrorismes et guérillas », Paris, 1988, Complexe, 177 p.
ESSOUNGOU (André-Michel), « Chantage à la paix en Ouganda », in Le Monde diplomatique, avril 2007.
JOES (James), « Modern Guerrilla Insurgency », Preager, 1993.
PRUNIER (Gérard), « Forces et faiblesses du modèle ougandais », in Le Monde diplomatique, 1998
RENO (W.), « Warlord Politics and African States”, 1998.
TABER (Robert), “War of the flea the classic study of guerrilla warfare”, Potomac book, Dulles 2002, p.170
TAWA (Habib), « La Prusse de l’Afrique », in Le Nouvel Afrique Asie, n°6, mai 2006, pp. 42 à 45.
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