Lors d'un chat sur le Monde.fr, le mardi 22 septembre 2009, Bertrand Badie, professeur à Sciences Po analysait l'autoritrisme. Selon lui il faut nuancer l'opposition démocratie-autoritarisme, qu'il juge "trop simple et en partie fausse". "D'autant qu'aucun régime, même en Europe, n'est épargné par une poussée autoritaire." Des propos qui conserventtoute leur actualité.
Régime autoritaire vs dictatorial :(…) « On a pris l'habitude de définir un régime autoritaire comme caractérisé par un pluralisme limité : la compétition pour le pouvoir est restreinte à certains candidats, la liberté d'expression est elle-même limitée, la protection juridique est imparfaite et même partielle, voire partiale. On est donc confronté à une logique en degrés : on dira d'un système qu'il est plus ou moins autoritaire, mais on ne saura pas toujours comment le borner.
En aucun cas ce concept ne saurait aboutir à une dualité opposant des régimes démocratiques à leur contraire C'est même dans la zone grise qui sépare ces deux pôles que se situent le plus grand nombre d'Etats.
La Russie est-elle un régime autoritaire ou une démocratie, quand on sait que la liberté y est restreinte et que les choix politiques ne sont pas totalement libres ?
Le Venezuela est-il un régime autoritaire alors que le président Chavez a été élu et qu'il a même accepté sa défaite devant un référendum où le "non" était majoritaire ? Israël apparaît comme une démocratie parfaite si l'on tient compte de la libre compétition pour le pouvoir, mais les Arabes israéliens sont des citoyens de seconde zone qui entachent ainsi gravement la qualité de démocratie de ce régime.
En bref, la notion nous invite à réfléchir à un certain nombre de critères mais elle ne nous conduit certainement pas à distinguer de façon tranchée entre catégories claires d'Etat.
La dictature est une notion plus restreinte. Elle implique le plein exercice du pouvoir par un homme seul, sans contrôle, sans limitation de ses compétences, sans limitation de la durée de son mandat. Un dictateur peut arriver au pouvoir par la force ou il peut être élu mais se maintenir contre le droit et par l'oppression.
Mais là encore, confronté à la réalité, le concept est moins clair qu'on pourrait le croire : la prolifération d'élections-simulacres rend difficile de distinguer entre un dictateur et un président autoritaire réélu dans des conditions de légalité et de transparence suspectes. De même, la suspension des libertés et des droits peut correspondre à des mécanismes institutionnels et aboutir à la mise en place de formes de dictature légales qui, à leur tour, viendraient brouiller les pistes. Pour nous résumer, je dirai que l'autoritarisme est davantage une question qu'une réponse, un instrument de diagnostic qu'un outil de classement, une problématique plus qu'une affirmation. »
(…)l'opposition démocratie-autoritarisme est trop simple et en partie fausse. La démocratie étant une technique de gouvernement et l'autoritarisme une posture plus ou moins affirmée, les deux concepts peuvent se combiner dans la pratique."
L’autoritarisme comme facteur de stabilité
« (…) Dans une tradition wilsonienne, on a pu établir, notamment depuis 1945, que la démocratie était facteur de paix là où les régimes les plus autoritaires conduisaient naturellement à la guerre. Cette thèse a même reçu un nom, celui de la "paix positive". Elle a en sa faveur des arguments forts : l'hostilité des opinions publiques à la guerre et à la violence internationale ; la corrélation entre les valeurs démocratiques et les valeurs de paix et de tolérance ; le jeu des contre-pouvoirs qui limitent les prétentions belliqueuses d'un dirigeant. Mais en même temps, cette thèse a été démentie par les faits.
Même si les démocraties ont tendance à faire davantage la guerre aux régimes autoritaires qu'à leurs semblables, elles sont loin de s'imposer comme des forces de paix. L'exemple du conflit israélo-palestinien est également là pour le rappeler. La seule bombe atomique qui ait été utilisée était également l'instrument militaire de la plus grande démocratie du monde d'alors.
Certains, dans ce sillage, ont fait valoir que la versatilité des opinions publiques pouvait conduire à la guerre plus qu'à la paix, tandis qu'effectivement, un régime autoritaire, ayant moins de comptes à rendre, peut prendre davantage de risques pour construire et imposer une diplomatie de paix.
En fait, les exemples abondent dans les deux sens : c'est bien pour se relégitimer que la dictature argentine s'est lancée dans la guerre des Malouines ; c'est aussi pour renforcer sa propre équation que le régime militaire grec s'est lancé dans une aventure militaire à Chypre. Et on pourrait continuer cette longue énumération, qui nous ramènerait au constat élémentaire que le point idéal serait la dictature platonicienne du sage qui imposerait la vertu à ses sujets et à ses voisins.
En réalité, une analyse internationale du sujet nous conduit à regarder ailleurs : à prendre en compte d'abord les conjonctures internationales, certaines favorisant les régimes dictatoriaux, d'autres promouvant de façon active la démocratie. Il faut regarder également les usages diplomatiques et stratégiques qui sont faits des régimes politiques en fonction des intérêts des uns et des autres.
On remarquera par exemple que les Etats-Unis ont favorisé l'essor des dictatures dans l'Amérique latine des années 1960 et 1970, pour au contraire favoriser le retour à la démocratie à la fin des années 1980 et jusque dans la période néoconservatrice récemment éprouvée. »
Sur l’interventionnisme : (…) « Nous sommes sortis de la période d'euphorie qui auréolait l'intervention extérieure. Celle-ci se faisait d'abord par conviction : la démocratie se parait des vertus du prosélytisme et du messianisme. Elle se faisait aussi par opportunité : la chute de l'URSS laissait aux "démocraties occidentales" le champ libre pour devenir le gendarme vertueux du monde et envoyer partout ce que François Mitterrand appelait les "soldats du droit". On a en fait trop vite confondu vertu et efficacité, solidarité et intervention, et on a tout simplement oublié qu'une démocratie ne pouvait dériver que d'un contrat social construit par les acteurs locaux eux-mêmes. Le pitoyable destin de l'élection récente en Afghanistan l'a rappelé d'une façon désormais indélébile.
En réalité, c'est tout le contraire de ce qui avait été souhaité qui est en train de se produire : une intervention mal maîtrisée est en train de ranimer partout dans le monde des fibres nationalistes, identitaristes et particularistes qui recomposent une violence internationale sans cesse plus forte.
On peut certes cyniquement jouer avec le régime de l'autre, mais on ne peut pas le transformer. C'est cette opposition mal comprise qui redevient aujourd'hui le facteur essentiel de l'échec des diplomaties occidentales. La démocratie ou la dictature peuvent être un paramètre de l'action diplomatique, mais certainement pas une finalité de celle-ci. »
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