Nous assistions, ce lundi 30 juin, à un colloque organisé par
l'association RBF-France Forum de mémoire : « Rwanda : Réflexions sur le dernier génocide du XXèmesiècle » devant une assemblée très engagée, composée de rescapés, de
personnalités médiatiques (Sonia Roland) et politiques (l’ambassadeur du Rwanda
en France).
La première table ronde « stigmatiser,
exclure, éradiquer. La logique génocidaire, de la planification à l’extermination »
s’est avérée assez décevante pour une raison principale: la présence d’un seul
africaniste (Gérard Prunier) sur une table ronde constituée uniquement d’historiens.
L’intervention de Gérard Prunier avait pour but de rappeler la méconnaissance
française et internationale des spécificités politiques, culturelles, et
ethniques du Rwanda avant, pendant et après le génocide, mais aussi de refuser
les approches comparatistes de l’étude du phénomène génocidaire. Or, c’était
bien là l’objectif de cette table ronde qui réunissait Jacques Sémelin, Tal
Bruttmann (spécialiste de la Shoah) et Raymond Kevorkian (spécialiste du
génocide Arméniens). La définition du génocide est restée celle retenue par la Convention de 1948 alors même que les chercheurs ont élargit cette définition aux actions génocidaires. De fait, cette table ronde est restée assez
superficielle et décevante pour celui qui souhaitait, soit avoir une
présentation de la recherche académique sur le phénomène génocidaire, soit une analyse
du génocide rwandais. Alors que la salle souhaitait élargir le débat sur la
prévention des génocides, elle semble être restée sourde aux appels de Gérard
Prunier des évènements se déroulant actuellement, dans le silence médiatique,
au Soudan.
La deuxième table ronde semblait particulièrement attendue
par le public et pour cause, François Léotard, ancien ministre de la Défense,
intervenait pour la première fois sur l’opération Turquoise, aux côtés de
Bernard Kouchner et de Nicolas Poincaré, journaliste à Europe 1, présents au Rwanda
en 1994.
François Léotard a introduit son intervention en rappelant
que les deux victimes de ces débats étaient : la vérité et la
responsabilité. Seules trois institutions en France peuvent approfondir la
vérité : l’Université, la Justice et le Parlement. Sur l’opération
Turquoise il a rappelé en être responsable « avec fierté », « nous avons fait ce que nous pouvions et ce
que nous devions faire (…) la gestion de l’armée française est
irréprochable » car elle s’est
déroulée dans le respect de la personne, le refus du meurtre (il n’y a pas eu
de morts Français ce qui prouverait que la France n’a pas participé aux combats),
la déontologie militaire a été respectée. Nicolas Poincaré s’est montré plus
nuancé : « ni les militaires,
ni les humanitaires, ni les journalistes n’ont été sans reproche surtout
pendant l’opération Amaryllis». Il prend l’exemple du colonel Tauzin qui
fût de fait un temps dirigeant de l’armée rwandaise avant le génocide et en
première ligne au début de l’opération Turquoise.
Tous les intervenants se sont entendus sur le rôle du Rwanda
dans la politique africaine de la France à l’époque et sur le complexe de
Fachoda qui pouvait exister, confirmé par l’attitude américaine dans la région.
Le principal sujet de discorde entre François Léotard et le reste de la salle a
concerné la responsabilité politique de la France, précisément le choix de son
allié. Pourtant, finalement, les intervenants étaient d’accord : il n’y a
pas eu de faute militaire mais des erreurs politiques. Pour l’ancien Ministre
de la défense, la France n’a pas choisi de soutenir un homme, certes disqualifié,
mais la stabilité. L’erreur politique vient de Mitterrand qui est « né
avec une autre France, et une autre Afrique ». Il a rejoint les critiques
de Gérard Prunier qui, quelques minutes plus tôt, comparait l’ancien Président
de la Vème République à un maurassien. Pour Bernard Kouchner les relations
entre la France et le Rwanda relevaient depuis des années d’un compagnonnage
qui a évolué défavorablement.
L’autre point d’accord, relayé par la presse le lendemain (ICI, ICI, ICI) portait sur la transparence. Pour François Léotard : « aucune raison d’invoquer le secret défense
dans cette affaire ». Il s’est même dit prêt à aller voir le Ministre
de la Défense Jean-Yves Le Drian, en compagnie de Bernard Kouchner, pour
obtenir les documents relevant du ministère de la Défense. On pourra reprocher
à l'ancien ministre de la Défense de s’être parfois laissé emporter dans la provocation face à
une assemblée hostile notamment :
1/ lorsqu’il
refusa de critiquer la mission d’information parlementaire de 1998 – Kouchner rappela
qu’il a été interrogé par cette mission mais que ses questions n’ont pas été
publiées- ;
2/ lorsqu’il
loua les travaux de Pierre Péan et Bernard Lugan, deux « spécialistes »
marginalisés par la communauté scientifique et qualifié par Kouchner de « faux-témoins
absolus »;
3/ lorsque,
de façon condescendante, il affirma : « je considère que ce qui a été fait par la France est à son honneur (…)
nous avons sauvé des dizaines de milliers de vie, ça suffit au bilan » ;
4/ lorsqu’il
se montra particulièrement imprécis sur les évènements à Bisesero ;
5/ lorsqu’il
évita de répondre à plusieurs reprises à Bernard Kouchner : pourquoi avoir
disposé l’opération Turquoise sur la route de l’exode des Hutus plutôt qu’à
Kigali ? Il rappela alors que ce type de choix relevait de l’exécutif.
En revanche, il était appréciable d’avoir le rappel du
contexte complexe dans lequel il évoluait : de nombreux conscrits étaient
alors engagés dans le siège de Sarajevo ; l’achèvement de la rédaction du
Livre Blanc (« Turquoise n’était pas
une hypothèse de travail ») ; les conditions d’opération (le
stress et le manque d’information) ainsi que le processus décisionnel français.
On notera également que l’ancien Ministre de la Défense a reconnu avoir pu être
abusé par des acteurs locaux qui lui auraient donné des informations erronées
de la situation sur le terrain.
Les commémorations du génocide se poursuivent, pour aller plus loin :
- une sélection d'article académiques proposées par Taylor & Francis ICI
- 4 émissions spéciales de La Fabrique de l'Histoire sur France Culture consacrée au Rwanda après un voyage d'étude réalisé en avril 2014 par une équipe de chercheurs. ICI
"pourquoi avoir disposé l’opération Turquoise sur la route de l’exode des Hutus plutôt qu’à Kigali ?" - Ca c'est une question à continuer à poser... Préciser qu'il n’y a pas eu de faute militaire mais des erreurs politiques implique que des politiques doivent quelques explications...
RépondreSupprimerOui, sauf s'ils sont morts :)
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