mardi 8 juillet 2014

De l'imposture à la pseudo censure

Dans son dernier billet Jean Dominique Merchet note : "Attaché à la liberté d'expression, je trouve détestable que quelqu'un - un intellectuel en l'occurrence - soit exclu, voire sanctionné, pour ses idées fussent-elles détestables. Et je considère sans hésitation que celles d'extrême-droite, mues par la haine, le sont. Mais je ne suis pas convaincu que Bernard Lugan ne disent que des sottises sur les sujets dont il a fait profession d'étudier et de vulgariser". Passé une petite toux de gêne mêlée de consternation face à cette complaisance et cette méconnaissance, nous vous proposons une petite réflexion sur l’imposture que nous a inspiré ce petit événement.

L’imposteur a plusieurs visages. Il se cache… non il ne se cache pas, c’est bien ce qui le caractérise d’ailleurs, il « apparaît » sous les traits d’un philosophe faiseur d’opinion, d’un chercheur marginalisé ou d’un pseudo expert habitant les plateaux télé. Comment détecter l’imposteur ? Pour Roland Gori plusieurs critères doivent nous alerter : « faire prévaloir la forme sur le fond, valoriser les moyens plutôt que les fins, se fier à l'apparence et à la réputation plutôt qu'au travail et au courage, préférer la popularité au mérite, opter pour le pragmatisme avantageux plutôt que le courage de l'idéal, choisir l'opportunisme de l'opinion plutôt que tenir bon sur les vertus, chérir le semblant et ses volutes plutôt que la pensée critique, les 'mouvements de manche' plutôt que la force de l'œuvre ». Nos sociétés seraient un terreau idéal de prolifération de ces imposteurs. Nous pourrions les laisser répandre leurs bêtises à longueur de médias, mais il est parfois bon de laisser parler sa colère pour éviter de voir ces imposteurs à la pensée stérile, confisquer le débat et scléroser la réflexion. Portrait d’un imposteur type :

Le chercheur marginalisé par la communauté scientifique

Le chercheur marginalisé se dit chercheur mais sans en adopter la rigueur intellectuelle et la démarche méthodologique. Il se caractérise par sa mauvaise foi intellectuelle que certains qualifieront charitablement de biais de confirmation au sens où il interprète les faits pour leur faire dire ce qu’il souhaite, ou par un biais de sélection en ne choisissant que les faits qui appuient sa thèse. Se gargarisant d’aller à l’encontre de la « bien pensance », il dénigre les autres chercheurs qui seraient tombés dans le « prêt-à-penser ». Alors même que la méthodologie scientifique invite à être contre intuitif et à aller à l’encontre des idées reçues. Cependant cette défiance n’est pas cohérente, et le chercheur marginalisé ne propose que du « prêt-à-penser alternatif», autrement dit : le contraire de l’erreur ne saurait, de ce simple fait, être une vérité. Surtout lorsque le chercheur marginalisé procède fréquemment en caricaturant les propos de ceux qu’il décrie. Ces imposteurs disent rechercher et comprendre l'essence, l'origine, la réalité, des choses du monde. Or, la recherche de l’essence des choses, dans le domaine des sciences humaines et sociales, est une voie bien dangereuse, où l’esprit sage ne se lance qu’en devinant d’emblée son impuissance, là où l’esprit faible ou l’imposteur, à la constante recherche de vérités, tombe trop souvent dans la dangereuse caricature de la pensée d’autrui, avec tous les risques que cela comporte. Le principal problème est que ce pseudo chercheur sévit dans certains milieux et, pire, a parfois la responsabilité de former nos étudiants ou nos jeunes recrues. Ces jeunes ont alors le droit à des bibliographies où ne figurent que les travaux de notre imposteur. Or, un véritable chercheur n’existe qu’au sein d’une communauté où ses idées sont débattues, et ses travaux n’ont de valeur que s’ils sont évalués et soumis à la critique professionnelle. 
Ce « chercheur » avance comme argument imparable qu’il a « fait du terrain » et sait donc de quoi il parle (a priori de 54 Etats). Il est démontré qu’avoir été dans un pays permet indéniablement de dire qu’on a compris ce pays tant socialement, que politiquement et économiquement. Argument incontournable qui permet de rendre légitimes ses propos parfois racistes et permet de faire taire ce naïf interlocuteur qui ose contester l'argument selon lequel les noirs sont vraiment barbares. De plus, ce pseudo expert se dit la victime d’un complot et surtout d’être jalousé par les chercheurs. (Les quoi ?) Surtout le chercheur refuse de voir des choses évidentes selon notre pseudo chercheur: la place majeure (exclusive ?) de l’ethnie en Afrique, par exemple, LE facteur explicatif de tous les conflits du continent. Les acteurs africains étant ce qu’ils sont, cette analyse les déresponsabilise. Les crises du continent africain ne sont ainsi pour lui pseudo-penseur autoproclamé que le résultat de clivages ethniques ataviques : des tueries et des barbaries spontanées sans dimension politique ni instrumentalisation. Bref, aussi élitiste que cela puisse paraître, on ne s’invente pas intellectuel. D’ailleurs, Olivier Schmitt s’interrogeait sur ce point dans le n°100 de DSI : « Imagine-t-on un Professeur des Universités en science politique postuler à l’emploi sous-chef « Relations Internationales » de l’état-major des armées, sous le prétexte que son expertise scientifique est certainement transférable et qu’il fera aussi bien l’affaire que n’importe quel général ? Il lui serait certainement objecté, avec raison, que l’emploi nécessite des compétences spécifiques. Et bien l’inverse arrive tous les jours quand des apprentis auteurs se piquent de travail intellectuel sans en maîtriser les  règles de base qui sont la maîtrise du corpus scientifique existant et l’application des règles méthodologiques dans la conduite de la recherche. » Il n’est pas question ici de promouvoir ce que Benoist Bihan qualifie de " despotisme des experts et une forme de totalitarisme de la pensée" dans l’avant dernier DSI et de ne réserver le droit de penser qu’à certains groupes bien définis. En effet, Benjamin Constant avait raison lorsqu’il constatait que les élites se trompent aussi et ne sont pas détentrice de la vérité, aussi il était préférable de se tromper à plusieurs, ce qui était le socle de la démocratie. Ce que nous dénonçons c’est l’anti-intellectualisme comme posture pour promouvoir du « prêt à penser alternatif » et le scepticisme (« puisqu’il n’y a pas de vérité on peut penser ce que l’on veut ») comme justificatif ; un populo-maoïsme-new-age en toc, en quelque sorte.

4 commentaires:

  1. Merci pour ce précieux commentaire ! Sans rien connaître à l'Afrique, je suis enclin à m'en remettre à ton jugement, tant je suis moi-même exaspéré par la promotion d'un "prêt à penser alternatif" que j'observe au quotidien, dans mon travail. Dans les milieux réac, on réduit la pensée de ses détracteurs à la vulgate médiatique, un résidus d'opinions nécessairement simplifiée par la faiblesse des temps d'antenne... Mais peut-être ce travers est-il commun à tous les esprits partisans ? Bonne continuation aux anciens de l'AGS !

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  2. Ah Bernard Lugan ! Je ne jugerais pas ses élucubrations sur l'actualité parce que je ne suis pas du tout assez bon connaisseur de l'Afrique, mais pour ce qui est de ses opinions historiques ça ne vaut pas grand chose !
    Tellement, que j'en avais fait le thème d'un article publié sur le site du CVUH
    http://cvuh.blogspot.fr/2012/11/les-forfaitures-intellectuelles-de-b.html
    Merci pour ce billet !

    Cordialement,

    Michel Deniau

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  3. Merci pour le lien vers ce billet qui montre effectivement les ambiguités, l'idéologie et les limites du discours du pseudo chercheurs.
    Par ailleurs, je rappelle que les billets anonymes ne sont pas publiés sur ce blog...

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  4. "reprenons l’ensemble de l’argumentaire point par point pour être le plus méthodologique possible et tenter d’éclairer ce qui semble être le réel projet de Bernard Lugan avec ces quelques lignes." : http://lhistoirestuncombat.wordpress.com/2013/02/10/bernard-lugan-strikes-again/

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