Dans son dernier billet Jean Dominique Merchet note : "Attaché à la
liberté d'expression, je trouve détestable que quelqu'un - un intellectuel en
l'occurrence - soit exclu, voire sanctionné, pour ses idées fussent-elles
détestables. Et je considère sans hésitation que celles d'extrême-droite, mues
par la haine, le sont. Mais je ne suis pas convaincu que Bernard Lugan ne
disent que des sottises sur les sujets dont il a fait profession d'étudier et
de vulgariser". Passé une petite toux de gêne mêlée de consternation
face à cette complaisance et cette méconnaissance, nous vous proposons une
petite réflexion sur l’imposture que nous a inspiré ce petit événement.
L’imposteur a plusieurs visages. Il se
cache… non il ne se cache pas, c’est bien ce qui le caractérise d’ailleurs, il
« apparaît » sous les traits d’un philosophe faiseur d’opinion, d’un
chercheur marginalisé ou d’un pseudo expert habitant les plateaux télé. Comment
détecter l’imposteur ? Pour Roland Gori plusieurs critères doivent nous
alerter : « faire prévaloir la forme sur le fond, valoriser
les moyens plutôt que les fins, se fier à l'apparence et à la réputation plutôt
qu'au travail et au courage, préférer la popularité au mérite, opter pour le
pragmatisme avantageux plutôt que le courage de l'idéal, choisir l'opportunisme
de l'opinion plutôt que tenir bon sur les vertus, chérir le semblant et ses
volutes plutôt que la pensée critique, les 'mouvements de manche' plutôt que la
force de l'œuvre ». Nos sociétés seraient un terreau idéal de
prolifération de ces imposteurs. Nous pourrions les laisser répandre leurs
bêtises à longueur de médias, mais il est parfois bon de laisser parler sa
colère pour éviter de voir ces imposteurs à la pensée stérile, confisquer le
débat et scléroser la réflexion. Portrait d’un imposteur type :
Le chercheur marginalisé par la communauté
scientifique
Le chercheur marginalisé se dit chercheur
mais sans en adopter la rigueur intellectuelle et la démarche méthodologique.
Il se caractérise par sa mauvaise foi intellectuelle que certains
qualifieront charitablement de biais de confirmation au sens où il
interprète les faits pour leur faire dire ce qu’il souhaite, ou par un biais de
sélection en ne choisissant que les faits qui appuient sa thèse. Se
gargarisant d’aller à l’encontre de la « bien pensance », il dénigre
les autres chercheurs qui seraient tombés dans le « prêt-à-penser ». Alors
même que la méthodologie scientifique invite à être contre intuitif et à aller
à l’encontre des idées reçues. Cependant cette défiance n’est pas cohérente, et
le chercheur marginalisé ne propose que du « prêt-à-penser alternatif»,
autrement dit : le contraire de l’erreur ne saurait, de ce simple fait, être
une vérité. Surtout lorsque le chercheur marginalisé procède fréquemment en
caricaturant les propos de ceux qu’il décrie. Ces imposteurs disent rechercher
et comprendre l'essence, l'origine, la réalité, des choses du monde. Or, la
recherche de l’essence des choses, dans le domaine des sciences humaines et
sociales, est une voie bien dangereuse, où l’esprit sage ne se lance qu’en
devinant d’emblée son impuissance, là où l’esprit faible ou l’imposteur, à la
constante recherche de vérités, tombe trop souvent dans la dangereuse
caricature de la pensée d’autrui, avec tous les risques que cela comporte. Le
principal problème est que ce pseudo chercheur sévit dans certains milieux et,
pire, a parfois la responsabilité de former nos étudiants ou nos jeunes
recrues. Ces jeunes ont alors le droit à des bibliographies où ne figurent que
les travaux de notre imposteur. Or, un véritable chercheur n’existe qu’au sein
d’une communauté où ses idées sont débattues, et ses travaux n’ont de valeur
que s’ils sont évalués et soumis à la critique professionnelle.
Ce « chercheur » avance comme
argument imparable qu’il a « fait du terrain » et sait donc de quoi
il parle (a priori de 54 Etats). Il
est démontré qu’avoir été dans un pays permet indéniablement de dire qu’on a
compris ce pays tant socialement, que politiquement et économiquement. Argument
incontournable qui permet de rendre légitimes ses propos parfois racistes et
permet de faire taire ce naïf interlocuteur qui ose contester l'argument selon
lequel les noirs sont vraiment barbares. De plus, ce
pseudo expert se dit la victime d’un complot et surtout d’être jalousé par les
chercheurs. (Les quoi ?) Surtout le chercheur refuse
de voir des choses évidentes selon notre pseudo chercheur: la place majeure
(exclusive ?) de l’ethnie en Afrique, par exemple, LE facteur
explicatif de tous les conflits du continent. Les acteurs africains étant ce
qu’ils sont, cette analyse les déresponsabilise. Les crises du continent
africain ne sont ainsi pour lui pseudo-penseur autoproclamé que le résultat de
clivages ethniques ataviques : des tueries et des barbaries spontanées sans
dimension politique ni instrumentalisation. Bref,
aussi élitiste que cela puisse paraître, on ne s’invente pas intellectuel.
D’ailleurs, Olivier Schmitt s’interrogeait sur ce point dans le n°100 de
DSI : « Imagine-t-on un Professeur des Universités en science
politique postuler à l’emploi sous-chef « Relations Internationales » de
l’état-major des armées, sous le prétexte que son expertise scientifique est
certainement transférable et qu’il fera aussi bien l’affaire que n’importe quel
général ? Il lui serait certainement objecté, avec raison, que l’emploi
nécessite des compétences spécifiques. Et bien l’inverse arrive tous les jours
quand des apprentis auteurs se piquent de travail intellectuel sans en
maîtriser les règles de base qui sont la maîtrise du corpus scientifique
existant et l’application des règles méthodologiques dans la conduite de la
recherche. » Il n’est pas question ici de promouvoir ce
que Benoist Bihan qualifie de " despotisme des experts et une
forme de totalitarisme de la pensée" dans l’avant dernier DSI et de ne
réserver le droit de penser qu’à certains groupes bien définis. En effet,
Benjamin Constant avait raison lorsqu’il constatait que les élites se trompent
aussi et ne sont pas détentrice de la vérité, aussi il était préférable de se
tromper à plusieurs, ce qui était le socle de la démocratie. Ce que nous
dénonçons c’est l’anti-intellectualisme comme posture pour promouvoir du
« prêt à penser alternatif » et le scepticisme (« puisqu’il n’y a pas
de vérité on peut penser ce que l’on veut ») comme justificatif ; un
populo-maoïsme-new-age en toc, en quelque sorte.