Patrick de Saint-Exupéry, grand
reporter et rédacteur en chef de la revue XXI, signe avec Hippolyte une très
belle BD-reportage. Ce n’est pas le génocide qui est raconté et expliqué mais
la trajectoire de Patrick de Saint-Exupéry, en 1994, dans l’Ouest du Rwanda puis
son retour sur les lieux du drame vingt ans plus tard. Ainsi, l’ouvrage est une
série d’allers retours entre photos du Rwanda de 1994, plus précisément à
Kibuye, et le voyage du journaliste, avec le dessinateur Hippolyte, sur ses
propres pas en 2013. Aucune image d’horreur juste des témoignages qui laissent deviner
le pire.
A la grisaille parisienne succède
les images colorées du Rwanda. Les aquarelles d’Hippolyte rendent le dessin
poétique. Une certaine légèreté règne dans ce petit paradis qu’est le Rwanda
mais lorsque l’image se fait plus précise, le lecteur aperçoit des cadavres
emportés par le courant du fleuve. Un témoignage pudique qui laisse au lecteur
se représenter l’horreur. Derrière le silence se cache un génocide. On comprend
que ce silence est celui des morts mais aussi celui de la communauté
internationale. « Un génocide c’est d’abord du silence ».
Dès ses premières pages « La
fantaisie des Dieux » ne laisse pas place au doute. Pour l’auteur, Mitterrand,
le Président de la République savait. Son administration l’avait informée, dès
1990, d’un risque d’ « élimination totale des Tutsi » (p.6) au cœur
de l’Afrique centrale. L’ouvrage s’ouvre sur une citation en exergue, qu’aurait
dit le Président : « dans ces pays-là, un génocide ce n'est pas très
important ». Plusieurs facettes du génocide sont traitées. Les Caterpillar
du ministère des Travaux publics qui récupèrent les cadavres après le massacre
de l’église « Home Saint Jean » (p.24), le préfet qui organise les
assassinats, le poids de la colonisation et de la christianisation lorsqu’un
fantôme qui hante l’esprit de l’auteur rappelle : « le mot ethnie
n’existe pas dans notre langue » (p.33) L’ouvrage questionne la
responsabilité des différents acteurs dans le drame.
On comprend aussi le contexte de
l’époque. Si le rôle joué par la France fait toujours polémique, la thèse de
l’auteur est que les plus hautes autorités de l’Etat savaient mais se sont laissées
aveuglées par « leur allié » hutu. Les militaires français,
qu’accompagne l’auteur en 1994, sont eux-mêmes surpris par l’accueil qui leur
est réservé : « les génocidaires accueillent les Français en amis.
Ils étaient sûrs que nous venions les
aider à finir leur travail » (p.47). On comprend le trouble qui envahit ses hommes lorsque les tueurs les accueillent, les ordres de l’état-major, les comptes rendu envoyés à Paris qui restent sans réaction, les discours politiques, les aveux des assassins pour qui il est normal de tuer les enfants qui sont des complices des rebelles, le récit des rescapés à Bisesero, etc. Ça n’est pas les militaires de l’opération Turquoise présents sur place que l’auteur accuse, au contraire il les dessine impuissants et dépassés. A Bisesero, il a observé avec eux "un champ d’extermination à ciel ouvert » (p.72),
il a vu ce gendarme s’effondré en réalisant qu’un an avant il avait formé la
garde présidentielle et qui conclut « nous avons formé les
assassins » (p.73)
On retient quelques citations marquantes : « C’est la goutte d’eau qui dit la mer et cette mer fait peur», "la
folie est une excellente meneuse d’hommes » (p.28), « l’organisation
est la condition de la démultiplication du crime. Le déni sa soupape »…
Pour aller plus loin (MAJ) :
-Le blog d’Hippolyte : ICI
-« Indications of Genocide in the Bisesero Hills,Rwanda, 1994 », Yale University, Genocide Studies Programm
-« Patrick St-Exupéry & Hippolyte : BD/ Les
superhéros à l’épreuve du temps : série », in Un autre jour est possible, France Culture, 4 avril 2014, (en
ligne), ICI
- Olivier Schmitt : " Génocide and International Relations"
- Olivier Schmitt : " Génocide and International Relations"