Qu’on se le dise, Stig
Jarle Hansen est le spécialiste du groupe Al-Shabaab, ce groupe de
fondamentalistes affiliés à Al-Qaïda, qui a émergé en Somalie à partir de 2005-2006. Les
commentaires des plus prestigieux spécialistes de la Somalie en quatrième de
couverture (Gérard Prunier, J. Peter Pham, Christopher Cook, Markus Hoehne)
sont élogieux et augurent une lecture enrichissante.
Professeur de Relations
internationales en Norvège, Hansen a vécu en Somalie au moment même où le
groupe commençait à faire parler de lui. C’est même Godane, le futur leader du
mouvement qui lui délivra son visa. Il le dit lui-même, sa première impression
du groupe fût positive. En effet, les Shebabs n’étaient alors composés que de
quelques dizaines de jeunes, intégrés à l’Union des Tribunaux Islamiques (UTI).
Ce dernier administrait le sud du pays en 2006 et était parvenu à y restaurer
un semblant d’ordre et de sécurité. Très vite, Hansen a compris que le groupe se
distinguait du reste des mouvements de l’UTI, une autre facette se dessinait.
Composé de jeunes dont le chef se faisait appeler « Gaal dille » (« tueur
de Chrétiens » en somali) les Shebabs se faisaient les chantres du concept
de choc des civilisations. Cette double facette - restauration de la sécurité
et idéologie civilisationnelle - existe encore aujourd’hui.
Hansen nous explique l’évolution
du groupe, son idéologie et les moyens militaires employés pour parvenir à ses
fins. Il adopte un plan chronologique pour montrer les différentes phases de
l’émergence du groupe dans un contexte national où la religion est devenue un
refuge identitaire face au désordre général. Le groupe s’est formé au sein de
l’Union des Tribunaux islamiques (2005-2006) et s’est renforcé dans le combat
contre « l’envahisseur » éthiopien (2007-2008). Selon Hansen, son âge
d’or serait la période 2009-2010 avec l’échec de la prise de contrôle du
territoire national par le Gouvernement Fédéral de Transition (GFT). La période
actuelle, à partir de 2010, serait une période de « troubles » pour
le groupe (perte de territoire, interventions des acteurs régionaux et
internationaux).
Pour l’auteur, le
groupe est certes, le fruit du contexte national d’insécurité, mais il est
également le signe de l’exportation de l’idéologie d’Al Qaïda en Somalie. En
cela, l’auteur reprend le concept de « glocalisation » développé par J.P.
Daguzan en France. Il décrit brillamment la complexité du groupe, les
différentes alliances, les réseaux en Europe, au Moyen-Orient et aux
Etats-Unis, ainsi que les différentes interprétations de l’islam qui sont l’objet
de nombreux débats internes.
Hansen montre le
soutien de la population, notamment le milieu des affaires, qui croyait en l’une
des facettes des Shebabs et acceptait tacitement l’autre. On le sent, l’auteur
admire la capacité des Shebabs a mettre en place une forme de gouvernance
fondée sur une idéologie et un système juridique et scolaire, alors qu’aucune
autre organisation n’y était parvenue jusqu’alors. Al-Shabab a même développé un
système fiscal qui aurait permis au groupe de s’autofinancer, sans soutien
extérieur. Néanmoins, cette hypothèse est sujette à débat parmi les
spécialistes. De plus, le groupe a, dans une certaine mesure, réussi à
transcender les divisions claniques, sous-claniques et sous-sous-claniques bien
qu’aujourd’hui les dissensions observées au sein du groupe sont elles-mêmes
liées à ce problème clanique.
Hansen explique également
comment l’utilisation des réseaux sociaux et des moyens de communications
modernes ont permis aux Shebabs de se faire connaitre et de recruter à plus
grande échelle. Cet élargissement de sa visibilité a aussi contribué à faire
évoluer l’idéologie du mouvement. Dans le même temps, l’évolution du groupe a
créée des divisions internes, entre les jeunes somaliens nationalistes,
désœuvrés et hostiles à l’intervention éthiopienne d’un côté et, de l’autre,
les nouvelles recrues issues de l’étranger ou de la diaspora, dont l’agenda est
plus global et religieux. Il note également que les kamikazes shebabs sont
rarement des Somaliens recrutés dans le pays mais des étrangers ou des membres
de la diaspora radicalisés dans le monde occidental.
Hansen analyse
parfaitement un autre point : les acteurs internationaux ont à plusieurs
reprises fait l’erreur d’oublier la capacité de résilience du groupe. La fin du
groupe a été annoncée à plusieurs reprises depuis 2008, mais il a toujours su
se réinventer et sa capacité de nuisance est restée intacte, comme l’a prouvé
l’attentat du Westgate Mall de Nairobi en septembre 2013. L’auteur semble
véritablement impressionné par cette habileté à se réinventer. Pour Hansen,
Al-Shabaab est le seul groupe affilié à Al Qaïda à avoir administré un large
territoire (de la taille du Danemark avec 5 millions d’habitants), il a exporté
des combattants dans le reste du continent africain (Nigeria, Sahel, Kenya et
Ouganda) et ils auraient, ainsi, contribué à un « African momentum for jihad ».
Le nombre de détails, de
noms et de dates risquent de déstabiliser les néophytes, d’autant qu’il
n’existe pas dans l’ouvrage de véritable rappel sur la division clanique de la
société alors même que l’auteur s’y réfère dès qu’il cite un acteur. On
pourrait aussi reprocher à l’auteur d’avoir survolé les éléments de
méthodologie sur la collecte des données et les sources utilisées. Toutefois,
un index des noms propres situé à la fin permet de trouver rapidement les
références, les notes de fin et la bibliographie sont riches et invitent à
poursuivre la lecture d’autres ouvrages sur la question. L’introduction est
brillante et apporte des clarifications très utiles sur les débats qui agitent
le monde académiques anglophones sur la Somalie et les différentes
organisations politiques qui y ont émergé depuis 1991. Cet ouvrage est une mine
d’or pour les spécialistes et sa lecture leur est essentielle. Il présente,
explique et décortique l’évolution de l’idéologie et de la tactique de
« l'une des organisations politiques somaliennes les plus efficaces de ces
vingt dernières années ».
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