Cette interview a été publié sur le site Africa4 par Jean-Pierre Bat le 4 octobre 2016.
L’IRSEM organise un colloque sur les nouveaux visages des armées africaines : comment les définir ?
Les
armées africaines sont trop souvent perçues comme le simple produit de
la période coloniale. Pourtant, elles sont également le produit de
transformations historiques successives, dont la colonisation n’est
qu’un élément. Il n’y a pas un modèle unique d’armée africaines pendant
la période coloniale et encore aujourd’hui. Le colloque vise donc à
étudier les différents visages de ces armées et leurs évolutions. Ces
armées et leurs missions évoluent avec les transformations du système
international. La volonté d’africaniser la sécurité sur le continent,
qui a accompagné la création de l’Architecture africaine de paix et de
sécurité (APSA), les armées africaines se sont vues attribuées de
nouvelles fonctions. Les acteurs africains étant appelés à prendre leurs
responsabilités en fournissant des troupes dans le cadre des missions
onusiennes se déployant sur le continent mais aussi, et surtout, en
créant un système de défense collective crédible pouvant apporter une
réponse rapide et, ainsi, alléger le « poids » considérable porté par le
Département des opérations de maintien de la paix (DOMP) des Nations
unies. Les acteurs extracontinentaux, quant à eux, sont poussés à jouer
un rôle de soutien et d’appui vis-à-vis de ces nouveaux mécanismes. Nous
étudierons notamment le rôle des États-Unis, de la Chine, de l’Union
Européenne, de la France, du Brésil ou encore du Portugal.
Derrière
le discours « gagnant-gagnant » se cache aussi une autre réalité. Les
nouvelles fonctions attribuées aux armées africaines permettent de
renforcer l’autorité qu’exercent les pouvoirs politiques sur leurs
subordonnés et leur puissance vis-à-vis de l’extérieur pour prévenir
toute ingérence. Elle permet de bénéficier des différents mécanismes
internationaux de soutien tels que le financement des organisations
internationales, la donation de matériels militaires, l’accès à des
formations militaires et le soutien logistique nécessaire. La
participation à une OMP, par exemple, est un moyen de capter les rentes
qu’offrent les différents mécanismes internationaux de soutien à l’APSA
tout en augmentant leur « crédit international».
En
interne aussi l’image des armées évolue. Les forces armées n’ont pas
toujours eu un bon comportement vis-à-vis des populations, elles étaient
d’ailleurs parfois envoyées pour les réprimer. Certaines armées restent
un problème structurel qui nécessite des réformes. Le rôle de ces
armées dans la lutte contre le terrorisme par exemple affecte les civils
et exacerbe les conflits, comme on a pu l’observer au Nigeria. Il
persiste une véritable incapacité de certains gouvernements à faire en
sorte que les armées obéissent au pouvoir civil. Ces rapports que les
armées africaines entretiennent avec le pouvoir politique seront au cœur
de plusieurs communications abordant les cas du Burkina Faso, de la
République Démocratique du Congo et du Mali.
A l’heure de Barkhane, quel rôle jour l’Ecole militaire de Paris dans la constitution des armées africaines ?
L’École
militaire regroupe un ensemble de centre de formation et de recherche.
L’École de guerre est l’un de ces organismes. Il participe à la
formation des officiers français et étrangers. Historiquement, ces
formations d’officiers étrangers font partie de notre coopération
militaire soutenue par les Affaires étrangères. Elles permettent de
renforcer nos alliances. Cette politique de formation participe de notre
politique d’influence dans certaines régions notamment en Afrique
francophone mais elle s’intègre aussi dans notre diplomatie économique.
Elle permet de créer une matrice intellectuelle commune et d’élever le
niveau d’interopérabilité de troupes qui, à l’heure de Barkhane, sont
amenées à opérer ensemble sur des théâtres d’opérations communs. La
formation des officiers africains participe également de notre politique
francophone. L’École de guerre accueille des officiers non
francophones, comme des Ethiopiens, qui bénéficient d’une formation de
six mois au français. De plus, cette coopération évolue puisqu’a été
ouvert en 2005 au Cameroun une École supérieure internationale de guerre
(ESIG). L’IRSEM contribue également à la formation d’officiers
africains en accueillant cette année trois officiers élèves
internationaux de l’École Spéciale Militaire de Saint Cyr qui doivent
réaliser un mémoire de recherche. Pour avoir échangé avec eux, cette
coopération et ces échanges sont enrichissants pour chacun d’entre nous.
Ils apportent leur expérience de terrain aux chercheurs français qui,
pour leur part, les soutiennent dans leur démarche de recherche, l’accès
aux sources, etc. Les efforts entrepris sont donc réels mais certains
observateurs trouvent qu’ils ne produisent pas encore pleinement leurs
effets sur le terrain, voir ces articles par exemple.
Le défi reste toujours celui de l’autonomisation de ces armées et
l’appropriation des nouvelles capacités comme l’indiquait le colonel Susnjara dans le dernier numéro de la Revue Défense Nationale.
Si l’appropriation des forces africaines met du temps, c’est également
en vertu d’une crise de croissance. En effet, elles sont nombreuses à
évoluer rapidement alors même qu’elles sont confrontées à l’ennemi. Les
spécialistes des questions militaires le rappellent : la montée en
puissance n’est pas une science exacte.
En marge des armées dites régulières, le fait militaire ne se joue-t-il pas aux marges, autour du phénomène milicien ?
Bien
sûr le fait militaire se joue également autour du phénomène milicien.
Les acteurs (semi)privés ou informels ont été particulièrement étudiés
en France. Je pense notamment aux travaux de Marielle Debos sur le Tchad
et le « métier des armes » ou un numéro de Politique africaine
en 2012 : « Politique des corps habillés. État, pouvoir et métiers de
l’ordre en Afrique ». Mais nous avons constaté que les forces de
sécurité étatiques et plus particulièrement les armées restent mal
connues, c’est pourquoi nous avons voulu nous concentrer sur cette
question lors du colloque.
Le facteur milicien ne sera
pas oublié mais étudié en relation avec les forces armées nationales.
Nous étudierons les processus de Réforme du secteur de la sécurité (RSS)
notamment au Burundi. Tant au Rwanda, qu’au Burundi des enseignements
peuvent être tirés sur la façon dont une armée « mono-ethnique » est
parvenue, ou essaie, de transformer sa base sociale. Le déploiement de
contingents à l’extérieur du territoire a permis par exemple à l’armée
burundaise d’intégrer dans la nouvelle armée les miliciens des groupes
armés majoritairement hutu et les soldats de l’ancien régime, les
ex-Forces Armées Burundaises (FAB) majoritairement tutsi. Cette
intégration a longtemps été considérée comme une réussite de l’accord de
paix d’Arusha signé en 2000 alors qu’elle était entre 1966 et 1993 le
principal centre de pouvoir. L’armée semblait être parvenue à devenir
une force apolitique. Mais la crise électorale a mis en lumière ces
divisions et l’armée burundaise est au cœur de la crise politique. En
Éthiopie, au Rwanda, en Érythrée et en Ouganda, les armées sont issues
de mouvements de libération nationale. Les régimes en place ont
reconstruit leurs États de façon très centralisée autour d’une figure ou
d’un parti. Les structures militaires restent dominées par des vétérans
de la guerre de libération issus du Front patriotique pour le Rwanda,
du Mouvement de résistance nationale en Ouganda ou par des vétérans
tigréens en Éthiopie. Jonathan Fisher qualifie ces officiers de «
post-post-libération » « sécurocrates » et mène des études pour
comprendre comment et pourquoi les OMP sont un bon moyen de les
maintenir éloigné des politiques de sécurité nationale.