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dimanche 19 janvier 2020

Les dernières nouvelles du continent (11)


Sahel
Je suis très heureuse de vous annoncer un nouveau projet. Tous les 3ème jeudi du mois vous pourrez écouter l'émission 'Good Morning Afrika' (évidemment) sur Fréquence Protestante.  Pour cette première émission je vous propose d'écouter l'analyse de Niagalé Bagayoko sur le Sahel. 

Les attaques ont quintuplé dans la région depuis 2016. Voir les données ACLED ici
 

Niagalé Bagayoko a publié la même semaine une tribune dans Le Monde sur la nécessité d’adopter une approche africaine de la stratégie, cet appel a suscité des débats sur Twitter qui porte principalement sur la distinction entre la stratégie et l’opératif. Et ICI vous pourrez lire l’excellente analyse Adib Bencherif sur l’insécurité dans la région. Cette semaine le Sahel a fait l’actualité avec le Sommet du G5 Sahel à Pau. Ecoutez l’émission Le débat du jour sur RFI : « La guerre contre les djihadistes au Sahel peut-elle être gagnée ? ». À écouter pour comprendre les enjeux du potentiel (et annoncé) retrait militaire américain du continent africain. How Would a Military Drawdown Affect U.S. Engagement in Africa?
Cette semaine un internaute s’interrogeait sur le montant des OPEX françaises. Deux rapports sont de bonnes sources : un dossier «Conflictualité et stabilité internationale face aux facteurs économiques » et un article de Julien Malizard et Josselin Droff sur la notion de "soutenabilité" : les armées françaises utilisent davantage de ressources qu'elles ne sont capables de régénérer.

Corne de l’Afrique
Le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a demandé dimanche 12 janvier au président sud-africain Cyril Ramaphosa d’intervenir pour apaiser le différend avec l’Egypte au sujet du barrage hydraulique que l’Ethiopie construit sur le Nil Bleu. A lire sur les causes du conflit.
Les femmes ont joué un rôle majeur dans la guerre de libération érythréenne, quel statut ont-elles aujourd’hui ?
L’ACLED nous apprend: « Since the US escalated its air campaign in 2017, Al Shabaab has perpetrated almost 900 civilian targeting events in Somalia, resulting in estimates of nearly 2,000 fatalities.”
A lire ce rapport de Jérôme Tubiana « La "transition" soudanaise vue de ses périphéries » qui interroge sur la persistance de la marginalisation des périphéries au sein même du soulèvement et le rôle crucial désormais joué par les milices arabes du Darfour

Publications
A noter la parution de « Du héros à la communauté. Le cheminement des identités en Afrique (XIXe-XXIe siècle) » ce livre collectif est consacré aux constructions identités et nationales en Afrique, co-dirigé par Elara Bertho, Jean-Luc Martineau, Céline Pauthier et Florent Piton.
 

"Un monde en nègre et blanc. Enquête historique sur l’ordre racial » d’Aurélia Michel ou Comment la fiction de la race est au coeur de l'histoire de l'Occident.

On attend l’ouvrage de Lina Benabdallah “Shaping the Future of Power: Knowledge Production and Network-Building in China-Africa Relations” disponible en précommande (thread de présentation ici).
Varieties of Democracy mesure deux siècles de changements politiques.

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mercredi 16 janvier 2013

Opération Serval au Mali : quand l'opinion part en guerre

Ilinca Mathieu, doctorante en science politique et rattachée aux jeunes chercheurs de l'IRSEM nous propose cette analyse de l'opinion publique au moment où la France se trouve engagée au Mali.

"Aux lendemains du déclenchement de l’opération Serval au Mali, les Français se seraient, selon les premiers sondages, montrés très favorables à cette décision (à 63% 1, voire même 75%² ). S’il faut s’en réjouir, le soutien de la Nation constituant un élément clé de l’action armée dans une démocratie libérale, la situation doit être appréhendée avec prudence. C’est enfoncer une porte ouverte que de rappeler que le soutien de l’opinion publique est classiquement plus fort au début d’une opération que dans les mois, voire les années qui suivent (les exemples afghan et libyen l’illustrent) ; mais il faut également s’interroger sur la nature de cet appui initial – penche-t-il réellement en faveur de cette intervention ?

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 ©AFP PHOTO /ERIC FEFERBERG

Il est permis d’en douter, ne serait-ce qu’à l’écoute des commentaires d’auditeurs – théoriquement sélectionnés pour leur pertinence et/ou leur représentativité – sur les grandes radios nationales ces derniers jours. On y retrouve d’abord ceux qui postulent l’impréparation et l’amateurisme de nos forces armées sur le seul constat de la mort d’un pilote de Gazelle ou de l’échec d’une mission commando (en Somalie, concomitante au déclenchement de l’intervention au Mali). Ils y côtoient les arguments de ceux qui somment le politique de s’expliquer sur le coût d’une telle action contre des djihadistes sur le territoire malien, en pleine crise budgétaire nationale. D’autres, forts de leur analyse confortablement énoncée plus d’un an après les évènements, assènent que l’opération Harmattan en Libye n’aurait jamais dû avoir lieu, puisqu’elle a eu pour conséquence de permettre la diffusion d’armements dans le Nord du Mali, et donc de nourrir ce nouveau conflit…

S’agit-il là tout simplement des 37% restants, déclarés hostiles à cette intervention, ou bien peut-on trouver une autre raison à ce hiatus ? Il est ici éclairant de se pencher sur la nature des sondages eux-mêmes. A quoi les 63% (ou 75%) de Français ont-ils donc exprimé leur soutien ? L’enquête Ifop précise la question posée aux sondés : « Vous savez que des troupes françaises ont été engagées militairement au Mali pour lutter au côté du gouvernement malien contre des mouvements islamistes armés. Vous personnellement, êtes-vous tout à fait favorable, plutôt favorable, plutôt pas favorable ou pas du tout favorable à cette intervention militaire française ? ». On peut alors se demander si les personnes interrogées se sont prononcées en faveur d’une action courte, visant uniquement à stopper l’avancée des rebelles vers la capitale, ou d’une intervention destinée à les éradiquer définitivement du Nord du pays. Un autre sondage nous informe par ailleurs que 64% des sondés estiment que l’opération Serval aura pour effet d’ « augmenter la menace terroriste en France »3 ! Est-ce à dire que l’opinion française soutient l’intervention de son armée tout en assumant une menace accrue sur son propre territoire ? Ou bien faut-il en déduire que les personnes interrogées dans les deux premiers sondages auxquels nous faisons référence n’avaient guère considéré cette possibilité avant de répondre ?

Ces sondages, de par l’imprécision des questions posées et la méconnaissance inévitable des paramètres de l’opération par les sondés, ne sauraient ainsi avoir aucune utilité. On se rappellera utilement à cet égard les critiques bourdieusiennes portées à l’encontre de la pratique des sondages en tant que telle4 . Le risque est grand, dans ces conditions, de voir l’opinion publique, désormais réputée initialement favorable au déclenchement de l’opération, se « retourner » au fil des semaines. Retournement qui sera attribué à l’incapacité de la France à résoudre rapidement le conflit (alors même qu’il est clair, dès aujourd’hui, que la formation des troupes africaines et l’élimination complète des mouvements islamistes prendront nécessairement du temps), quand elle pourrait aussi découler tout simplement de l’exposition a posteriori des sondés, au sein du débat public, à des questions qu’ils ne s’étaient pas posées initialement.

Pour autant, il ne faut pas négliger l’impact de ces chiffres sur le politique qui, préoccupé par la supposée aversion aux pertes humaines de l’opinion publique, semble parfois très (trop ?) sensible à ses éventuels retournements. Pourtant, outre le fait que les nombreux soldats tombés en Afghanistan n’ont provoqué, faute d’une franche opposition, qu’une sourde indifférence, il a été montré que l’opinion est tout à fait prête à supporter la mort de ses soldats, à condition que les objectifs poursuivis (et, in fine, l’intérêt national) soient clairs et légitimes5 . Dans le cas du Mali, les intérêts français potentiels apparaissent nombreux : éradiquer le foyer d’un terrorisme qui se veut international ; sauvegarder la vie des quelques 6000 ressortissants présents dans la zone ; répondre à l’appel d’un gouvernement ami (l’influence nourrissant la puissance sur la scène internationale) ; préserver la stabilité de la région afin d’y sauvegarder nos nombreux intérêts économiques et stratégiques… Mais aussi mettre en concordance nos valeurs, si souvent claironnées, et nos actes, la « politique du bluff » étant à long terme la pire des stratégies…

C’est au politique qu’il revient alors d’éclairer le citoyen sur la justification de cette opération, pour limiter les débats stériles. D’abord, parce qu’il s’agit d’une question essentielle par principe – l’emploi de la force armée, au nom de la nation française. Ensuite, parce que le soutien national aux troupes déployées sur le terrain – si souvent mis en avant dans les discours politiques comme militaires – est dans les faits trop faiblement marqué. Certes, les notions de patrie et d’esprit de défense n’ont généralement pour nos soldats qu’une dimension abstraite qui ne nourrit qu’indirectement leurs motivations au combat. « Faire son travail », appliquer ce qui a été acquis à l’entraînement, reste ainsi pour une immense majorité la première motivation à partir en opérations. L’opération Serval est ici l’occasion rêvée de mettre en œuvre les enseignements du combat en milieu désertique, notamment acquis lors des séjours à Djibouti, et notre armée professionnelle porte ainsi bien son nom. Pour autant, le soutien affirmé de la population aux militaires demeure essentiel, car il ne faut pas oublier que ce sont leurs familles qui sont exposées quotidiennement au débat public et médiatique, dont la violence rejaillit dès lors indirectement sur les soldats. Et que cela ne devrait pas être au militaire de répondre à la question qui lui est trop souvent posée : « mais qu’êtes-vous donc allés faire là-bas, et pourquoi ? »6 .

Sondage Ifop/La lettre de l’opinion mené les 12 et 13 janvier 2013.
2 Sondage BVA/Le Parisien mené les 14 et 15 janvier 2013.
3 Sondage CSA/BFM TV des 14 et 15 janvier 2013.
4 Bourdieu P., « L’opinion publique n’existe pas », Les Temps Modernes, n°318, janvier 1973.
5 Voir par exemple les travaux de E. Luttwak ou N. La Balme à ce sujet.
6 Merci au LCL H.Pierre pour ses réflexions à ce sujet.