L’ouvrage
s’ouvre sur le procès de l’exécution, le 24 décembre 2007, de trois membres de
la famille Tollet et d’un ami de la famille, que l’auteur qualifie de « premier attentat jihadiste antifrançais
commis dans le Sahel ». Cet assassinat entraînera la délocalisation du
rallye Paris-Dakar, et son onde de choc résonne encore aujourd’hui. Le récit
concernant le « Borgne » croise l’histoire contemporaine de la zone
sahélo-saharienne. Lemine Ould M.Salem relate en effet le parcours de ce
jihadiste et, parallèlement, l’émergence du jihadisme dans la région. En suivant
la route de Mokhtar Belmokhtar, ce sont les différents acteurs de la crise actuelle
que nous rencontrons. L’auteur revient tout d’abord sur les influences exercées
sur le jihadiste et tente de retracer son itinéraire, en commençant par l’Afghanistan,
puis l’Algérie et le Mali. Il serait, depuis l’opération Serval, en Libye. Il y
aurait pris épouse dans une famille puissante de la même manière qu’il il
l’avait fait, dix ans auparavant, car Mokhtar Belmokhtar prépare et sait
construire et entretenir des réseaux qui le protègent. Il avait ainsi tiré
bénéfice de son mariage avec une adolescente issue d’un clan appartenant à une
influente confédération tribale des Brabiches, située entre le Maroc, la
Mauritanie, le Mali et l’Algérie. L’auteur évoque ainsi le premier groupe constitué
par Mokhtar Belmokhtar - la Brigade du martyre - mais également ses relations avec
le GIA puis le GSPC, le rapprochement entre le GSPC et Al-Qaïda, la naissance
des groupes AQMI, Ansar Dine et du MNLA.
Lemine Ould M.Salem relate aussi les coulisses des négociations des prises
d’otages de Robert Fowler, envoyé spécial du secrétaire général de
l'Organisation des Nations unies (ONU), Louis Guay et leur chauffeur, Soumana,
en décembre 2008, ainsi que l’assassinat de Vincent Delory et d’Antoine de
Léocour, en janvier 2011, et la prise d'otages d'In Amenas en janvier 2013.
Mokhtar
Belmokhtar n’est pas un jihadiste opportuniste attiré par l’appât du gain. Il
tient à réaliser, précise-t-il, un objectif : « étendre la
« guerre sainte » dans le Sud algérien, et au-delà, dans l’ensemble
du Sahara ». Ainsi, l’auteur relativise les rumeurs décrivant l’émir comme
un contrebandier de cigarettes qui lui vaut le surnom de « Mister
Marlboro ». Il n’existerait en effet aucune preuve du financement du
terrorisme par ces trafics. Certes, il était en contact avec des contrebandiers
et aurait effectivement fait du trafic
de carburant ou de produits subventionnés en Algérie, mais aucune preuve
n’attesterait d’un quelconque trafic de drogue ou de cigarettes : « cette réputation de trafiquant de cigarettes
ou de drogue a en fait été inventée par les services algériens, puis reprise
par leurs homologues des pays du Sahel » d’après un haut responsable
cité par l’auteur. Un point de vue dont se défend le protagoniste lui-même,
dans une interview citée à plusieurs reprises pour la revue en ligne de
l’ex-GSPC : Majallat al-Jamaa.
Lemine
Ould M.Salem connaît indéniablement cette région et nous invite à le suivre dans
cette quête impossible du plus célèbre émir du Sahara. Il a pu toutefois rencontrer
des proches de Mokhtar Belmokhtar ainsi que des jihadistes condamnés. Ses
sources sont très souvent – et pour cause - anonymes : un « haut
responsable », un « fin connaisseur des affaires algériennes »,
une « source sécuritaire sahélienne ». Pour réaliser cette enquête,
riche d’informations, il a eu accès à ce qu’on appelle des « sources
grises » (procès-verbaux d’auditions, comptes-rendus d’enquêtes). La
restitution dans le livre de ces éléments fait du travail de Lemine Ould
M.Salem un ouvrage précieux pour une meilleure connaissance de la bande
sahélo-saharienne.