Premièrement, la domination de la lecture ethnique comme
élément d’interprétation des causes du génocide. Précisons d’emblée que nous ne
nions pas l’existence des ethnies. Néanmoins, d’après cette lecture, qui a dominé
et biaisé le débat, les Tutsi et les Hutu seraient destinés à s’affronter, et
les massacres sont le résultat d’une opposition raciste atavique. Les
recherches ont pourtant démontré que l’on pouvait plus évoquer l’existence de
classes sociales que d’ethnies. Or cette lecture ouvre la voie à un autre
mécanisme, celui de l’accusation des premières victimes du génocide : les
Tutsi. Cette approche exclue toute analyse des évènements ayant conduit à
l’exécution du génocide. Cette lecture s’appuie sur les travaux d’anthropologie
de la race élaborée à la fin du XIXème siècle. D’après cette littérature les
Tutsi sont définit comme « hamito-sémitiques », ils ne seraient donc pas
africains. Les hutus ont repris cette idéologie et dirent que les Tutsi étaient
les juifs d’Afrique. ... Cette littérature refuse de
penser le racisme en Afrique comme une idéologie construite politiquement et
socialement. Elle leur nie toute dimension politique ou toute
instrumentalisation.
C’est là que le blocage débute. Les premiers écrits sur le
génocide portent sur ses causes. Ils avancent dès les premières semaines du
génocide cette explication ethnique. Ces écrits émanent des médias et des
autorités françaises. Ces premières représentations des évènements et leur
persistance guide encore aujourd’hui le processus mémoriels. Les premiers
travaux des chercheurs tenteront d’y apporter une réponse. Colette Braeckman
est, en ce sens, une pionnière et essaie, dès 1994, de comprendre les raisons
historiques qui ont mené le Rwanda au génocide. Elle trouve des explications
dans le legs colonial, la dimension ethnique de la « révolution sociale » de
1957-1962 et le développement d’une politique raciste qui en découle.
Deuxièmement, les controverses sur le rôle de la France
sont tenaces, du fait de la monopolisation du débat par des réseaux partisans
et des sites anonymes. Ces blocages mémoriels sont récurrents en France. Pour
ne pas rouvrir ce débat nous vous invitons à lire Daniela Kroslak qui propose
une analyse selon trois critères de responsabilité - connaissance, capacité,
participation - sans pour autant verser dans une diatribe anti France. Elle
rappelle que la tolérance anglo-américaine envers le FPR est aussi discutable
que le comportement français. Il y a aussi la thèse d’Olivier Lanotte qui est
l’un des travaux les plus exhaustif et rigoureux sur cette question.
Certains chercheurs ou
pamphlétaires, qui sévissent encore aujourd’hui risquent de bloquer le
processus mémoriels avec des débats stériles. Pourtant, marginalisés
académiquement pour le manque de rigueur scientifique de leurs analyses ils ont
développé des interprétations dénigrant ou relativisant l’évènement. Ce voile
cache les vraies questions sur les causes et racines historiques du génocide,
l'idéologie hamitique, les complicités internationales, le rôle de l’Eglise,
l'histoire du FRP
avant et après le génocide.
Une citation de Stéphane Audoin-Rouzeau,
Jean-Pierre Chrétien et Hélène Dumas (dont nous recommandons vivement de lire
les ouvrages) résume le traitement de cette question :
« il semble que les vieilles
antiennes du discours ethnicisant ou misérabiliste n’aient pas cédé le pas
devant les acquis de la discipline historique. Le regard réducteur porté sur
les sociétés africaines reste plus largement partagé qu’on ne pourrait le
penser (…) Les explications
politiques et sociales des connaisseurs de la région ont souvent été jugées
« compliquées », comme si l’Afrique, en somme, se devait d’être
simple à nos yeux ».
A lire :
Collette Braeckman : "Le Rwanda est devenu une histoire française"
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