Quand les médias occidentaux, sensibilisaient encore l’opinion publique, au drame humanitaire qui touche une partie de la Corne de l’Afrique, un autre sujet fut également médiatisé (très relativement il est vrai) : le retrait des Shabaab de Muqdisho. Cet évènement inaugure-t-il un tournant stratégique dans la lutte contre le jihadisme en Somalie ?
Le 6 août 2011, le président somalien annonçait le retrait des Shabaab de Muqdisho. Pour le porte-parole du mouvement radical, Sheikh Ali Mohamud Rage, ce retrait est tactique et temporaire, les radicaux conserveront leurs positions dans le reste du Sud de la Somalie (le Somaliland étant indépendantiste et le Puntland autonomiste). Néanmoins les difficultés du mouvement sont-elles temporaires ? Peuvent-elles expliquer ce retrait ? Plusieurs facteurs interviennent :
1) L’offensive des forces de l'Union africaine (Amisom) et des troupes gouvernementales, contre les Shabaab menée depuis plusieurs semaines sur le marché stratégique de Bakara, bastion des insurgés, et dans le nord-est de la capitale, a mis à mal les efforts des Shabaab. Acculé, le mouvement extrémiste aurait perdu une centaine d’hommes. Par ailleurs, il souffrait de difficultés d’approvisionnement en munitions et de difficultés financières, entre autres parce que les transferts de fonds venus des Etats-Unis se tarissent.
2) Il existait de nombreuses divisions internes. Ces divisions furent exacerbées par la gestion de la sécheresse et l’accès aux zones, sous leur contrôle, aux humanitaires. La manne financière liée à la mobilisation internationale est aussi devenu un véritable enjeu. A titre illustratif, les extrémistes réclamaient 10 000$ de taxes pour l’accès à une zone qu’ils contrôlaient, auxquels il s’agit d’ajouter 10 000$ de frais d’enregistrement, plus 6 000$ tous les 6 mois et 20% de taxes sur les marchandises importées sur leurs zones (y compris la nourriture). Même les populations sont taxées et certains chefs guerre se taillent de véritables principautés. Cet été, les Shabaab ont réclamé 30$ par hectare de terres irriguées aux agriculteurs vivant le long du Juba dans la région du Lower Juba (en rouge sur la carte). (ICI, ICI, et ICI)
3) Des divisions aussi, quant aux objectifs du mouvement. Lorsque les Shabaab ont traité le président du Gouvernement Fédéral de Transition (GFT) de traitre et d’apostat, Ben Laden s’en ait fait l’écho, comparant Cheikh Sharif Cheikh Ahmed au président Afghan, Hamid Karzai, et appelant au “jihad” contre son régime. Puis, le mouvement a prêté allégeance à al-Qāʿida (septembre 2009), mais les liens semblent plus symboliques qu’effectifs. Cette déclaration s’inscrit dans une volonté des fondamentalistes somaliens de s’aligner sur l’agenda global de la nébuleuse terroriste et d’être reconnus comme l’une de ses « filiales », tout en restant indépendants. Elle implique l’arrivée de combattants extérieurs et l’apparition d’un discours jihadiste menaçant les pays voisins. L’État islamique voulu en Somalie par certains groupes militants dépasse les frontières actuelles de l’État et englobe des régions peuplées de Somalis, en Éthiopie et au Kenya notamment (Grande Somalie), d’autres souhaitent lutter comme le GFT perçu comme illégitime. Des divisions claniques apparaissent aussi, paradoxalement il reste à espérer que ces divisions claniques, qui font aussi obstacle à l’émergence d’un pouvoir central en Somalie, et que dénonce officiellement le discours trans-clanique des intégristes, seront aussi celles susceptibles de les faire tomber.
4) Les difficultés rencontrées ces derniers mois furent également exacerbées par des défaillances au sein de l’appareil de commandement. Ainsi, la mort en juin de Fazul Abdullah Mohamed, le cerveau des attentats du Kenya et de Tanzanie en 1998, les blessures de Bilal al Berjawi, le cerveau des attentats de Kampala en juillet 2010, celles de l’émir Ibrahim Afghani, la mort de cinq commandant fin juillet, ont affaibli le mouvement. Des changements ont rapidement eu lieu dans le leadership, ainsi Ibrahim Haji Jama Mee'aad , un Somalo-américain, est devenu le chef des Shabaab, à la place d’Ahmed Godane. Ce dernier serait devenu responsable des affaires étrangères et des relations avec al-Qāʿida à la place de Fazul Abdullah Mohammed.
Ainsi, la guerre se poursuit (ICI et ICI) et les Shabaab cherchent déjà de nouveaux soutiens à l’extérieur et misent sur la diaspora. Ils gardent toujours le contrôle d’une large partie de la Somalie du Sud où sévit la famine. Par ailleurs, les armes continuent d’arriver par le Yémen. Si l’AMISOM et les troupes somaliennes ont repris le contrôle des zones délaissées par les Shabaab à Muqdisho, des craintes apparaissent quant à une possible résurgence des chefs de guerre sur ces zones (ICI). Ces chefs auraient d’ailleurs toujours à leur disposition des milices. Celles-ci furent même utilisées dans la bataille de Mogadiscio ces dernières semaines.
Enfin, et surtout, les ingérences étrangères se poursuivent.
Et tant que le conflit qui oppose l’Ethiopie à l’Erythrée ne sera pas réglé, toute résolution de la crise somalienne sera compromise. En effet, ce conflit persistant est au cœur de la déstabilisation de la Corne de l’Afrique. Après la guerre de 1998-2000, un accord de paix est signé le 18 juin 2000suite à la médiation de la présidence algérienne de l'Organisation de l’Union Africaine. Elle prévoit la mise en place d'une commission frontalière chargée de délimiter et démarquer la frontière. Les deux parties acceptent, par avance, la décision de la commission comme définitive et contraignante et le 13 avril 2002, la commission arbitrale attribue Badme à l’Erythrée.Dès lors l’Éthiopie, qui a militairement gagné la guerre, refuse la décision et laisse ses troupes dans cette région, qu’elle occupe depuis le XIXème siècle. Depuis, le processus de paix est en panne et l’Erythrée reproche à la communauté internationale de n’avoir rien fait à l’encontre de l’Éthiopie pour la forcer à appliquer la décision de la cour d’arbitrage. Ce positionnement a entrainé au fil des ans la radicalisation du régime érythréen. Il sert aussi l’Ethiopie qui en période de crise interne utilise la rhétorique nationaliste pour renforcer sa légitimité interne.
Il est fondamental d’analyser ce conflit pour comprendre la politique étrangère des acteurs étatiques régionaux. Les protagonistes de ce conflit ont, par la suite, interféré dans le conflit somalien. Et ils contribuent toujours à l’attiser.