jeudi 4 avril 2013

Guerre et économie : de l'économie de guerre à la guerre économique

A signaler : la parution de l'ouvrage mentionné dans le titre de ce billet. L'auteure de ce blog y participe avec un billet sur "business" de la piraterie en Somalie. Rappelons que cet ouvrage est fait les actes du colloque organisé par Participation & Progrès, Alliance Géostratégique, et l'Ecole de guerre Economique en partenariat avec EPEE le 1er juillet 2011 à l"Ecole militaire. 



Vous pouvez vous procurer l'ouvrage ici  (version papier ou version numérique)

Sommaire ICI


mercredi 6 mars 2013

Elections aux Kenya : le pays peut-il revivre les violences post-électorales de 2007 ?


Ce billet bénéficie d'une publication en parallèle sur Huffington Post.

"Je vous encourage à aller voter et aider à décider de l'avenir de notre Nation. Je vous demande également ardemment à tous de voter pacifiquement. (…) Montrons clairement au monde que notre démocratie a atteint sa maturité (…) A ceux qui ne gagneront pas: votre pays a encore besoin de vous. Il y a de nombreux autres rôles que vous pouvez jouer dans nos efforts de développement" déclarait vendredi dernier le président sortant Kibaki.

Le ton est donné. Les élections qui se sont déroulées hier, lundi 4 mars, sont certainement les plus importantes et les plus complexes depuis que le pays a renoué avec le multipartisme il y a de ça deux décennies. 14.3 millions d’électeurs kenyans se sont ainsi rendus aux urnes pour élire députés, sénateurs, gouverneurs de « counties » (départements), représentants locaux mais aussi le Président. Six scrutins au total dans la même journée, une nouveauté mais aussi un défi technique afin d’accueillir tous les votants et dépouiller tous leurs votes. L’élection des gouverneurs, notamment à cause de l’élargissement par la constitution de  2010 dans le cadre du processus de décentralisation de leurs pouvoirs financiers, pourrait donner lieu à des débats agités, mais seule l’élection du président qui devrait nécessiter un second tour, est autant scrutée.



Quels sont les enjeux liés à ces élections ?

Si ces élections se déroulent dans un climat serein et elles seront perçues comme  justes et transparentes, et feront entrer le Kenya dans une nouvelle ère. La Constitution adoptée en 2010 entrera pleinement en vigueur, faisant du pays une démocratie. A l’inverse, si ces élections sont perçues comme illégitimes, elles pourraient plonger le pays dans une nouvelle vague de violence et ainsi faire reculer la démocratie. Les capacités économiques de la première puissance économique d’Afrique de l’Est pourraient en être affectées. Les pays voisins en subiront sans doute l’impact : la Somalie, d’une part, où le Kenya est engagé dans le cadre de la lutte contre le terrorisme mais aussi les efforts de pacification du conflit Soudan/Soudan du Sud, d’autre part seraient touchés. En effet, le pays joue un rôle majeur dans les différents processus de paix engagés au sein de la Corne de l’Afrique. C'est à Nairobi qu'a été signé en janvier 2005 l'accord de paix entre Khartoum et les rebelles du sud Soudan. C'est également au Kenya que s’est réfugié en 2004 le Gouvernement Fédéral de Transition somalien. La dynamique de l’East African Community (EAC) dont fait partie le pays aux côtés de l’Ouganda, la Tanzanie, le Rwanda et le Burundi serait également gravement touchée.

23. 000 observateurs, dont 2. 600 observateurs internationaux ont été déployés dans le pays.  Le processus électoral kenyan est ainsi scruté de près par la communauté internationale qui garde en mémoire les violences qui avaient entachées les précédentes élections. En effet, en 2007, l’annonce de la victoire du président sortant Mwai Kibaki contre Raila Odinga avait provoqué des tueries ethniques dont le bilan s’élèverait à 1 162 morts et 350 000 déplacés dans plus d’une centaine de camps[1]. La crise avait été réglée par la voie diplomatique et juridique. L’ancien Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, mandaté par l’Union africaine, avait réussi sa médiation en proposant la constitutionnalisation du poste de Premier Ministre. Les deux leaders avaient accepté le partage du pouvoir ainsi que la rédaction d’une nouvelle constitution afin de préserver le pays de ses dérives.



Pourtant, en décembre 2002, une élection régulière avait fait entrer le Kenya dans une nouvelle ère, véritable espace démocratique où la liberté de parole est la règle et la presse parfaitement libre. En effet, après l'instauration du multipartisme en 1991, le président Moi a pu se maintenir au pouvoir jusqu'en 2002. L'arrivée au pouvoir de la coalition NARC rassemblant autour de Mwai Kibaki les opposants de longue date, les déçus de l'ancien parti unique KANU, et les ralliés de dernière minute, tel Raila Odinga offraient le symbole de l’ouverture du pays. L'arrivée d’un nouveau président, en rompant avec près de 40 ans de pouvoir sans partage de la KANU, avait changé radicalement le jeu politique. Le Kenya démontrait alors son aptitude démocratique, respectueux des libertés fondamentales et lançait une série de grandes réformes. Mais le pouvoir, confronté à la corruption et aux divisions, s’est considérablement affaibli. Avant les élections de 2007, le paysage politique kenyan était en pleine recomposition autour de deux pôles : la NARC, victorieuse en 2002, explosait alors que la KANU ne parvenait pas à se reconstruire de manière cohérente. Le Kenya avait raté son virage démocratique.

L’histoire peut-elle se répéter ?

Les Kenyans semblent avoir pris les dispositions institutionnelles afin d’éviter de revivre les violences de 2007-2008 : la Constitution a été réécrite, une nouvelle Cour suprême et une commission électorale ont été créées, une loi contre les discours de haine adoptée. La Commission électorale nationale a un rôle fort à jouer dans la légitimation des résultats. Elle a d’ailleurs promis de donner les résultats dans les 48 heures et ainsi éviter le long délai d’attente de 2007. L’émergence d’une classe moyenne et d’une bourgeoisie est également un élément nouveau. Une crise politique les pénaliserait sans doute, et ce groupe a tout intérêt à vouloir préserver la paix. Symboliquement deux hommes politiques dont les ethnies s’étaient affrontées en 2007 ont décidé de s’allier dans la course à la présidence : Uhuru Kenyatta, fils du premier président du pays, et William Ruto, le leader de la communauté des Kalenjin (la troisième plus importante du pays). Un geste d’autant plus fort que les deux hommes sont sous le coup d’une inculpation par la Cour pénale internationale pour crime contre l’humanité lors des violences post-électorales de 2007.



Néanmoins, ce qui a causé les précédentes violences n’a pas changé. En commençant par les leaders politiques qui sont les mêmes. Pour ces élections, le Premier ministre Raila Odinga (un Luo à la tête de l’Orange Democratic Movement) et le vice-Premier ministre Uhuru Kenyatta (un Kikuyu, chef du National Alliance party), sont les deux principaux candidats du scrutin (Mwai Kibaki a déjà effectué deux mandats et ne pouvait se représenter) sur huit au total. La bipolarisation de la campagne sur des bases ethniques fait craindre une nouvelle instrumentalisation du fait ethnique par la classe politique. Or ce facteur ethnique est très présent dans la vie politique et économique kenyane. Régulièrement des tensions apparaissent autour de l’occupation de la terre par exemple. Des conflits attisés par des calculs politiques à courte vue. Les Bantous représentent le groupe le plus important, auquel appartiennent les Kikuyus, ethnie qui a marqué l'histoire de l'émancipation du Kenya et qui a tenu les rênes du pouvoir depuis l’indépendance du pays en 1963. Mwai Kibaki, l’actuel président est un Kikuyu comme Jomo Kenyatta le premier président du pays en 1964 et son fils actuellement candidat.

Tout comme en 2007, la campagne électorale s’est déroulée sans heurt majeur. La Commission kenyane des droits de l’homme a tout de même relevé le retour de « discours de haine », les leaders politiques sont les mêmes et certaines de leurs déclarations inquiètent. Ainsi Raila Odinga a-t-il déjà annoncé qu’en cas de défaite, il dénoncerait les fraudes et les manipulations. C’est lui qui en 2007 avait été battu par le président sortant Mwai Kibaki aux élections présidentielles du 27 décembre à la suite de fraude, alors, qu’aux législatives qui avaient eu lieu le même jour, son parti l’emportait devant la coalition présidentielle. De plus, l’inculpation de Uhuru Kenyatta, et de son colistier l’ex-ministre William Ruto, par la CPI pourraient également leur donner envie d’être vainqueur à l’encontre des résultats. Bien que s’il est élu aux plus hautes fonctions, Uhuru Kenyatta devrait comparaitre devant la Cour en avril prochain, au moment où devrait se dérouler le second tour de l’élection. Son statut de Président ou futur président pourrait ainsi lui permettre d’adopter la même attitude que le président soudanais Omar El Béchir qui lui a choisi d’ignorer la CPI. De fait il pourrait devenir le deuxième président du continent poursuivis par la Cour. Cette perspective inquiète les partenaires occidentaux de ce pays qui préférerait voir Raila Odinga triompher. Cette inculpation est donc un enjeu de plus dans ces élections, à la portée internationale. Kenyatta s’est d’ailleurs servi de ces accusations afin de manipuler les communautés ethniques qui le soutiennent en se positionnant comme une victime. Sera-t-il jugé dans les urnes ? Gardons en mémoire qu’un scrutin dans lequel un candidat n'a rien à perdre peut virer à la guerre civile…




[1] Kenya National Commission on Human Rights (KNCHR), On the Brink of the Precipice : a Human Rights Account of Kenya’s post 2007 Election Violence, Nairobi, août 2008, 156 p.

mardi 29 janvier 2013

Afrique du Sud : le bilan très contesté de Jacob Zuma (2/2)

Suite de nos billets sur le parti dominant de l'Afrique du Sud. 
 
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  L’usure du pouvoir semble aller de pair avec les scandales généralisés dans la classe politique, et Jacob Zuma n’y fait pas exception. Particulièrement décrié ces dernières années, il a été accusé de viol, avant d’être acquitté. Il a également passé de longues années à se défendre d’accusations de corruption et de racket. Sa réélection à la présidence de l’ANC est elle-même très critiquée. Les militants anti-Zuma dressent un bilan très négatif de sa présidence. En effet, il est arrivé au pouvoir en 2009 suscitant de nouveaux espoirs avec un programme ambitieux : promesse d’une meilleure gouvernance, réduction des inégalités sociales et du chômage par une réforme foncière et une redistribution des richesses renouvelée. Or, sur le plan social le bilan est mitigé et les inégalités restent fortes. « Président des pauvres », Jacob Zuma n’a pas su enrayer la sédimentation de la société. En parallèle, la lutte contre le chômage qui était la priorité du mandat de Jacob Zuma s’avère être également un échec. Dans un contexte d'augmentation de la population active un quart des Sud-Africains ne trouvent pas d’emploi. Les jeunes sont particulièrement touchés (50% pour les 20-24 ans) de même que les femmes, et les noirs. Plus inquiétant sur le plan politique, le milieu des affaires critique le manque de leadership économique de Jacob Zuma. Ce dernier tout comme son administration se défendent en invoquant un contexte économique et financier défavorable. Le candidat Zuma prônait des mesures populistes et radicales pour satisfaire à la fois la base de l’électorat de l’ANC et l’aile gauche du parti qui le soutenait contre son prédécesseur. Or, le candidat devenu président Zuma doit désormais composer avec un pays touché à la fois par la crise internationale et par la crise structurelle interne. L’Afrique du Sud possède pourtant de nombreux atouts : des industries de pointe dans certains secteurs d’excellence, des systèmes de télécommunications importants, des infrastructures développées et une terre riche en minerais (or, platine, diamants, etc). Tous ces avantages lui permettent de disposer d’une croissance stable autour de 3% mais ce potentiel est limité entre autres par des problèmes énergétiques qui entraînent coupures et restrictions, en particulier dans les grands centres urbains. Finalement, Jacob Zuma s’est inscrit dans la continuité de Thabo Mbeki alors qu’il avait initialement un discours de rupture basé sur un retour aux « vraies valeurs » de l’ANC. C’est tout le paradoxe de la politique économique de l’ANC : longtemps d’inspiration marxiste-léniniste cette direction a été officiellement abandonnée, notamment sous le mandat de Thabo Mbeki, bien que la question soit fréquemment relancée pour satisfaire la frange la plus à gauche du parti. L’ANC veuttransformer l’économie sud-africaine pour lutter contre le chômage et la pauvreté mais les changements annoncés semblent très mesurés. Le parti reste très prudent et conservateur. Prenons, par exemple, les questions foncières. Les terres appartiennent toujours à 80% aux blancs. L’exécutif de l’ANC reconnaît qu’il faut réformer le principe du vendeur volontaire - acheteur volontaire. Néanmoins, il doit toujours faire face au caractère constitutionnel du droit à la propriété. Cette réforme controversée est, et sera, dans les années à venir, le rocher de Sisyphe de l’ANC. D’autant plus que l’histoire sud-africaine a été marquée par de violentes dépossessions foncières. L’exemple zimbabwéen, cité par Julius Malema, n’est pas non plus pour rassurer les observateurs internationaux. Et les défis pour mettre en œuvre cette réforme sont considérables. Le manque de ressources budgétaires comme la durée des procédures judiciaires d’indemnisation sont aussi à souligner. En effet, la constitution autorise le droit d’expropriation au nom de l’intérêt public en échange d’une compensation susceptible d’être fixée par une cour de justice[i]. L'une des faiblesses actuelle de l’ANC reste donc son bilan gouvernemental et les problèmes internes à l'ANC qui ont tendance à devenir des problèmes étatiques. D’autant que le risque de confusion entre Etat et parti découle d’une particularité de la Constitution sud-africaine, qui fait qu’il n’existe pas de circonscriptions dans le système électoral. Comme l’explique Pierre-Paul Dika, les députés de la majorité sont responsables devant le parti et la Présidence avant de l’être devant leur électorat[ii]. Le pouvoir législatif est très discipliné. Simonneau note : « si ce poids des instances dirigeantes est moins fort dans les autres formations, la discipline est réelle et, de ce fait, le parlementarisme est atténué. »

[i] Ibid., pp. 744.
[ii] Pierre-Paul Dika, Les fondements de la politique étrangère de la nouvelle Afrique du Sud : acteurs, facteurs et instruments, Paris, L’Harmattan, 2008.

samedi 26 janvier 2013

Afrique du Sud : le déclin annoncé de l'ANC (1/2)

"Cry, the beloved country " titrait le magazine The Economist, fin 2011, évoquant ce qu’il estime être le "triste déclin" de l’Afrique du Sud. En 2012, le Congrès national africain (ANC) fêtait ses 100 ans, un évènement remarquable pour un mouvement politique. Le parti historique de l’Afrique du Sud est aussi au pouvoir depuis près de 20 ans et reste la force politique la plus puissante du pays, créant un monopartisme de fait. Paradoxalement, l’ANC vit une crise sans précédent dans son histoire. Pourtant, Jacob Zuma, reconduit en décembre 2012 à la tête du mouvement, est idéalement placé en vue d’une éventuelle réélection lors de l’élection présidentielle de 2014. La prédominance de l’ANC n’est pas encore remise en cause mais le parti amorce-t-il un déclin ? Est-il toujours aussi puissant ou a-t-il entamé un processus de désintégration comme l’affirme Helen Zille, chef de l’Alliance démocratique, l’un des principaux partis d’opposition ?
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UN PARTI DOMINANT MAIS DIVISÉ
 L’ANC est au pouvoir sans discontinuer depuis 1994, recueillant à chaque fois plus de 60% des suffrages aux élections nationales. Néanmoins les élections de 2009 ont été marquées par le premier recul du parti. Du côté de l’opposition, l’Alliance démocratique ne cesse de progresser depuis les dernières élections présidentielles de 2009. Certains pointaient alors une certaine usure du pouvoir. Quatre ans après le diagnostic reste le même bien que l’ANC reste le parti hégémonique d’Afrique du Sud sans réelle concurrence crédible de la part des autres mouvements. En effet, depuis 1994, ces derniers n’ont pas réussi à constituer une véritable force de proposition dans le pays et l’ANC a même su convaincre des élus de l’opposition de les rejoindre. Ainsi, une révision constitutionnelle de 2003 a permis aux parlementaires de changer de parti en cours de mandature et ce sans perdre son siège. Le déclin viendrait-il de l’intérieur du parti ? D’après un cadre de l’ANC, le déclin de la puissance électorale du parti: “is like an ocean wave rolling towards the coast… it will happen but we do not know the distance to the shore. ” La lente dégradation au sein du parti est donc inquiétante et certains observateurs s’interrogent aujourd’hui sur un possible éclatement du parti. Pourtant cette crainte de l’éclatement existait déjà à la fin du gouvernement de Thabo Mbeki avec une première scission menée par ce dernier. Mais le Congress of the People (COPE) a obtenu de mauvais résultats électoraux. Fin 2008, le COPE connaît aux élections un premier échec, mais il a surtout échoué à se construire une identité propre. En apparence, il semblait être un parti politique d’opposition comme les autres. Toutefois son histoire, directement liée à celle de l’ANC, le distinguait des autres partis. Il avait le potentiel pour catalyser un certain déclin de l’ANC. De fait, le COPE n’a pas concrétisé son projet de contestation du parti historique. Au contraire il lui a même donné l’occasion de renouer avec ses racines. Ainsi, l’administration de Jacob Zuma a répondu aux critiques du COPE, tant sur le respect de la primauté du droit que sur la responsabilité du gouvernement. L’ANC est sorti renforcé de l’échec de cette scission et y a vu la providence d’un « message de Dieu ». Notons à ce propos que la rhétorique religieuse trouve un écho important dans ce pays très croyant. Elle est souvent utilisée pour mobiliser l’électorat, ainsi Jacob Zuma professait qu’« en votant pour l’ANC vous choisissez d’aller au paradis». De manière plus générale toutes les scissions sont devenues minoritaires. Le paradoxe de l’ANC est qu’il fait des déçus mais continue de remporter les élections par fidélité.
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La question qui se pose alors est celle de la prise de pouvoir au sein de l’ANC entre des courants idéologiques internes et entre personnalités. Il existe de fortes tensions au centre du parti entre les soutiens de Jacob Zuma et ceux qui l’ont abandonné, comme le vaste mouvement des jeunesses de l’ANC. En effet, la montée en puissance de Julius Malema, le leader populiste de ce mouvement lié au parti revendiquant son autonomie dans les années 1940, est un signal fort.

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De plus, grâce au système du Black Economic Empowerment, des membres importants de l’ANC sont devenus également actionnaires de grandes entreprises. Ce phénomène et l’enrichissement d’une partie de la population noire créent des frustrations que les opposants de Jacob Zuma utilisent. Ainsi, l’opposition interne a su profiter de la tragédie de Marikana pour souligner ces contradictions. Julius Malema appelait à « mener la révolution minière » car le gouvernement, lié au capital, ne soutiendrait pas les mineurs. Pour Julius Malema, la nationalisation des mines est une nécessité alors que Jacob Zuma essaie d’adopter un discours intermédiaire en proposant d’imposer des taxes plus lourdes au secteur. De même sur la réforme foncière Julius Malema porte un discours extrémiste calqué sur le modèle zimbabwéen, alors que pour Jacob Zuma il faut imposer aux propriétaires terriens blancs de vendre leurs biens fonciers à un prix inférieur au marché. L’ex-dirigeant de la Ligue de la jeunesse du parti a été désavoué et exclu du parti en 2011 lors de ses déboires judiciaires pour incitation à la haine raciale . La redistribution des terres et des bénéfices miniers sont des enjeux majeurs pour l’avenir économique du pays, et cette question a eu un écho considérable auprès de l’électorat populaire du parti. De fait, les personnalités populistes ont su se distinguer ces dernières années en se présentant comme une alternative au pouvoir actuel. Ainsi plus que jamais les luttes intestines déchirent le parti. Les syndicats contestent la politique libérale du gouvernement et les groupes sociaux ont des intérêts opposés. Pourtant Jacob Zuma conserve le soutien de l’ANC et a su rallier les syndicats mais la situation est très confuse. En effet, la Cosatu, puissante fédération syndicale du pays, a choisi de soutenir Jacob Zuma pour un second mandat alors que Zwelinzima Vavi, le secrétaire général du Cosatu, très critique à l’égard du régime, a été réélu pour un sixième mandat, et que dans le même temps le président du Cosatu, fervent soutien du chef d'Etat, était aussi réélu. Pourtant, les grèves à répétition dans l’enseignement et dans les services municipaux ont mis en évidence les divergences avec cette centrale syndicale et le parti. Même le Numsa (National Union of Metalworkers of South Africa), pourtant très virulent contre Jacob Zuma, a surpris tout le monde en annonçant lui accorder son soutien. Les commentateurs ont alors fustigé ce revirement et dénoncé d’obscures négociations. Une nouvelle fois, la stratégie de conquête et de conservation du pouvoir de Jacob Zuma a été contestée.
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Aujourd’hui, les cadres de l’ANC ou leurs proches ont des intérêts économiques tels que leur engagement semble davantage motivé par l’argent que par l’idéologie. En parallèle, la corruption rampante expliquerait la disparition de 3 milliards d'euros d'argent public chaque année. Ainsi, la lutte semble polarisée sur l’obtention de postes au sein du parti. Ces hautes fonctions sont synonymes de pouvoir par l’accès aux marchés publics et aux ressources qu'elles impliquent. Cette tendance au copinage est renforcée par les tendances autoritaires du parti qui perdurent. L’Assemblée nationale a ainsi voté en novembre 2011 une loi controversée sur la "Protection des Informations d'Etat". Cette loi, portée par l’ANC, ferme l’espace à la liberté d’expression en rendant passible de sanctions la possession, la publication et la distribution d'informations d’Etat sensibles. Cette loi permet donc au gouvernement d’empêcher la publication d’informations nuisibles à l’Etat. Du fait d’une définition floue à l’extrême les détracteurs y voient un moyen de limiter la diffusion vers l’opinion publique des affaires de corruption dont ils auraient connaissance. En définitive, la crise actuelle était déjà en germe depuis plusieurs années. L’ANC est un parti très hétéroclite qui s’apparente parfois à un forum où les rivalités apparaissent plus fortes que jamais. Or le défi de l’ANC a toujours été de parvenir à rester uni autour d’une ligne politique équilibrée pour préserver le compromis politique qui le fonde. La stabilité du pays se base sur cette gouvernance d’union qui combine au discours populiste, une politique économique néolibérale et une redistribution aux accents sociaux-démocrates.

mercredi 23 janvier 2013

Islam africain, un particularisme effectif ?



Alors que de nouveaux spécialistes du Sahel, de l'Afrique de l'Ouest ou encore de la Somalie, apparaissent un peu partout dans les médias ces derniers jours, les discours colportés font souvent état d'un "islam noir". Nous vous proposons ici d'analyser cette question. 



Tout d'abord, gardons-nous de toute analyse qui donnerait une représentation fallacieuse de l’islam dans la région. Bien qu’il soit teinté de tradition animiste et soufie, rappelons comme René Otayek et Benjamin Soares (ouvrage à droite) que cet islam dit « africain » n’a pourtant pas autant de pratiques particulières qu’on le laisse souvent entendre. Le culte des saints, par exemple, est aussi répandu dans le reste du monde musulman. Néanmoins, il est vrai que dans des pays comme le Mali, la pratique religieuse inclus souvent des éléments extérieurs à l’islam (personnages mythiques non musulmans, recours au fétichisme…). Nous émettons donc des réserves face à ce qu’il est habituellement appeler un « islam africain » profondément soufi et perçu comme « notoirement syncrétique, tolérant et assimilationniste »  sur lequel les colonisateurs français et britanniques appuyaient leur pouvoir et que certains invoquent aujourd’hui afin d’endiguer la montée de l’islamisme dans la région. Cette vision manichéenne donne une image erronée d’une situation qui cache une réalité beaucoup plus complexe. Bien sûr, on observe de fortes divergences entre les sunnites, wahhabites et les traditionnalistes mais ces oppositions sont plus souvent des commodités de langage. L’islam dans la région est pluriel. Les solidarités familiales, ethniques… sont souvent plus actives que l’identification religieuse et sont entretenues par les structures sociales, économiques et politiques de la société. 

L’islam, comme le christianisme, ont réinvesti l’espace public profitant du vide politique laissé après des années d’autoritarisme et cette demande de sacré est aussi une demande de sens. Au Mali, Chérif Ousmane Haïdara, chef traditionnel d’un ordre soufi , a rempli les stades mais peu d'autres membres de l’élite musulmane ne bénéficient d’un public aussi important et n’ont réussi à se substituer aux chefs soufis, aux marabouts….


 Ainsi même si les discours des nouveaux intellectuels musulmans ont parfois des résonnances islamistes, cette visibilité est trompeuse par rapport à leur influence réelle dans la population. Au Mali, ils peuvent invoquer la Charia mais ils n’ont pas nécessairement de légitimité populaire et ne sont pas représentatifs. Par ailleurs, il ne faut pas confondre islamisme et jihadisme. De même tous les islamistes ne sont pas des radicaux. 

On lira avec intérêt : 

René Otayek  et Benjamin Soares, « Islam et politique en Afrique » in Islam, Etat et société en Afrique, Paris, Karthala, 2009

Benjamin Soares, « L’islam au Mali à l’ère néolibérale » in Islam, Etat et société en Afrique, Paris, Karthala, 2009

Louis Brenner, « La culture arabo-islamique au Mali », in Le radicalisme islamique au sud du Sahara. Da’wa, arabisation et critique de l’Occident, René Otayek (sous la dir.), Paris, Karthala, 1993