La revue Afrique contemporaine publie un appel à communication sur les armées en Afrique. Vous trouverez ci-dessous l'annonce :
"L’objet de ce dossier est d’analyser les liens entre armées, États,
économies et sociétés en Afrique aujourd’hui. Sur ces différents points,
les armées jouent fréquemment un rôle de premier plan dans le parcours
historique des pays africains depuis leur indépendance et dans la
construction des États. La question alors posée est de savoir pourquoi
et comment elles ont acquis une place aussi déterminante. Tel est
l’objectif de ce dossier de la revue Afrique contemporaine.
Instruments du pouvoir, centre de/du pouvoir, mais aussi et souvent
acteurs économiques et sociaux, les armées en Afrique sont des objets
d’analyse incontournables pour comprendre la réalité africaine
contemporaine. Il importe évidemment de prendre en compte la très grande
hétérogénéité des armées selon les pays.
Dans de nombreux pays, la centralité de l’armée est incontestablement
un legs de la période coloniale, elle-même fortement différenciée selon
les « modèles » de colonisation, en ce qui concerne la continuité des
acteurs, des structures administratives et institutionnelles, des
registres d’action, des méthodes de gestion, mais, plus d’un demi-siècle
après les indépendances, leur rôle et leur place dans les États, les
sociétés et les économies ont évolué.
Les armées en Afrique au cœur du politique
Dans le champ du politique et dans bien des pays africains,
les forces armées sont souvent présentes sur le devant de la scène :
soit pour s’emparer du pouvoir par les armes, et ce aux dépens des urnes
(coups d’État, régimes militaires) ; soit pour apporter une réponse à
des blocages politiques (Guinée, Mauritanie, Niger, Guinée Bissau) ou à
des crises post-électorales ; soit pour jouer un rôle dans la
neutralisation des affrontements entre des mouvements populaires et
citoyens et les pouvoirs autoritaires en place (cas de la Tunisie ou de
l’Égypte lors des « printemps arabes »). Et ce sans compter des régimes
militaires ou des régimes politiques dominés, officiellement ou non, par
des militaires, d’anciens militaires, des gardes présidentielles.
Il importe donc de contextualiser les différentes places des armées
dans les pays africains. Certaines sont « faillies », « fragiles » ou «
fragilisées », alors que d’autres dominent les champs social, politique
et économique. En outre, elles sont de plus en plus concurrencées dans
leurs fonctions régaliennes de détention du monopole de l’usage de la
violence par des groupes armés de tous types (milices et groupes
d’auto-défense villageoise, mouvements djihadistes, gangs, etc).
Dans les situations post-conflit, la réintégration des « rebelles »
dans les forces armées et la construction d’une armée nationale (cas de
la Côte d’Ivoire, du Mali) sont des enjeux centraux pour la construction
de la stabilité des pays concernés. De plus, les armées nationales ont
souvent des moyens limités, si bien que des forces étrangères,
africaines ou non, régionales ou multilatérales, sont engagées pour
pallier ces défaillances.
Les conflits armés ont aujourd’hui changé de nature. Les guerres entre
États, opposant des armées nationales, sont très rares et les
affrontements armés relèvent actuellement d’enchevêtrement d’acteurs, si
bien que les armées tendent à n’être que l’un d’entre eux.
Les armées : nouveaux acteurs économiques?
Beaucoup moins appréhendés par les sciences humaines et sociales, le
rôle économique des armées ainsi que leur place souvent importante dans
les économies de certains pays, en Afrique mais pas seulement, mérite de
faire l’objet d’études scientifiques. Sur le continent africain en
effet, les armées sont impliquées dans l’économie de rente ou de
prédation, voire dans des activités illégales ou criminelles (la Guinée
Bissau et le trafic de la cocaïne originaire d’Amérique Andine, etc.).
De telles trajectoires résultent, dans certains cas, du fait que les
forces armées sont soumises à de fortes contraintes budgétaires qui
impactent notamment le paiement des salaires (RDC, RCA, etc.).
Mais, toujours dans le champ de l’économie, les armées sont aussi un
régulateur d’activité et donc indirectement de l’emploi par le biais des
entreprises qu’elles contrôlent. Cette implication dans l’économie peut
aller jusqu’à la création de complexes militaro-industriels (il en est
ainsi des oligarchies pétrolières en Angola ou en Algérie).
Les armées : catalyseur social?
Les armées jouent enfin un rôle social non négligeable comme lieu de
formation, de socialisation et d’intégration des jeunes, de brassage de
populations d’origines diverses, d’accès des femmes à des postes de
responsabilité, voire de constitution d’une citoyenneté. Plusieurs pays
ont par ailleurs institué des services civiques ou militaires à des fins
de développement (Madagascar, etc.). Il en est plus ou moins de même
par leur implication dans des programmes de désarmement, démobilisation
et réintégration des combattants en fin de conflit, comme au Liberia, en
Sierra Leone, en RDC ou en Côte d’Ivoire.
Souvent, seules institutions publiques structurées dans les pays au
lendemain des indépendances, les armées ont développé des services
publics. Elles ont souvent leurs propres dispositifs de protection
sociale, conduisent des politiques familiales, gèrent des complexes
hospitaliers (Égypte), font de la recherche. Plus largement, l’armée
participe à la construction de représentations autour de la
masculinité, de l’organisation familiale, de la division du travail et
de la répartition des rôles sociaux, mais donne chair au monopole
légitime de la violence (cf. les missions régaliennes de l’Etat selon
Max Weber) versus la constitution de groupes d’autodéfense et la liberté
(de jure ou de facto) de port d’armes.
Argumentaire
Diverses disciplines relevant des sciences humaines ont abordé,
chacune avec leur approche et leur méthodologie, la question des armées
en Afrique. Mais, elles l’ont généralement fait par le biais de chemins
de traverse¬. Les relations internationales et la science politique,
tout comme les War & Peace Studies anglo-saxonnes, privilégient
traditionnellement dans l’étude des affaires militaires une approche que
l’on pourrait qualifier de schizophrène. Dans le même ordre d’idée, le
caractère belliqueux et violent des armées ou leur rôle dans les
renversements de régimes politiques et les coups d’État sont mis en
exergue. Inversement, telles un Janus bifrons, les armées peuvent être
des acteurs clés de stabilisation, voire de « pacification » pour
reprendre une nomenclature coloniale, du fait de leur implication dans
les processus de construction de la paix (programmes de DDR mentionnés
ci-dessus). Cette schizophrénie abolit la distinction entre temps de
guerre et temps de paix et révèle de nouveau que les armées sont des
acteurs incontournables de l’évolution politique des Etats.
L’abondante littérature sur les Réformes du Secteur de la Sécurité
(RSS) et de la Défense ne s’est pas ou peu penchée sur ce qu’était
véritablement l’armée dans les pays africains. Elle s’est davantage
focalisée sur les échecs et les succès de cet outil, sous l’angle des
composantes sécuritaires de l’aide au développement, sur les
dysfonctionnements des forces armées et les moyens à mettre en œuvre
pour les réformer. Ces RSS ont légitimé ainsi la communauté
internationale pour intervenir dans un domaine qui relève de la
souveraineté des États, ce qui, d’une certaine façon, renvoie aux
programmes d’ajustement structurel, fort intrusifs, des années 1980 –
1990. Les approches « Sécurité et Développement » sont quant à elles
devenues dans les années 1990 – 2000, tout comme la RSS, le parangon
dans les pays du Sud d’une problématisation qui fait un large appel à la
thématique de l’insécurité, et ce tant par la communauté internationale
que par les agences de développement, qu’elles soient bi ou
multilatérales.
Sans nier l’apport de ces approches à la compréhension du fait
militaire en Afrique et à la connaissance des armées, le grand absent
est, paradoxalement, l’armée en tant que telle et ceux qui la composent,
donc les militaires.
Dans une optique pluridisciplinaire, à un carrefour entre sciences
politiques, économie politique, sociologie, histoire sociale et
anthropologie, ce dossier a pour ambition de repenser les armées en
Afrique, leurs élites militaires tout comme les hommes de troupe.
Ce numéro de la revue Afrique contemporaine sera donc centré sur le
rôle social, politique et économique des armées en Afrique. Il visera à
inscrire dans leurs parcours historiques et leurs contextes la place,
dans différents domaines, des forces armées des pays africains et à
analyser leur rôle spécifique dans l’histoire et les évolutions de ces
pays . Il abordera également la différenciation au sein des armées et
les possibles rivalités internes qui en découleraient : entre régiments,
armes et corps, entre garde présidentielle et armée de terre, entre
troupes d’élite (comme les régiments de parachutistes et l’infanterie).
Et ce sans oublier la forte spécificité de la gendarmerie en Afrique. Il
visera également à comprendre la place qu’occupent les forces armées
nationales à côté des armées régionales ou multilatérales et des forces
armées privées (mercenariats, sociétés privées de sécurité et de
défense, milices, services de renseignement, etc.).
Il accordera une attention particulière aux études de terrain
(enquêtes, observations participantes, entretiens), mais également aux
analyses comparatives et aux archives. Le travail quotidien, les
relations de ces acteurs avec leur institution ou d’autres organismes de
l’État, ainsi qu’avec les pouvoirs politiques et économiques, seront
traités par les articles de ce dossier. Les trajectoires
socioprofessionnelles pourront être mises en perspective afin de
répondre aux questions : Que fait l’armée ? Qui sont ces hommes et ces
femmes qui la composent ? Pourquoi ont-ils choisi d’embrasser les
carrières militaires ou policières ? En quoi ont-ils le monopole de la
violence légitime ? Comment se situent les gardes prétoriennes ou
systèmes de sécurité présidentielle, proches des pouvoirs politiques,
par rapport aux armées ? De quelle logistique disposent les forces
armées en Afrique ? Quelle sont les sources de financements, les
rémunérations et les équipements ? Comment les autorités nationales
exercent-elles des arbitrages entre des dépenses militaires assurant la
sécurité et les autres dépenses du budget de l’Etat, notamment sociales ?
L’objectif final étant de replacer ces réflexions dans le temps long
de ce qu’est aujourd’hui l’armée en Afrique, mais également, par rapport
aux ruptures liées à la nature des nouveaux conflits qui dominent en
Afrique depuis la fin de la guerre froide (guerres asymétriques,
emboîtements d’échelles, diversité des acteurs, etc.).
L’approche comparative s’attachera, ainsi de manière complémentaire, à
décrypter les évolutions des armées, de leur organisation et de leur
positionnement à la lumière des transformations de la conflictualité et
l’émergence exponentielle de nouveaux acteurs, privés et publics, de la
sécurité, qu’ils soient nationaux, régionaux ou internationaux et des
rapports de pouvoir qui en découlent.
Il importera également d’expliquer pourquoi les armées ne sont plus
exclusivement, ni souvent prioritairement, des institutions purement
militaires et pourquoi elles investissent les champs social, politique
et économique plus que ceux du sécuritaire et de la défense.
Conditions de soumission
Faire acte de candidature en envoyant une courte note d’une page
(problématique du texte, exposé du déroulé de l’argumentaire, exposé des
données, des sources et terrains mobilisés).
Les articles devront avoir un format de 35 000 signes espaces compris
(notes de bas de page et bibliographie comprises) dans leur version
destinée à la publication, ainsi qu’un court résumé de 800 signes
(espaces compris), des mots clés et la biographie de l’auteur (150
signes). Les auteurs pourront intégrer à leur article des iconographies
(cartes, graphiques, photos, dessins, etc.)
Ils suivront la procédure d’évaluation scientifique auprès de deux référés anonymes et du comité de lecture d’Afrique contemporaine. La soumission des appels à propositions et des articles se fait sur la plateforme Editorial Manager à l’adresse suivante : http://www.editorialmanager.com/afriquecontemporaine/
Vous pouvez nous contacter pour toutes précisions aux adresses suivantes : ncnicolascourtin@gmail.com et fortuiti@afd.fr
Calendrier
Envoi de la proposition d’article : le 1er juillet 2015.
Réponse de la rédaction d’Afrique contemporaine aux auteurs : le 10 juillet 2015 au plus tard.
Envoi d’une première version des articles présélectionnés : le 1er septembre 2015.
Publication du numéro : mars 2016.
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Dossier de revues :
- « L’Etat militaire à l’épreuve des transitions », Revue internationale de politique comparée, vol 15, pp. 151-162, 2008.
- « Military Marxist Regimes in Africa », Journal of Communist Studies, Volume 1, Issue 3-4, 1985.
- « Militaires et pouvoirs au Moyen-Orient », Vingtième Siècle, Presse de Sciences Po, n° 124, 2014/4, 256 pages.
- « Amérique latine : l’état militaire à l’épreuve des transitions », Revue internationale de politique comparée, vol. 15, n° 1, 2008, p. 153.