Revenons à notre trilogie débutée ICI et essayons de comprendre pourquoi AQMI est descendu plus au Sud de son terrain d’action traditionnel ?
Trois types d’acteurs principaux organisent la zone saharo-sahélienne:
- ceux voulant contrôler les ressources minières
- ceux l’utilisant comme siège pour des trafics en tout genre (cocaïne, humains, armes…)
- AQMI l’utilisant comme refuge
La combinaison de ces 3 éléments provoque la crise actuelle.
1) La
présence de minerais stratégique oblige certains Etats à déployer des troupes (la France au Niger, des troupes prépositionnées en Mauritanie et au Burkina Faso). Les Etats-Unis lançaient dès 2002 l’initiative Pan Sahel et organisent aujourd’hui les exercices militaires Flintlock. La Chine a fait une entrée remarquée dans la région il y a quelques années, l’Iran s’intéresse aux minerais stratégiques (
ICI)…etc
L’intensification de la présence de ces acteurs extérieurs tant au niveau économique que militaire, dans une zone déjà fragilisée, peu déstabiliser des régimes et des Etats déjà faibles.
2) La faction saharienne du GSPC qui opérait dans cet espace a toujours été considérée plus comme une organisation criminelle qu’un groupe terroriste conventionnel du fait de son engagement dans le trafic d’armes, de drogue et de cigarettes (nous y reviendrons dans un prochain billet).
La criminalité transnationale en Afrique de l’Ouest est fortement développée : trafic de drogue et d’êtres humains, trafic d’armes….Le Sahel est devenu récemment une véritable plaque tournante du trafic de drogue en provenance d’Amérique latine vers l’Europe (voir
ICI et
explications de Christophe Champin)
Pour
Medhi Taj le risque est de voir
les narcotrafiquants créer « de nouveaux marchés nationaux et régionaux pour acheminer leurs produits. Ayant besoin de sécuriser le transit de leur marchandise, ces narcotrafiquants recourent à la protection que peuvent apporter, par leur parfaite connaissance du terrain, les groupes terroristes et les différentes dissidences, concourant ainsi à leur financement ».
3) Cibles et tactiques d’AQMI :
Droukdel, le chef d’AQMI, a fait allégeance à AQ en septembre 2006 et le groupe a adopté les méthodes d’Al Qaïda
Dans le passé les attaques du GSPC ressemblaient beaucoup aux opérations de guérillas rurales menées par les rebelles algériens pendant la guerre d’indépendance (54-62): des embuscades sur des routes contre des convois ou véhicules militaires. AQMI continue de porter ses attaques principalement sur des cibles militaires ou sécuritaires. Cependant depuis que notamment en attaquant plus souvent des cibles urbaines (attentat contre le siège du HCR à Alger en 2007). Dorénavant les attaques sont filmées et les attentats suicides se multiplient : « We have decided to adopt the sytle of martyrdom operations in the confrontations with our enemies from now on » (Droukdel, Al Jazeera le 8 mai 2007). Ces méthodes contestées ont créées des tensions au sein du mouvement.
Les cibles sont de plus en plus souvent des civils occidentaux, chronologie sommaire:
11 décembre 2007 : 2 attentats à la voitures piégés à Alger 72 morts et 100 blessés
Février 2008 : 2 Autrichiens kidnappés en Tunisie
14 décembre 2008 : kidnapping de Robert Fowler, envoyé spécial de l'ONU et ancien ambassadeur du Canada au Niger et son adjoint Louis Guay, ancien ambassadeur du Canada au Gabon, dans la région de Tillaberi, dans l'ouest du Niger.
23 janvier 2009 : 4 touristes européens (2 Suisses, 1 Allemande, 1 Britannique : Edwen Dyer assassiné le 31 mai 2009) enlevés à la frontière entre le Mali et le Niger, alors qu'ils revenaient d'assister au festival de culture nomade «Tamadachit N'Azawagh » d'Andéramboukane (Mali). Robert Fowler est libéré le 22 avril avec l’Allemande et la Suisse.
Juin 2009 : embuscade sur un convoi de sécurité en Algérie 18 policiers tués et 1 civil
23 juin : assassinat d’un américains à Nouakchott en Mauritanie
29 Juillet : 20 soldats Algériens tués dans la province de Tipaza (IED et embuscade)
8 août : 2 gardes de sécurité sont blessés dans l’attaque suicide devant l’ambassade de France en Mauritanie
25 novembre 2009 : enlèvement de Pierre Camatte au Mali
29 novembre 2009 : enlèvement de 3 Espagnols travailleurs humanitaires en Mauritanie
8 décembre 2009 : AQMI reconnait être responsable des enlèvements
31 décembre 2009 : il demande une rançon de 7 millions de $ pour la libération des 4 otages + la libération de 4 militants d’AQMI détenus au Mali
18 décembre 2009 : enlèvement de 2 Italiens en Mauritanie et leur chauffeur ivoirien
24 juillet 2010 : assassinat de Michel Germaneau
Aout 2010 : 3 militaires tués et en Algérie par l'explosion d'une bombe au passage de leur convoi près de Baghlia, à l'Est d'Alger
15 septembre 2010 : Enlèvement au Niger de 5 Français et leurs 2 accompagnateurs
Recrutement d’AQMI: Bien que beaucoup de cadres du groupe ont exprimé leur réticences quant à s’aligner sur Al Qaïda et adopter ses stratégies, il y a pourtant des signes que le rapprochement avec Al Quaïda a aidé le groupe à recruter des jeunes hommes qui voulaient combattre en Iraq et qu’ils ont ensuite utilisés pour des opérations locales. Par ailleurs comme les forces de la coalition quittent l’Irak il y a de fortes chances pour que des vétérans Algériens du conflit retournent au pays et complètent les forces d’AQMI.
AQMI opère dans le sud du désert. Les rapports soulignent que de nombreux endroits du Mali seraient des sanctuaires pour AQMI notamment Tombouctou et Kidal. Ces régions montagneuses offrent protection pour des camps d’entrainement Ces endroit sont aussi des lieux de vie pour les Touaregs (attention au amalgames trop rapides de nombreuses tensions existent aussi entre les Touaregs et AQMI).
Deux hypothèses permettent d’expliquer la descente d’AQMI dans l’espace saharo-sahélien : se rapprocher des réseaux de banditisme et donc obtenir de nouveaux financements et se mettre à l’abri de la répression de l’Etat algérien. Pour survivre le groupe a développé son action plus au Sud.