mardi 18 octobre 2016

Des armées africaines de plus en plus engagées sur le continent

En Somalie, au Mali, au Soudan ou encore en Centrafrique, les troupes africaines sont engagées dans des opérations de maintien de la paix. Cette situation est encouragée par les partenaires extérieurs. En effet, depuis le début des années 2000, l’africanisation de la sécurité sur le continent africain est devenue une priorité. Elle passe par un soutien à la construction de l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité (APSA).
Les chercheurs se sont aussi intéressés à ce phénomène. Néanmoins, la littérature qui porte sur les problématiques de maintien de la paix en Afrique, se penche principalement sur les pratiques internationales de soutien à l’APSA. Les recherches s’attardent essentiellement sur l’analyse des intérêts que les partenaires extérieurs (USA, UE, France, Chine, etc) ont de soutenir l’APSA et les moyens qu’ils mettent en œuvre. Or il est essentiel de se pencher également sur les raisons qui poussent les États africains à s’engager dans des missions de paix qui se distinguent de moins en moins de la guerre par leurs objectifs et leur mise en œuvre.

« L’épicentre du maintien de la paix »
À l’été 2016, 22 missions de paix internationales ou régionales sont déployées en Afrique. 99 395 personnels civils et en uniforme de l’ONU sont ainsi engagées dans des pays africains et 42,8 % de ces Casques bleus étaient envoyés par les pays africains. L’Union africaine mène également des opérations qui engagent près de 36 550 personnels du continent. Ces données font bien du continent africain un « épicentre du maintien de la paix ».
Premier constat qui s’impose, les principaux contributeurs de troupes se situent en Afrique de l’Est : Éthiopie, Ouganda, Burundi et Rwanda.
Participation des troupes africaines aux missions de l’ONU et de l’UA. DR, Author provided
Deuxième constat, la participation des troupes africaines aux opérations de paix est en augmentation. Un petit pays comme le Rwanda a une participation croissante depuis 2008, avec une forte implication au Soudan. En août 2016, l’Éthiopie se trouve être le premier contributeur de l’ONU, avec 8 326 personnels engagés, auxquels il convient d’ajouter les 4 400 personnels intégrés à la mission de l’Union africaine en Somalie (soit plus de 12 000 personnels déployés).
Le Burkina Faso, le Sénégal et le Tchad connaissent également de fortes hausses avec leur participation à la Mission de l’ONU au Mali (Minusma). En revanche, les puissances continentales comme le Nigéria ou l’Afrique du Sud ont diminué leur contribution, souvent pour des raisons d’instabilité interne.

Une quête d’autorité

Les opérations de paix sont un moyen de cultiver une image de « fournisseur de sécurité » et d’être reconnu comme tel par les puissances internationales et le système des Nations unies. En fournissant des troupes au sein des opérations de paix les États africains accèdent aux organes de commandement et de décision de ces organisations et accroissent, ainsi, leur influence en leur sein.
Ainsi, lors d’une réunion de l’Assemblée générale des Nations unies, le 28 juin 2016, les États membres ont élu l’Éthiopie pour siéger au Conseil de sécurité de l’ONU pour une période de deux ans, à partir du 1er juin 2017. De même, le Rwanda ou encore le Tchad sont reconnus pour leur maîtrise des rouages des systèmes onusiens ou africains grâce à leur engagement militaire.
La participation croissance aux opérations de paix s’inscrit également dans des contextes politiques particuliers de renforcement de l’autoritarisme. On constate ainsi que les quatre premiers contributeurs de troupes sont des régimes autoritaires dont les armées sont qualifiées d’« armées post-libération ». En Éthiopie, au Rwanda et en Ouganda, les armées sont en effet issues de mouvements de libération nationale. Leurs structures militaires restent dominées par des vétérans de la guerre de libération issus du Front patriotique pour le Rwanda, du Mouvement de résistance nationale en Ouganda ou par des vétérans tigréens en Éthiopie.
Jonathan Fisher qualifie ces officiers issus de mouvements de libération nationale et ayant trouvé une nouvelle fonction dans leurs armées nationales respective, de « sécurocrates post-libération ». Ce chercheur britannique mène des études pour comprendre comment et pourquoi les OMP (Opérations de maintien de la paix) sont un bon moyen de les maintenir éloignés des politiques de sécurité nationale.

Une quête de légitimité

Dans le même temps, la participation à ces missions permet à ces pays de faire diminuer la pression de démocratisation de la part des États occidentaux et des institutions internationales. Ces opérations offrent aux États un moyen de recouvrer leur souveraineté et de poursuivre leur propre agenda. Elles sont également un moyen de légitimer leur pouvoir politique et de se rendre indispensable aux regards des acteurs extra-africains.
Atelier de formation pour les troupes de l’Amisom, la force déployée en Somalie. Amisom/Flickr
Cette forte implication militaire, à travers la participation aux opérations de maintien de la paix permet aux dirigeants d’accroître leur emprise sur la vie politique et économique de leur pays sans craindre de contestations de leurs partenaires internationaux. Le discours sur la sécurité, dans un contexte de lutte contre le terrorisme, a supplanté celui sur la démocratie des années 1990, et devient une rente économique supplémentaire.
Au Tchad, le « métier des armes » a acquis, au gré d’une série de conflits internes, un poids historique, social et économique qui ne favorise pas la stabilité du pays. Son intervention au Mali a façonné son image de puissance militaire régionale et ses atouts tactiques en milieu sahélien, elle a contribué à valoriser l’identité militaire du pays et à « occuper les troupes » en dehors du territoire.

La professionnalisation des forces armées

Si la littérature s’est longtemps concentrée sur le rôle négatif joué par les armées africaines dans les crises sécuritaires, en soulignant les clivages, le népotisme, la corruption, son rôle politique notamment dans les coups d’État, les répressions étatiques et les guerres civiles, rares sont les travaux qui cherchent à comprendre la manière dont les États organisent leurs moyens militaires pour faire la guerre. La professionnalisation des armées est le défi principal que doivent relever les États contributeurs de troupes dans les opérations de paix.
Le déploiement de contingents dans le cadre d’opérations de paix permet d’acquérir un savoir-faire délivré par les partenaires extérieurs comme les États-Unis au travers de l’Africa Contingency Operations Training & Assistance (ACOTA). Ce programme offre des entraînements opérationnels avant projection. Il en va de même pour les détachements d’instruction opérationnelle (DIO) et technique (DIT) des Éléments français au Sénégal (EFS).
Les déploiements dans les opérations de paix nécessitent également un appui logistique et des équipements répondant aux normes onusiennes. Le coût de ces matériels, par exemple, est pris en charge par les Nations unies via un mécanisme de compensation qui permet ainsi aux armées de renouveler leur matériel. Une partie de l’équipement peut aussi être cédée par des partenaires. Ainsi, l’équipement burundais en Somalie a été donné par les États-Unis avec charge de l’entretien aux Burundais. Les OMP peuvent donc permettre de renouveler le parc terrestre et acquérir ainsi des matériels neufs.
La participation aux opérations de paix participe donc de la professionnalisation des armées et, dans certains cas, soutient la résolution des conflits civils dans le pays contributeur de troupes. Elle peut induire un effet d’entraînement pour la réforme du secteur de la sécurité offert par une perspective d’engagement opérationnel d’unité.

Acheter la paix sociale dans les armées

Tant au Rwanda qu’au Burundi des enseignements peuvent être tirés sur la façon dont une armée « mono-ethnique » est parvenue, ou essaie, de transformer sa base sociale. La participation aux opérations extérieures a favorisé ces transformations internes.
un soldat de la force multinationale à Kismayo (Somalie) en 2012. Amisom/Flickr
Ainsi, le déploiement de contingents à l’extérieur du territoire a permis à l’armée burundaise d’intégrer dans la nouvelle armée les miliciens des groupes armés majoritairement Hutu et les soldats de l’ancien régime, les ex-Forces Armées Burundaises (FAB) majoritairement tutsi. Cette intégration a longtemps été considérée comme une réussite de l’accord de paix d’Arusha (Tanzanie), signé en 2000, alors qu’elle était entre 1966 et 1993 le principal centre de pouvoir. La crise électorale a mis en lumière ces divisions et l’armée burundaise est au cœur de la crise politique.
La participation aux opérations de paix permet également aux régimes politiques d’acheter la paix sociale au sein des armées. Néanmoins, la sociabilisation des troupes avec celles des autres contingents trouve aussi ses limites. En effet, pour Maggie Dwyer il existerait, depuis le début des années 1990, en Afrique de l’Ouest, une douzaine de cas de mutineries liés à la participation de troupes africaines à des opérations de maintien de la paix.
Ces mutineries trouvent leurs racines dans des mécontentements liés au manque d’équipements et de formation, aux procédures régissant les déploiements et au sentiment d’injustice dans la répartition des paies en comparaison avec le traitement de soldats d’autres nationalités. Elles apparaissent alors que de plus en plus d’États africains envoient des troupes dans les opérations de l’ONU ou de l’UA.
Un nombre croissant d’armées africaines deviennent des contributeurs significatifs aux missions de paix des Nations Unies ou d’autres organisations. De fait, elles sont devenues des acteurs internationaux essentiels dans la résolution des conflits. Un nouveau champ de recherche s’ouvre pour comprendre comment les politiques publiques nationales sont affectées par cette évolution sécuritaire. Il s’agit de mettre à jour les processus singuliers de réappropriation ou de contournement et comprendre comment les doctrines et les politiques de défense s’adaptent aux conflits qu’entendent réguler les opérations de paix. En somme, nous devons comprendre la manière dont les États organisent leurs moyens militaires pour faire la paix et la guerre.

Cette article a été publié sur le site The Conversation et LeMonde

vendredi 6 mai 2016

Élections présidentielles à Djibouti : enjeux et défis d’une réélection annoncée

Nous publions une note dans le Bulletin du Centre FrancoPaix (vidéo de présentation ICI et site ICI)  créé par Bruno Charbonneau en janvier 2016 au sein de la Chaire Raoul Dandurand (UQAM). La note eut être lue dans son intégralité ICI 

 Les principaux points sont : 
  • Ismaël Omar Guelleh a été réélu le 8 avril 2016, dès le premier tour, pour un quatrième mandat avec 87,07% de voix exprimées et un taux de participation de 68,96%
  • L’existence de six candidats dans le jeu électoral apparaît comme une compétitivité de façade. Ce modèle d’élections, à parti dominant et non compétitif, est particulièrement répandu dans les pays en développement.
  • Pour le régime, de nombreux défis restent à relever : préparer la succession du président, et les élections législatives de 2018, offrir au pays une croissance et du développement.
  • Le discours sur l’ordre et la stabilité du président en place, dans une région conflictuelle, lui permet de faire diminuer la pression de démocratisation des États occidentaux et des institutions internationales.

jeudi 28 avril 2016

Djibouti, un petit pays au coeur de l'actualité


Après trois ans de crise entre le régime et l’opposition de l’Union pour le Salut National (USN) - coalition de huit partis née après les élections législatives de 2013 - Ismaël Omar Guelleh a été réélu le 8 avril 2016, dès le premier tour, pour un quatrième mandat avec 87,07% de voix exprimées et un taux de participation de 68,96%. Le Président réélu peut s’appuyer sur une réelle légitimité électorale pour entamer son nouveau quinquennat et la situation politique djiboutienne semble se normaliser. Cependant, plusieurs facteurs tempèrent cette vision optimiste, nous y revenons dans les interviews suivantes: 
- Émission Cap Océan sur RFI le dimanche 10 avril : ICI 

Le régime djiboutien revendique une certaine stabilité, une « ressource » qu'il vend aux nombreux États hébergés sur son territoire (France, États-Unis, Union européenne, Italie, Japon, et bientôt la Chine et l’Arabie Saoudite). Ce discours sur l’ordre et la stabilité dans une région conflictuelle lui permet de faire diminuer la pression démocratisation des États occidentaux et des institutions internationales. Les élites djiboutiennes présentent leur pays comme un rempart contre « l’anarchie à venir ». La stabilité du régime et sa force coercitive sont particulièrement appréciés au regard des voisins dits « faillis ». Nous revenons également sur cette analyse ci-dessous : 

- Émission Appels sur l'actualité sur RFI, le jeudi 21 avril. Nous répondons à deux questions : 
Quel est l'intérêt de la Chine de s'installer militairement dans cette région de l'Afrique ? et Comment l'apparition de la Chine à Djibouti est-elle perçue par la France ? Les Etats-Unis ? L'émission est à réécouter ICI  
 Sur la présence chinoise on lira également : 
- Émission Les enjeux internationaux sur France Culture le 8 avril sur le rôle de Djibouti dans la Corne de l'Afrique : ICI 
 



mardi 15 mars 2016

ISA : Learning from the South? The Horn of Africa as a Litmus Test for IR Theories and Frameworks

L’International Studies Association (ISA) organise chaque année une convention réunissant plus de 5000 internationalistes. L'édition 2016 se déroule du 16 au 19 mars à Atlanta (Géorgie/Etats-Unis). Un panel est organisé samedi 19 sur la Corne de l'Afrique : "Learning from the South? The Horn of Africa as a Litmus Test for IR Theories and Frameworks". Vous trouverez la présentation de ce panel ci-dessous. Nous vous invitons à consulter le programme de cette convention dont la thématique cette année est : "Exploring Peace".

Chair: 

Chair : Terrence P. Lyons (George Mason University)

Discussant: Rita Abrahamsen (University of Ottawa)

Abstract :

Some argue that International Relations (IR) are about the politics of powerful states and that, as a consequence, there is an African exceptionalism which explains IR’s inability to accurately address African experiences. Indeed, Africa has often been neglected by the different theoretical approaches to IR and more generally by the discipline. This is surprising. In contrast, this panel shows that Africa is a productive laboratory for researchers in IR and security studies. While recent events have shifted global attention toward the Sahara, we invite scholars and practitioners to turn their gaze to the Horn of Africa. This region gathers some of the most enduring interlinked political rivalries within the International System. Importantly, it challenges and sometimes clarifies powerful concepts developed by the field (e.g. hegemonic stability, regional security complex, security dilemma, failed states, small state, sovereignty, etc). Thus, the contributors to the panel seek to show that the Horn of Africa is pertinent not only for area specialists but also constitutes a remarkable ground for fieldwork and theory-testing of both old and new approaches. Overall, the panel aims to initiate a new research agenda, which combines deductive and inductive approaches.

Papers:

The Lone State: Eritrea's Foreign Policy: Jean-Baptiste Jeangene Vilmer (Sciences Po Paris)
Abstract : Eritrea is a totalitarian garrison state. As Hannah Arendt described it, totalitarianism is a quasi-scientific experiment that requires a controlled environment: the country is a laboratory. The first step is therefore to isolate the nation, hermetically sealing it off from the outside world. Controlling the environment allows the production of controllable subjects. Through this process, which prevents those outside the country form entering and those within the country from leaving, an important step to pursue a bellicose foreign policy, waging war to justify the closure of borders and curtailments of liberties. Based on a fieldwork and various primary sources, the purpose of this article is twofold: on the one hand to consolidate and update comprehension of Eritrea’s foreign policy, given the relative scarcity of existing secondary literature; and on the other hand, to present Eritrea’s foreign policy as a means to the totalitarian end of closing off the country.
 
Djibouti as a Small State: Challenges and Limits of an Extraversion Strategy : Sonia Le Gouriellec (IRSEM Institute For Strategic research Ecole militaire
Abstract :R. Patman describes the states in the Horn of Africa, and their building, as a "political metaphor". This is especially true for Djibouti. This small state – indeed a microstate even if there is no broad consensus on both definitions – survives in a region where the numbers of states and borders has largely increased. The demarcation of their borders is therefore a very sensitive issue. Since Djibouti’s independence in 1977, its sovereignty has been a subject of discussion. As a consequence, Djibouti has developed strategies to survive and exist in the region. Based on fieldwork (several research trips), this paper aims to explore the dimensions of this strategy and its evolution between independence and today. How does this small state make use of the resources offered by the international system to survive and become a regional actor? What are the threats that jeopardize this strategy?  How can Djibouti contribute to the small states studies?
The Little Big Man of Eastern Africa: Explaining the Politics of Personalities in Uganda’s Relations with the Two Sudans: Øystein Rolandsen (Peace Research Institute Oslo)
Abstract :Uganda relations with its neighbouring countries and its role in regional co-operation has under Museveni (1986- ) undergone a remarkable transformation. When the rebel movement NRM/A sized power Uganda was a weak country riven by civil war, but it soon changed into a regional bully and has now become a major power within the eastern Africa/Horn of Africa security complex. Friends and foes of the Government of Uganda attribute this change to the personality of the President and his foreign policy ambitions. This runs counter to theories emphasising structural factors when explaining the actions of states in IR. Using Uganda and its relations with the two Sudans as a case this paper argues that the personal power vested in leaders within informal neo-patrimonial nettworks give heads of state considerable room to manoeuvre when handling foreign affairs. But the checks and balances of patron-client relationships constrains the actions of the leader.
 
Security Threats and Alliance Tradeoffs in the Horn of Africa: Ethiopia Vis a Vis Somaliland and Somalia: Andualem Belaineh (PhD student at Institute for Peace & Security Studies, Addis Ababa University, Ethiopia)
Abstract : Some argue that International Relations (IR) are about the politics of powerful states and that, as a consequence, there is an African exceptionalism which explains IR’s inability to accurately address African experiences. Indeed, Africa has often been neglected by the different theoretical approaches to IR and more generally by the discipline. This is surprising. In contrast, this panel shows that Africa is a productive laboratory for researchers in IR and security studies. While recent events have shifted global attention toward the Sahara, we invite scholars and practitioners to turn their gaze to the Horn of Africa. This region gathers some of the most enduring interlinked political rivalries within the International System. Importantly, it challenges and sometimes clarifies powerful concepts developed by the field (e.g. hegemonic stability, regional security complex, security dilemma, failed states, small state, sovereignty, etc). Thus, the contributors to the panel seek to show that the Horn of Africa is pertinent not only for area specialists but also constitutes a remarkable ground for fieldwork and theory-testing of both old and new approaches. Overall, the panel aims to initiate a new research agenda, which combines deductive and inductive approaches.


 

Appel à comunication : Les nouveaux visages des armées africaines

L'IRSEM organise les 5 et 6 octobre prochain une conférence internationales sur les armées africaines dont les axes de recherches retenus ainsi que les modalités de participation sont décrites ci-dessous. 


Objectifs de la conférence : Alors que les armées africaines au sud du Sahara ont inspiré récemment des travaux de recherche dans plusieurs domaines des sciences humaines et sociales, elles se trouvent au centre de nouveaux enjeux, avec le développement du terrorisme djihadiste sur fond de renouveau de la concurrence entre puissances internationales et d’intensification des défis liés à la gouvernance. Si les acteurs (semi)privés ou informels sont privilégiés dans ces travaux, les forces de sécurité étatiques et plus particulièrement les armées restent mal connues (Debos et Glasman, 2012). Or, les différentes armées d’Afrique subsaharienne sont aujourd’hui dans une période de transition entre un modèle issu des indépendances et un modèle plus adapté à la conflictualité actuelle. Ces armées incarnent la souveraineté des Etats, bien qu’elles soient parfois négligées par le pouvoir politique et qu’elles servent occasionnellement d’outil de développement ou de maintien de l’ordre. Elles apparaissent depuis la fin de la Guerre froide de plus en plus sollicitées pour améliorer la prévention, contribuer à la résolution des crises sécuritaires sur le continent africain et protéger ou garantir l’évolution politique vers des formes plus démocratiques. 
Les rapports que les armées africaines entretiennent avec le pouvoir politique constituent une question centrale. Celle-ci a fait l’objet de travaux anciens mais qui restent encore pertinents (Huntington, 1965). Les armées peuvent assurer, à la demande des civils, la transition démocratique (Aka, 1999 ; Bat, 2015) ou s’insérer plus brutalement dans le jeu politique (Moshe 1973 ; McGowan, 2003 ; Decalo, 1989 ; Kandeh, 2004). Enfin, leur formation est devenue le théâtre d’une rivalité inédite entre les puissances internationales (France, Royaume-Uni, États-Unis, Russie, Chine). Cela ne manquera pas d’avoir des conséquences sur les choix économiques et politiques des États qui abritent de nouvelles bases occupées par des forces étrangères ou s’engagent dans des coopérations de défense. Pour les États qui ont un lien historique avec le continent africain, cette nouvelle situation suscite des défis majeurs, tant au niveau politique que stratégique. 
Organisée par l’IRSEM - dont la vocation vise à rapprocher monde scientifique et monde militaire, mais aussi à produire des réflexions innovantes à même de nourrir le débat stratégique - cette conférence internationale a pour objet d’examiner les transformations des armées d’Afrique subsaharienne au cours des six dernières décennies, à la fois dans une perspective comparatiste (entre pays, entre périodes chronologiques, …) mais aussi et surtout pour comprendre l’évolution des relations entre les armées africaines et les sociétés dont elles sont issues. Trois groupes de question peuvent être distingués. 

1) La naissance et la formation des armées africaines. Un premier groupe de questions abordera la naissance et la formation des armées africaines, c’est-à-dire comment les jeunes États africains souverains ont organisé leur armée nationale. Il s’agit d’étudier le lien entre la construction de ces armées et la formation de l’État, leur capacité à assumer leurs missions et leur contribution au développement intérieur depuis les indépendances. Plusieurs thèses s’affrontent sur les liens entretenus entre les armées africaines et le pouvoir politique. Ont-elles été des spectateurs passifs des processus d’indépendance et de construction des États (Martin, 1975), ou ont-elles joué un rôle moteur dans la modernisation des structures héritées de la période coloniale (Lefever, 1970) ? Les nouvelles armées nationales ont souvent été considérées comme le pur produit de la période coloniale. Peu de recherches sur la continuité entre les organisations militaires pré-coloniales et sur les systèmes militaires issus des indépendances ont été menées. Or Ogot (1972) a montré qu’il était difficile de comprendre la nature et le rôle des militaires dans l’Afrique post-coloniale sans étudier la nature et le rôle du pouvoir militaire dans l’Afrique pré-coloniale et coloniale, et notamment pourquoi même les régimes civils modernes en Afrique doivent compter sur les militaires pour survivre. De nouvelles monographies sur les armées africaines par exemple ivoirienne (Banga, 2014), mauritanienne (Evrard, 2015) permettent un nouveau regard sur la naissance de ces armées et viennent s’ajouter à d’autres plus anciennes – Robin Luckham sur l’armée nigérienne (1970) ou Emmanuel Ela Ela sur le Cameroun (2000) par exemple – pour former un corpus désormais conséquent. Dans le cadre de ce premier groupe de questions, des projets de communication peuvent être proposés sur la contribution des militaires aux indépendances, la création des armées africaines, le rôle des militaires dans les nouveaux États souverains. L’étude structuraliste des armées africaines – l’organisation, l’équipement, le commandement et le financement – sont également des aspects importants de la manière dont s’est opérée la transition sécuritaire en Afrique sub-saharienne. Nous porterons une attention particulière aux communications traitant des pratiques quotidiennes et de la formation notamment des soldats - une perspective souvent négligée dans les recherches sur les armées africaines (Hutchful et Bathily, 1998) – et aux travaux relatifs à la production de normes qu’elles soient issues de pratiques coloniales ou post-coloniales.  
2) Les armées africaines face aux influences extérieures. De plus, comme ces armées ont principalement été formées grâce à l’aide fournie par les acteurs extérieurs, la conférence entend, dans un second temps, examiner les questions liées aux influences extérieures à la fois lors de leur formation et de leurs transformations. Nous souhaitons étudier les relations avec les anciennes puissances coloniales, ou avec les nouveaux acteurs extra continentaux (Chine, Inde, Turquie, Japon, États-Unis, Portugal, Union Européenne, Royaume-Uni, Russie, etc.), mais également les liens entre les puissances continentales (Afrique du Sud, Éthiopie, Nigeria, etc). Comment les différents programmes multinationaux et bilatéraux participent à la réforme des armées africaines ? Quelles normes produisent-ils ? Les armées ont été recomposées dans le cadre de la réforme des secteurs de la sécurité (RSS) qui nécessite des recherches renouvelées (Bryden and Scherrer, 2012; Sedra, 2010 ; Egnell and Haldén, 2009). Comment sont planifiés et mis en œuvre les efforts de RSS, le concept de « développement des institutions de défense » (Rand Corporation, 2016) s’y substitue-t-il ? La RSS serait-elle devenue un nouveau paradigme sécuritaire après celui des équilibres financiers (Châtaigner, 2006) ? Quels sont les résultats des politiques d’assistance et de soutien militaire ? Est-il efficace de renforcer plutôt les institutions civiles ou d’instruire les combattants ou encore de former le commandement, professionnaliser la logistique et le soutien afin de donner aux armées africaines la structure d’armées modernes (Doss, Herbst et Mills, 2013) ? La conférence s’intéressera aussi à la coopération entre armées africaines, à différents niveaux (entrainement, formation, opérations). Il s’agit de mieux comprendre comment les armées africaines tissent des réseaux de coopération, qui complètent ou concurrencent les schémas classiques de la coopération militaire dans cette région. Quels rôles y tiennent l’organisation continentale, les Communautés économiques régionales (CER) ou les organisations ad hoc ?  
3) L’adaptation des armées africaines. Enfin, les armées africaines ont aussi mué sous la pression de demandes relatives aux conflits extérieurs et intérieurs. Elles se sont donc adaptées à l’évolution de la nature et de la forme de la conflictualité africaine (Straus, 2012 ; Abrahamsen, 2013). Moins d’une centaine d’opérations de maintien de la paix ont été déployées sur le continent depuis 1990 et la majorité des États africains ont fourni des troupes à ces opérations (Williams, 2014). Elles ont également dû composer avec l’apparition de nouveaux acteurs dans la gestion de crise et la résolution des conflits : APSA, CER, CARIC (Franke, 2006 ; Warner, 2015). Les armées africaines évoluent également sous le coup de facteurs politiques internes et externes (Martin, 1989). L’environnement social et l’évolution de la place du militaire dans la société, dans le système économique ou politique contribuent à façonner un nouveau visage aux armées africaines. Nous nous intéresserons donc dans cette dernière partie aux problématiques liées à l’intégration des armées africaines au sein des forces multinationales (Fisher, 2012 ; Wilén, Ambrosetti et Birantamije, 2015) ainsi qu’aux retours d’opérations qui soulèvent des enjeux sécuritaires inattendus pour certains États pourvoyeurs de contingents de maintien de la paix (Dwyer, 2015). Nous attendons également des propositions de communication sur le rôle des armées dans la résolution des conflits internes : par l’intégration des combattants au sein d’une nouvelle armée nationale, dans le cadre des programmes de désarmement, démobilisation et réintégration, une approche encore relativement peu traitée (Wilén, 2015). Ce colloque international sera donc consacré à l’évolution des armées d’Afrique subsaharienne depuis les indépendances. Il vise ainsi à une meilleure compréhension du fait militaire, des armées et de ceux qui les composent. Il est pensé dans une perspective pluridisciplinaire et diachronique. Nous attendons des propositions de communications en sciences politiques, relations internationales, histoire, économie, sociologie, anthropologie, géographie, etc. Nous accorderons une attention particulière aux approches comparatistes, et aux communications s’appuyant sur des études de terrain. Une publication des communications suivra la conférence.  

Proposition de communication : Les propositions de communication (500 mots maximum) peuvent porter soit sur une communication individuelle soit proposer un panel comprenant quatre communications sur un des thèmes retenus pour le colloque. Chaque proposition de communication doit être accompagnée d’une biographie. Elle peut être soumise en français ou en anglais. Elle doit également préciser si l’auteur sollicite une aide de l’IRSEM en ce qui concerne son voyage et/ou son séjour à Paris. Le tout doit être adressé à : Sonia Le Gouriellec (sonia.le-gouriellec@defense.gouv.fr) et Jérôme de Lespinois (jerome.de-lespinois@defense.gouv.fr).  

Calendrier : 10 avril 2016: date limite pour l’envoi des propositions de communication. 1er juin 2016: notification aux auteurs des propositions de communication retenues. 15 septembre 2016 : envoi des versions finales des articles retenus par les coordinateurs et le comité scientifique. 5 et 6 octobre 2016 : conférence internationale « Les nouveaux visages des armées africaines » à l’École militaire (Paris). 
Bibliographie
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