En Somalie, au Mali, au Soudan ou encore en Centrafrique, les troupes
africaines sont engagées dans des opérations de maintien de la paix.
Cette situation est encouragée par les partenaires extérieurs. En effet,
depuis le début des années 2000, l’africanisation de la sécurité sur le
continent africain est devenue une priorité. Elle passe par un soutien à
la construction de l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité
(APSA).
Les chercheurs se sont aussi intéressés à ce phénomène. Néanmoins, la
littérature qui porte sur les problématiques de maintien de la paix en
Afrique, se penche principalement sur les pratiques internationales de
soutien à l’APSA. Les recherches s’attardent essentiellement sur
l’analyse des intérêts que les partenaires extérieurs (USA, UE, France,
Chine, etc) ont de soutenir l’APSA et les moyens qu’ils mettent
en œuvre. Or il est essentiel de se pencher également sur les raisons
qui poussent les États africains à s’engager dans des missions de paix
qui se distinguent de moins en moins de la guerre par leurs objectifs et
leur mise en œuvre.
« L’épicentre du maintien de la paix »
À l’été 2016, 22 missions de paix internationales ou régionales sont déployées en Afrique. 99 395 personnels civils et en uniforme
de l’ONU sont ainsi engagées dans des pays africains et 42,8 % de ces
Casques bleus étaient envoyés par les pays africains. L’Union africaine
mène également des opérations qui engagent près de 36 550 personnels du
continent. Ces données font bien du continent africain un « épicentre du maintien de la paix ».
Premier constat qui s’impose, les principaux contributeurs de troupes
se situent en Afrique de l’Est : Éthiopie, Ouganda, Burundi et Rwanda.
Deuxième constat, la participation des troupes africaines aux opérations de paix est en augmentation.
Un petit pays comme le Rwanda a une participation croissante depuis
2008, avec une forte implication au Soudan. En août 2016, l’Éthiopie se
trouve être le premier contributeur de l’ONU, avec 8 326 personnels
engagés, auxquels il convient d’ajouter les 4 400 personnels intégrés à
la mission de l’Union africaine en Somalie (soit plus de 12 000
personnels déployés).
Le Burkina Faso, le Sénégal et le Tchad connaissent également de
fortes hausses avec leur participation à la Mission de l’ONU au Mali (Minusma).
En revanche, les puissances continentales comme le Nigéria ou l’Afrique
du Sud ont diminué leur contribution, souvent pour des raisons
d’instabilité interne.
Une quête d’autorité
Les opérations de paix sont un moyen de cultiver une image de
« fournisseur de sécurité » et d’être reconnu comme tel par les
puissances internationales et le système des Nations unies. En
fournissant des troupes au sein des opérations de paix les États
africains accèdent aux organes de commandement et de décision de ces
organisations et accroissent, ainsi, leur influence en leur sein.
Ainsi, lors d’une réunion de l’Assemblée générale des Nations unies,
le 28 juin 2016, les États membres ont élu l’Éthiopie pour siéger au
Conseil de sécurité de l’ONU pour une période de deux ans, à partir du 1er
juin 2017. De même, le Rwanda ou encore le Tchad sont reconnus pour
leur maîtrise des rouages des systèmes onusiens ou africains grâce à
leur engagement militaire.
La participation croissance aux opérations de paix s’inscrit
également dans des contextes politiques particuliers de renforcement de
l’autoritarisme. On constate ainsi que les quatre premiers contributeurs
de troupes sont des régimes autoritaires dont les armées sont
qualifiées d’« armées post-libération ». En Éthiopie, au Rwanda et en
Ouganda, les armées sont en effet issues de mouvements de libération
nationale. Leurs structures militaires restent dominées par des vétérans
de la guerre de libération issus du Front patriotique pour le Rwanda,
du Mouvement de résistance nationale en Ouganda ou par des vétérans
tigréens en Éthiopie.
Jonathan Fisher
qualifie ces officiers issus de mouvements de libération nationale et
ayant trouvé une nouvelle fonction dans leurs armées nationales
respective, de « sécurocrates post-libération ». Ce chercheur
britannique mène des études pour comprendre comment et pourquoi les OMP
(Opérations de maintien de la paix) sont un bon moyen de les maintenir
éloignés des politiques de sécurité nationale.
Une quête de légitimité
Dans le même temps, la participation à ces missions permet à ces pays
de faire diminuer la pression de démocratisation de la part des États
occidentaux et des institutions internationales. Ces opérations offrent
aux États un moyen de recouvrer leur souveraineté et de poursuivre leur
propre agenda. Elles sont également un moyen de légitimer leur pouvoir
politique et de se rendre indispensable aux regards des acteurs
extra-africains.
Cette forte implication militaire, à travers la participation aux
opérations de maintien de la paix permet aux dirigeants d’accroître leur
emprise sur la vie politique et économique de leur pays sans craindre
de contestations de leurs partenaires internationaux. Le discours sur la
sécurité, dans un contexte de lutte contre le terrorisme, a supplanté
celui sur la démocratie des années 1990, et devient une rente économique
supplémentaire.
Au Tchad, le « métier des armes »
a acquis, au gré d’une série de conflits internes, un poids historique,
social et économique qui ne favorise pas la stabilité du pays. Son
intervention au Mali a façonné son image de puissance militaire
régionale et ses atouts tactiques en milieu sahélien, elle a contribué à
valoriser l’identité militaire du pays et à « occuper les troupes » en
dehors du territoire.
La professionnalisation des forces armées
Si la littérature s’est longtemps concentrée sur le rôle négatif joué
par les armées africaines dans les crises sécuritaires, en soulignant
les clivages, le népotisme, la corruption, son rôle politique notamment
dans les coups d’État, les répressions étatiques et les guerres civiles,
rares sont les travaux qui cherchent à comprendre la manière dont les
États organisent leurs moyens militaires pour faire la guerre. La
professionnalisation des armées est le défi principal que doivent
relever les États contributeurs de troupes dans les opérations de paix.
Le déploiement de contingents dans le cadre d’opérations de paix
permet d’acquérir un savoir-faire délivré par les partenaires extérieurs
comme les États-Unis au travers de l’Africa Contingency Operations
Training & Assistance (ACOTA). Ce programme offre des entraînements
opérationnels avant projection. Il en va de même pour les détachements
d’instruction opérationnelle (DIO) et technique (DIT) des Éléments
français au Sénégal (EFS).
Les déploiements dans les opérations de paix nécessitent également un
appui logistique et des équipements répondant aux normes onusiennes. Le
coût de ces matériels, par exemple, est pris en charge par les Nations
unies via un mécanisme de compensation qui permet ainsi aux armées de
renouveler leur matériel. Une partie de l’équipement peut aussi être
cédée par des partenaires. Ainsi, l’équipement burundais en Somalie a
été donné par les États-Unis avec charge de l’entretien aux Burundais.
Les OMP peuvent donc permettre de renouveler le parc terrestre et
acquérir ainsi des matériels neufs.
La participation aux opérations de paix participe donc de la
professionnalisation des armées et, dans certains cas, soutient la
résolution des conflits civils dans le pays contributeur de troupes.
Elle peut induire un effet d’entraînement pour la réforme du secteur de
la sécurité offert par une perspective d’engagement opérationnel
d’unité.
Acheter la paix sociale dans les armées
Tant au Rwanda qu’au Burundi des enseignements peuvent être tirés sur
la façon dont une armée « mono-ethnique » est parvenue, ou essaie, de
transformer sa base sociale. La participation aux opérations extérieures
a favorisé ces transformations internes.
Ainsi, le déploiement de contingents à l’extérieur du territoire a
permis à l’armée burundaise d’intégrer dans la nouvelle armée les
miliciens des groupes armés majoritairement Hutu et les soldats de
l’ancien régime, les ex-Forces Armées Burundaises (FAB) majoritairement
tutsi. Cette intégration a longtemps été considérée comme une réussite
de l’accord de paix d’Arusha (Tanzanie), signé en 2000, alors qu’elle
était entre 1966 et 1993 le principal centre de pouvoir. La crise électorale a mis en lumière ces divisions et l’armée burundaise est au cœur de la crise politique.
La participation aux opérations de paix permet également aux régimes
politiques d’acheter la paix sociale au sein des armées. Néanmoins, la
sociabilisation des troupes avec celles des autres contingents trouve
aussi ses limites. En effet, pour Maggie Dwyer
il existerait, depuis le début des années 1990, en Afrique de l’Ouest,
une douzaine de cas de mutineries liés à la participation de troupes
africaines à des opérations de maintien de la paix.
Ces mutineries trouvent leurs racines dans des mécontentements liés
au manque d’équipements et de formation, aux procédures régissant les
déploiements et au sentiment d’injustice dans la répartition des paies
en comparaison avec le traitement de soldats d’autres nationalités.
Elles apparaissent alors que de plus en plus d’États africains envoient
des troupes dans les opérations de l’ONU ou de l’UA.
Un nombre croissant d’armées africaines deviennent des contributeurs
significatifs aux missions de paix des Nations Unies ou d’autres
organisations. De fait, elles sont devenues des acteurs internationaux
essentiels dans la résolution des conflits. Un nouveau champ de
recherche s’ouvre pour comprendre comment les politiques publiques
nationales sont affectées par cette évolution sécuritaire. Il s’agit de
mettre à jour les processus singuliers de réappropriation ou de
contournement et comprendre comment les doctrines et les politiques de
défense s’adaptent aux conflits qu’entendent réguler les opérations de
paix. En somme, nous devons comprendre la manière dont les États
organisent leurs moyens militaires pour faire la paix et la guerre.
Cette article a été publié sur le site The Conversation et LeMonde
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