mercredi 23 janvier 2013

Islam africain, un particularisme effectif ?



Alors que de nouveaux spécialistes du Sahel, de l'Afrique de l'Ouest ou encore de la Somalie, apparaissent un peu partout dans les médias ces derniers jours, les discours colportés font souvent état d'un "islam noir". Nous vous proposons ici d'analyser cette question. 



Tout d'abord, gardons-nous de toute analyse qui donnerait une représentation fallacieuse de l’islam dans la région. Bien qu’il soit teinté de tradition animiste et soufie, rappelons comme René Otayek et Benjamin Soares (ouvrage à droite) que cet islam dit « africain » n’a pourtant pas autant de pratiques particulières qu’on le laisse souvent entendre. Le culte des saints, par exemple, est aussi répandu dans le reste du monde musulman. Néanmoins, il est vrai que dans des pays comme le Mali, la pratique religieuse inclus souvent des éléments extérieurs à l’islam (personnages mythiques non musulmans, recours au fétichisme…). Nous émettons donc des réserves face à ce qu’il est habituellement appeler un « islam africain » profondément soufi et perçu comme « notoirement syncrétique, tolérant et assimilationniste »  sur lequel les colonisateurs français et britanniques appuyaient leur pouvoir et que certains invoquent aujourd’hui afin d’endiguer la montée de l’islamisme dans la région. Cette vision manichéenne donne une image erronée d’une situation qui cache une réalité beaucoup plus complexe. Bien sûr, on observe de fortes divergences entre les sunnites, wahhabites et les traditionnalistes mais ces oppositions sont plus souvent des commodités de langage. L’islam dans la région est pluriel. Les solidarités familiales, ethniques… sont souvent plus actives que l’identification religieuse et sont entretenues par les structures sociales, économiques et politiques de la société. 

L’islam, comme le christianisme, ont réinvesti l’espace public profitant du vide politique laissé après des années d’autoritarisme et cette demande de sacré est aussi une demande de sens. Au Mali, Chérif Ousmane Haïdara, chef traditionnel d’un ordre soufi , a rempli les stades mais peu d'autres membres de l’élite musulmane ne bénéficient d’un public aussi important et n’ont réussi à se substituer aux chefs soufis, aux marabouts….


 Ainsi même si les discours des nouveaux intellectuels musulmans ont parfois des résonnances islamistes, cette visibilité est trompeuse par rapport à leur influence réelle dans la population. Au Mali, ils peuvent invoquer la Charia mais ils n’ont pas nécessairement de légitimité populaire et ne sont pas représentatifs. Par ailleurs, il ne faut pas confondre islamisme et jihadisme. De même tous les islamistes ne sont pas des radicaux. 

On lira avec intérêt : 

René Otayek  et Benjamin Soares, « Islam et politique en Afrique » in Islam, Etat et société en Afrique, Paris, Karthala, 2009

Benjamin Soares, « L’islam au Mali à l’ère néolibérale » in Islam, Etat et société en Afrique, Paris, Karthala, 2009

Louis Brenner, « La culture arabo-islamique au Mali », in Le radicalisme islamique au sud du Sahara. Da’wa, arabisation et critique de l’Occident, René Otayek (sous la dir.), Paris, Karthala, 1993

lundi 21 janvier 2013

Génaf : des jeunes au service de la solidarité internationale pour et avec l'Afrique


Génaf est une association créée en 2003 qui se donne pour objectif de participer au développement de l'Afrique de l'Ouest. Good Morning Afrika (via Bénédicte, l'une des membres de l'association) vous propose une interview croisée de Sarah Monnier, l’actuelle présidente de Génaf, de Grégoire Mialet, son ancien président et de Lauren Kharouni, chef du projet 2013.

 Olympiade avec les enfants

Comment est née cette association ? Depuis quand l'association existe-t-elle ?
Grégoire Mialet :
L’association Génaf existe depuis 2003. Elle est née de la volonté de plusieurs jeunes en France de se structurer pour organiser des projets solidaires en collaboration avec des jeunes africains.
Le cœur de notre fonctionnement repose sur notre indépendance qui nous permet une totale liberté d’action : laïque, apolitique et totalement autonome, l’association se veut un trait d’union entre tous les milieux sociaux afin de proposer à tous les jeunes qui désirent s’investir un espace d’expression et d’engagement solidaire.

Comment l'association est-elle organisée ? Quels sont les rôles de chacun ?
 Grégoire Mialet :
La taille de notre association nous permet de mettre en place une organisation clairement définie tout en conférant une certaine flexibilité dans le déroulé de nos actions. Ainsi, comme beaucoup d’associations, nous sommes régis par des statuts et par un règlement intérieur et les principales décisions sont validées par un conseil d’administration de six personnes. Néanmoins, nous tenons à investir chaque bénévole dans un rôle (événementiel, gestion des dons, organisation des activités pédagogiques, organisation d’un tournoi de sport, etc.) afin de le rendre acteur du projet et sommes sensibles au travail collaboratif et participatif plutôt qu’un fonctionnement hiérarchique pyramidal.
Il est important pour nous que chaque bénévole perçoive la touche personnelle qu’il peut apporter dans nos projets. Le rôle de l’association est de l’accompagner dans ses idées et ses prises d’initiatives.

Sarah Monnier :
Oui, par exemple, pour le choix du futur projet, nous avons beaucoup discuté des propositions qui nous avaient été faites entre bénévoles, puis, à partir des informations à notre disposition, nous avons pu, entre membres du conseil d’administration, faire le choix du meilleur projet à adopter. Nous tenons à ce que chaque bénévole puisse agir à sa manière, comme il le souhaite et surtout à hauteur de ses envies et de ses possibilités.


 Communauté rurale de N'Gogom

Qui sont vos bénévoles ? Pourquoi s'engagent-ils ?
 Sarah Monnier :
Les bénévoles de Génaf sont plutôt jeunes : nous avons entre 18 et 32 ans. Nous sommes étudiants, salariés, chômeurs, chefs d'entreprise, dans tous les secteurs. Certains s'engagent pour découvrir une autre façon de voyager et de découvrir les cultures africaines, d'autres pour participer à un projet qui leur semble juste et qui leur permet de mener une action solidaire. Quelques-uns encore y trouvent un excellent tremplin vers une professionnalisation dans le domaine de la solidarité internationale. 

Grégoire Mialet :
Cette diversité des parcours, des formations et des personnalités de nos bénévoles constitue la richesse de notre association et cimente les actions que nous organisons.

Comment arrivez-vous à mesurer l'impact de vos projets ?
   Grégoire Mialet :
Le suivi de nos projets est un point auquel nous accordons une attention très particulière. L’efficacité même de notre action dépend de notre capacité à faire en sorte que la population locale s’approprie les structures que nous avons mises en place et les systèmes organisationnels que nous avons proposés. Aussi, nous cherchons toujours à valider l’utilisation de ces structures plusieurs mois, voire plusieurs années après notre venue. Cela se matérialise par de nouveaux séjours sur place (en plus petit comité) et/ou par un suivi régulier avec nos partenaires.
Nous cherchons notamment à mesurer le plus précisément possible le nombre d’enfants touchés par les structures éducatives mises en place : salles de classes, espace numérisé, bibliothèque… Nous vérifions que les populations bénéficiaires correspondent aux populations que nous ciblons et notamment, que la parité garçon/fille est respectée. Ensuite, nous essayons de tracer le volume d’accès (nombre de livres prêtés, nombre de connexions) grâce au travail précieux de nos partenaires. Si ces processus peuvent se révéler complexes et coûteux en énergie, ils sont notre garantie d’une action efficace, cohérente et concertée.

 Le chantier

Quel est le prochain projet que vous allez mener ?

Lauren Kharouni :
Pour son cinquième projet, Génaf interviendra, à l’été 2013, dans le centre-est du Burkina Faso, dans la région de Koupéla. Le projet consiste à participer au développement d’un collège-lycée agricole situé en région rurale dans le village de Lioulgou en partenariat avec une association locale, à l’initiative du projet.
Sur place, les matinées des bénévoles seront consacrées à la construction d’un laboratoire, en partenariat avec un entrepreneur burkinabé. Les salles de classe étant déjà construites, et les terrains disponibles pour les cultures, la salle de laboratoire est indispensable à l’enseignement technique que souhaite prodiguer l’établissement. Semblable à une salle de chimie, cet espace permettra aux élèves de mener à bien des expériences, d’entreprendre des expérimentations sur les cultures et de comprendre, de manière pratique et concrète, l’ensemble du cycle productif agricole. Les après-midi seront, elles, dédiées aux activités culturelles organisées avec les enfants, en coopération avec une association de jeunes et des institutrices du village.

Good Morning Afrika traite des questions géopolitiques et stratégiques liées aux continent africain. Dans quelle mesure le travail mené par Génaf peut-il être rattaché à ces problématiques ?
Grégoire Mialet :
Depuis sa création, Génaf cherche à montrer avec humilité que les actions locales des petites associations ont autant d’importance que les programmes internationaux gérés par les gouvernements ou les grandes ONG : par leur connaissance du terrain, par leurs contacts proches de la population, par leur implication vertueuse, par leur diversité et leur multiplicité, ces associations mettent en place des projets simples mais adaptés dans des zones souvent non concernées par les programmes nationaux ou internationaux.
La complémentarité des acteurs qui travaillent pour le développement est un atout considérable qu’il nous faut savoir utiliser. Cela passe évidemment par un meilleur dialogue ainsi que par une volonté commune de toujours chercher à comprendre les besoins et les intérêts locaux.
Enfin, notre action doit être durable et, à ce titre, les acteurs qui interviennent dans ces pays (gouvernements, entreprises, exploitants, ONG, associations) doivent oser mettre en place des solutions innovantes, respectueuses de l’environnement, des droits humains et des traditions. C’est ce que Génaf, à son échelle, s’attachera à faire dans les projets à venir.

Lauren Kharouni :
Le travail de Génaf concerne la coopération. Ainsi, nos projets se doivent d’être en parfaite adéquation avec les besoins, contraintes et potentialités du territoire sur lequel nous intervenons. Cette adéquation est recherchée tant au niveau local des villages où sont menés les projets qu’à une échelle plus grande par l’intégration dans les axes de politique nationale pour s’assurer de la pérennité et l’efficacité du projet. La dimension géopolitique et stratégique de notre travail repose sur le choix de prioriser l’éducation et la formation, puisque lorsque celles-ci font défaut, cela a un impact sur le développement social et économique, les flux migratoires et les conflits.
La dimension géopolitique et stratégique du projet Burkina 2013 réside d’une part dans sa volonté d’une revalorisation de la ruralité et du travail agricole. D’autre part, il s’inscrit dans une stratégie de lutte contre l’insécurité et la dépendance alimentaires. En effet, le secteur primaire est au cœur de l'économie burkinabé. Or, la production de de produits destinés à l’exportation est privilégiée au détriment des cultures vivrières. De plus, les rendements agricoles sont très faibles, notamment du fait de techniques agraires nuisant à la fertilité des sols. Le manque de formation en est l’une des causes, et c’est par ce biais que Génaf a choisi d’agir. La question alimentaire soulève non seulement la question des ressources - produire plus et mieux - mais également des questions sociales - réduction des inégalités - et politiques - éviter les conflits. L'agriculture est ainsi un moteur de développement indéniable et est, de fait, au cœur des enjeux géopolitiques actuels.

Pour en savoir plus :
le site : ICI
le blog : ICI
la page Facebook : ICI

dimanche 20 janvier 2013

La guerre vu par les humoristes

C'est le week end, alors pour sourire un peu malgré les évènements, quelques caricatures qui circulent actuellement :

vendredi 18 janvier 2013

Triste prospective, triste Sahel


En 2002 l’Economist Intelligence Unit présentait le Mali comme « un rempart contre l’islam radical en Afrique[1] ».  La même année le gouvernement américain avertissait que ce pays pourrait être une « pépinière potentielle d’intégristes islamiques ». Presque dix ans plus tard le Mali est le nouveau cœur de la guerre globale contre le terrorisme lancée par les Occidentaux en 2001. L’accélération des évènements au Sahel ne peut qu’irriter les chercheurs et observateurs de la zone, peu entendus dans les médias et encore moins par le politique (nous pensons en particulier à notre collègue Abou Djaffar et à la pertinence de ses analyses).

 (Les chercheurs : pour montrer ce qu'ils trouvent, ne doivent-ils pas être écoutés?)

Il y a deux ans lors d’un colloque organisé par le CREC St Cyr nous nous nous interrogions sur l’africanisation d’AQMI (à l'époque, seul groupe jihadiste de la région et dont le commandement était exclusivement arabe), au sens d’appropriation régionale d’une violence armée se réclamant de l’islam, ainsi que sur la réussite de la tentative de « déterritorialisation[2] » du GSPC-AQMI[3]. Nous concluions alors que si AQMI voulait survivre et se développer en Afrique subsaharienne son commandement devrait accepter de partager le pouvoir avec des subsahariens. Nous avions souligné les contraintes méthodologiques : d’une part beaucoup de recherches ont portées sur l’histoire de l’islam mais beaucoup moins sur l’islam pratiqué actuellement en Afrique, sur la formation des identités musulmanes, leur engagement politique... D’autre part, il s’agissait de dépasser une représentation souvent erronée de la zone saharo-sahélienne véhiculée par une historiographie défaillante[4] et qui s’explique par la rupture communément accepté entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne. 

Voici les conclusions que nous tirions, il y a donc deux ans
« La situation économique et sociale régionale fait le lit d’AQMI. D’autant que les communautés marginalisées reçoivent beaucoup moins en termes de programmes de développement alors qu’elles en ont le plus besoin. La décentralisation qui a suivi le changement de régime de 1991 au Mali ne s’est pas mise immédiatement en marche dans le Nord et a intensifié les luttes de pouvoir au sein des communautés[5]. Le retrait des ONG, le marasme économique que constitue la chute des revenus liés au tourisme sont une fenêtre d’opportunité pour le recrutement de jeunes. Les trafics en tout genre sont une perspective lucrative pour des jeunes désœuvrés.
La zone saharo-sahélienne donne à AQMI une profondeur stratégique face aux moyens de répressions algériens mais seul le temps nous permettra de comprendre les ambitions globales de cette jeune organisation. 
On peut poser la question de l’africanisation de cette organisation mais aussi celle de la réponse des autorités locales et donc de l’africanisation de la lutte. En effet, les Etats de la région doivent relever le défi complexe d’un système de crises à trois niveaux [6]: local (lutte clanique ou ethnique), régional (rivalités de puissances), transnational (réseaux criminels, terroristes). Ces différents facteurs se nourrissent mutuellement, se renforcent et se diffusent dans la périphérie. La stabilité régionale est la fois menacée par des guerres classiques dont l’enjeu est le contrôle du territoire ou des ressources mais à ces facteurs « classiques » doivent s’ajouter des facteurs « globaux ».
Au départ chaque gouvernement menait sa propre stratégie pour combattre l’expansion du terrorisme. Si les Etats sont conscients du besoin de coopérer, la coopération reste pour le moment insuffisante. De plus certains conflits comme celui du Sahara Occidental sont des obstacles à la mise en place d’une stratégie commune. L’Algérie et la Libye (du moins jusqu’à l’opération «Aube de l'Odyssée») rejettent tout interventionnisme dans ce qu’ils considèrent comme leur zone d’intérêt stratégique. D’ailleurs si la Mauritanie, le Niger et le Mali suivent l’Algérie dans sa lutte, la Libye, le Tchad, le Burkina Faso, se sont déjà désolidarisés d’une initiative précédente. De plus, l’internationalisation de la menace oblige les Etats de la région, et plus particulièrement l’Algérie, à intérioriser le cadre conceptuel de lutte contre le terrorisme formalisé par les Américains et ce cadre international est plus contraignant[7].
Une aide extérieure doit être apportée mais elle doit rester discrète et passe par de l’appui aux capacités (capacity building type formation, entrainement…) associée à une volonté politique des Etats de la région. Les partenaires occidentaux doivent se garder de toute intervention directe ou de toute publicité intempestive faisant le jeu de la propagande djihadiste. La lutte contre le terrorisme est devenue la rente stratégique post-11 septembre, les injustices qu’elle créée sont, pour reprendre les propos de  Jean-François Bayart, « le meilleur sergent recruteur du radicalisme islamique [8]». Une approche globale[9] est nécessaire pour combattre ce terrorisme. La recherche d’une solution passe inévitablement par une réponse aux problèmes régionaux structuraux. On ne peut pas faire l’économie d’un débat sur le développement économique et social de la région dont le retard est à la base de l’instrumentalisation de certaines populations par AQMI. Si aujourd’hui cette menace est plus sécuritaire que politique, la région est un terreau favorable à un soutien local opportuniste. D’autant, que l’impact très négatif de cette violence terroriste, sur le tourisme ou les investissements, devrait accentuer cette problématique. Toute solution passe également par un renforcement de la légitimité de l’Etat sur ses marges et donc de sa présence notamment par la fourniture de services publics.
Par ailleurs gardons à l’esprit que cet espace a toujours posé des problèmes de gouvernance tant pour l’Etat colonial que pour ses successeurs[10]. La ceinture sahélienne est une zone mouvante d’échanges et de circulation, peuplées de sociétés nomades qui ont toujours entretenus des relations de coopération sur des périodes plus ou moins longues et d’affrontement avec les gouvernements centraux. Toute intervention étrangère doit garder ces données en tête et ne pas commettre les mêmes erreurs qu’en Somalie où les ingérences extérieures ont donné une légitimité aux insurgés. Toute ingérence faire courir le risque que des alliances conjoncturelles se renforcent derrière une cause commune anti-impérialiste. Le djihad devenant la version islamique des luttes anticoloniales[11]. »


[1] Cité par Benjamin Soares, « L’islam au Mali à l’ère néolibérale » in Islam, Etat et société en Afrique, Paris, Karthala, 2009,
[2] Olivier Roy, « Islamisme et nationalisme » in « Dossier : Islam et démocratie », Pouvoirs, n°104, janvier 2003, p.45-53
[3] Cette terminologie « GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat)-AQMI » permet de mettre en évidence l’évolution en cours d’un djihadisme national vers un djihadisme globale.
[4] Lire E. Ann Mcdougall, « Constructing Emptiness : Islam, Violence and Terror in the Historical Making of the Sahara », in Journal of Contemporary African Studies, n°25, p.17-30 et Triaud Jean-Louis, « L'islam au sud du Sahara. Une saison orientaliste en Afrique occidentale » Constitution d'un champ scientifique, héritages et transmissions, in Cahiers d'études africaines,  2010/2-3-4 N° 198-199-200,  p. 907-950.
[5] Karin Nijenhuis, « Does decentralization serve everyone ? The struggle for power in a malian village », in The European Journal of Development Research, 2003,  Vol.15, n°2, p.67-92
[6] Charles Toussaint, « Vers un partenariat euro-sahélien de sécurité et de développement ? », in Annuaire français des relations internationales, 2010,  p.761
[7] Cherif Dris, « L’Algérie et le Sahel : de la fin de l’isolement à la régionalisation contraignante », in Maghreb Machrek, Choiseul, n°200, été 2009, p.57
[8] Jean-François Bayart, « Le piège de la lutte antiterroriste en Afrique de l’Ouest », in Sociétés politiques comparées, n°26, août 2010, P.4
[9] Sur ce concept se référer à : Cécile Wendling,  « L’approche globale dans la gestion civilo-militaire  des crises. Analyse critique et prospective du concept », in Cahier de l’IRSEM n°6, 2010,  134p.
[10] Entre 1957 et 1961, le colonisateur tenta de créer une Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) afin d’administrer spécifiquement cet espace.
[11] Jean-Pierre Filiu, « The local and global Jihad of al-Qa’ida in the Islamic Maghrib », in The Middle East Journal, Vol.63n n°2, printemps 2009, p.214

mercredi 16 janvier 2013

Opération Serval au Mali : quand l'opinion part en guerre

Ilinca Mathieu, doctorante en science politique et rattachée aux jeunes chercheurs de l'IRSEM nous propose cette analyse de l'opinion publique au moment où la France se trouve engagée au Mali.

"Aux lendemains du déclenchement de l’opération Serval au Mali, les Français se seraient, selon les premiers sondages, montrés très favorables à cette décision (à 63% 1, voire même 75%² ). S’il faut s’en réjouir, le soutien de la Nation constituant un élément clé de l’action armée dans une démocratie libérale, la situation doit être appréhendée avec prudence. C’est enfoncer une porte ouverte que de rappeler que le soutien de l’opinion publique est classiquement plus fort au début d’une opération que dans les mois, voire les années qui suivent (les exemples afghan et libyen l’illustrent) ; mais il faut également s’interroger sur la nature de cet appui initial – penche-t-il réellement en faveur de cette intervention ?

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 ©AFP PHOTO /ERIC FEFERBERG

Il est permis d’en douter, ne serait-ce qu’à l’écoute des commentaires d’auditeurs – théoriquement sélectionnés pour leur pertinence et/ou leur représentativité – sur les grandes radios nationales ces derniers jours. On y retrouve d’abord ceux qui postulent l’impréparation et l’amateurisme de nos forces armées sur le seul constat de la mort d’un pilote de Gazelle ou de l’échec d’une mission commando (en Somalie, concomitante au déclenchement de l’intervention au Mali). Ils y côtoient les arguments de ceux qui somment le politique de s’expliquer sur le coût d’une telle action contre des djihadistes sur le territoire malien, en pleine crise budgétaire nationale. D’autres, forts de leur analyse confortablement énoncée plus d’un an après les évènements, assènent que l’opération Harmattan en Libye n’aurait jamais dû avoir lieu, puisqu’elle a eu pour conséquence de permettre la diffusion d’armements dans le Nord du Mali, et donc de nourrir ce nouveau conflit…

S’agit-il là tout simplement des 37% restants, déclarés hostiles à cette intervention, ou bien peut-on trouver une autre raison à ce hiatus ? Il est ici éclairant de se pencher sur la nature des sondages eux-mêmes. A quoi les 63% (ou 75%) de Français ont-ils donc exprimé leur soutien ? L’enquête Ifop précise la question posée aux sondés : « Vous savez que des troupes françaises ont été engagées militairement au Mali pour lutter au côté du gouvernement malien contre des mouvements islamistes armés. Vous personnellement, êtes-vous tout à fait favorable, plutôt favorable, plutôt pas favorable ou pas du tout favorable à cette intervention militaire française ? ». On peut alors se demander si les personnes interrogées se sont prononcées en faveur d’une action courte, visant uniquement à stopper l’avancée des rebelles vers la capitale, ou d’une intervention destinée à les éradiquer définitivement du Nord du pays. Un autre sondage nous informe par ailleurs que 64% des sondés estiment que l’opération Serval aura pour effet d’ « augmenter la menace terroriste en France »3 ! Est-ce à dire que l’opinion française soutient l’intervention de son armée tout en assumant une menace accrue sur son propre territoire ? Ou bien faut-il en déduire que les personnes interrogées dans les deux premiers sondages auxquels nous faisons référence n’avaient guère considéré cette possibilité avant de répondre ?

Ces sondages, de par l’imprécision des questions posées et la méconnaissance inévitable des paramètres de l’opération par les sondés, ne sauraient ainsi avoir aucune utilité. On se rappellera utilement à cet égard les critiques bourdieusiennes portées à l’encontre de la pratique des sondages en tant que telle4 . Le risque est grand, dans ces conditions, de voir l’opinion publique, désormais réputée initialement favorable au déclenchement de l’opération, se « retourner » au fil des semaines. Retournement qui sera attribué à l’incapacité de la France à résoudre rapidement le conflit (alors même qu’il est clair, dès aujourd’hui, que la formation des troupes africaines et l’élimination complète des mouvements islamistes prendront nécessairement du temps), quand elle pourrait aussi découler tout simplement de l’exposition a posteriori des sondés, au sein du débat public, à des questions qu’ils ne s’étaient pas posées initialement.

Pour autant, il ne faut pas négliger l’impact de ces chiffres sur le politique qui, préoccupé par la supposée aversion aux pertes humaines de l’opinion publique, semble parfois très (trop ?) sensible à ses éventuels retournements. Pourtant, outre le fait que les nombreux soldats tombés en Afghanistan n’ont provoqué, faute d’une franche opposition, qu’une sourde indifférence, il a été montré que l’opinion est tout à fait prête à supporter la mort de ses soldats, à condition que les objectifs poursuivis (et, in fine, l’intérêt national) soient clairs et légitimes5 . Dans le cas du Mali, les intérêts français potentiels apparaissent nombreux : éradiquer le foyer d’un terrorisme qui se veut international ; sauvegarder la vie des quelques 6000 ressortissants présents dans la zone ; répondre à l’appel d’un gouvernement ami (l’influence nourrissant la puissance sur la scène internationale) ; préserver la stabilité de la région afin d’y sauvegarder nos nombreux intérêts économiques et stratégiques… Mais aussi mettre en concordance nos valeurs, si souvent claironnées, et nos actes, la « politique du bluff » étant à long terme la pire des stratégies…

C’est au politique qu’il revient alors d’éclairer le citoyen sur la justification de cette opération, pour limiter les débats stériles. D’abord, parce qu’il s’agit d’une question essentielle par principe – l’emploi de la force armée, au nom de la nation française. Ensuite, parce que le soutien national aux troupes déployées sur le terrain – si souvent mis en avant dans les discours politiques comme militaires – est dans les faits trop faiblement marqué. Certes, les notions de patrie et d’esprit de défense n’ont généralement pour nos soldats qu’une dimension abstraite qui ne nourrit qu’indirectement leurs motivations au combat. « Faire son travail », appliquer ce qui a été acquis à l’entraînement, reste ainsi pour une immense majorité la première motivation à partir en opérations. L’opération Serval est ici l’occasion rêvée de mettre en œuvre les enseignements du combat en milieu désertique, notamment acquis lors des séjours à Djibouti, et notre armée professionnelle porte ainsi bien son nom. Pour autant, le soutien affirmé de la population aux militaires demeure essentiel, car il ne faut pas oublier que ce sont leurs familles qui sont exposées quotidiennement au débat public et médiatique, dont la violence rejaillit dès lors indirectement sur les soldats. Et que cela ne devrait pas être au militaire de répondre à la question qui lui est trop souvent posée : « mais qu’êtes-vous donc allés faire là-bas, et pourquoi ? »6 .

Sondage Ifop/La lettre de l’opinion mené les 12 et 13 janvier 2013.
2 Sondage BVA/Le Parisien mené les 14 et 15 janvier 2013.
3 Sondage CSA/BFM TV des 14 et 15 janvier 2013.
4 Bourdieu P., « L’opinion publique n’existe pas », Les Temps Modernes, n°318, janvier 1973.
5 Voir par exemple les travaux de E. Luttwak ou N. La Balme à ce sujet.
6 Merci au LCL H.Pierre pour ses réflexions à ce sujet.