Un article sur le Nigeria parut en parallèle sur le site Alliance stratégique.
Un président hospitalisé depuis le 23 novembre en Arabie Saoudite, un vice-président chargé par la Haute Cour fédérale d’assurer les pouvoirs du chef de l’État jusqu’à son retour, des affrontements entre factions de la secte islamiste Kala-Kato fin décembre, des Nigérians placés sur la liste américaine des passagers à surveiller après la tentative d’attentat d’Umar Farouk Abdulmutallab, des centaines de morts à Jos (au centre du pays) lors d’affrontements entre chrétiens et musulmans… Qu’arrive t-il au Nigéria ? Le leader régional est-il en passe d’imploser ?
Sur le plan interne
Eléments de géopolitique interne : l’une des particularités du Nigéria est d’avoir été construite par le colonisateur britannique sur la base de la juxtaposition au sein d’un même territoire de deux aires géographiques (aires soudanaise et guinéenne). Bien qu’associées, ces deux parties ont été maintenues dissociées au niveau géographique, politique et administratif jusqu’à l’indépendance du pays. Effectivement, le Nigéria est partagée en trois avec au Nord les Haoussas et les Fulanis qui sont des musulmans, à l’Est les Ibos (catholiques) et à l’Ouest les Yorubas (autant de musulmans que de protestants), auxquels il faut ajouter près de 250 ethnies. Il existait différents cercles de colonisation, en fonction de la population et des intérêts économiques. Par exemple, le littoral était exploité directement par les Anglais alors que l’intérieur du pays l’était par l’intermédiaire des autorités locales. Le problème récurrent est donc de maintenir l’unité entre ces trois parties régionales qui luttent pour le contrôle du centre fédéral. Par ailleurs, il convient de relativiser ce modèle d’opposition géopolitique car au sein même des régions les divisions sont courantes (exemple : Biafra 1967).
Avec ses trente-six États et ses soixante-quatorze gouvernements locaux, le pays reste fragile, les forces centrifuges et le pouvoir central sont constamment en lutte et l’État fédéral a été remanié à plusieurs reprises depuis 1967 afin de satisfaire les demandes de partage émanant des minorités désireuses d’avoir un État propre (douze États en 1967, dix-neuf en 1976 puis vingt et un en 1988, trente en 1991 et trente-six en 1996).
Napoléon considérait que la puissance des États est dans leur géographie, l’important est la maitrise de l’espace. Or, avec 20 % de Yorouba, 18 % d’Ibo et 28 % d’Haoussa-Foulani, la population nigériane est autant un élément de puissance qu’un facteur déstabilisateur. Les problèmes ethnico-religieux internes renforcent l’idée que le Nigéria ne saurait réguler les comportements régionaux tant que sa situation interne n’est pas stable. À moins de sombrer dans une situation de type libanais, le Nigéria doit encourager les positions laïques. Mais une telle nécessité ne séduit pas les intégristes des différentes religions, notamment les fondamentalistes islamiques qui ont installé la charia (loi islamique) dans les États du nord. On assiste d’ailleurs à une radicalisation de l’islam nigérian. Le pays concentre le plus grand nombre de mouvements islamistes de la région (six sont listés par les services de sécurité nigérians). Une estimation globale indique que les islamistes radicaux représenteraient environ 20 % de la population musulmane, estimée à 60 millions environ. Un des grands enjeux reste la bonne intégration du nord-Nigéria, qui voit à la fois progresser l’application de la charia et qui doit lutter contre le déclin économique.
Par ailleurs, les progrès dans l’éducation et la santé ont été mineurs ces dernières années, le pays s’est avéré incapable de résoudre le problème chronique de la pénurie d’électricité et de produits dérivés du pétrole. Le trafic de drogue, le crime, les pogroms interethniques, les affrontements armés de factions militaires, les agressions, les vols et piratages, les réactions immédiates de justice expéditives sont en recrudescence. L’agriculture est tombée en déliquescence et le pays est devenu un grand importateur de denrées alimentaires. L’éducation et les systèmes de santé se sont effondrés. Le développement humain reste très modeste (158ème pays sur 182 d’après l’Indice de Développement Humain 2009). L’économie du Nigéria est fortement dépendante de l’industrie pétrolière qui représente près de la moitié du PIB, 95 % des exportations et plus de 70 % des recettes budgétaires. Les potentialités économiques et le poids démographiques du pays tranchent avec son état général. Le Nigéria est un pays très corrompu (130ème place sur 180 pays selon Transparency International en 2009), l’économie informelle place le pays au troisième rang des pays africains pour l’importance de ce secteur (58 % du PIB global en 1999-2000) et les chiffres officiels ne donnent pas une idée réelle de la situation du pays.
Sur le plan extérieur
Dans la région, le Nigéria est doté d’un fort potentiel particulièrement au regard des facteurs traditionnels de la puissance (démographie, espace, dispositif militaire, ressources). Le pays est considéré comme un « poumon économique » en Afrique de l’Ouest : sa population représente 25 % de la population africaine et 65 % de celle de la CEDEAO, ses exportations de produits manufacturés et son économie informelle (vente de produits pétroliers de la contrebande dans la région) sont importantes. Les Nigérians sont presque vingt fois plus nombreux que les Béninois et les Tchadiens (sept et huit millions d’habitants respectivement), plus de dix fois plus nombreux que les Nigériens (11 millions) et huit fois plus que les Camerounais (16 millions). Plus grand, plus riche le Nigéria a tendance à « aspirer » ses voisins.
En tant que puissance régionale, le Nigéria aspire à devenir le leader des pays qui l’entourent. Cependant, son inscription dans le monde anglophone l’isole des pays francophones voisins. Il se veut africain mais sa participation à l’OPEP renforce les liens de ses musulmans avec le Moyen-Orient ou le Maghreb.
Le géant régional contribue à promouvoir la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) basée à Abuja et l’ECOMOG (Economic Community of West States Cease-fire Monitoring Group, ou Brigade de surveillance du cessez-le-feu aussi appelé « Casques blancs »), le bras armé de la CEDEAO où les contingents nigérians sont les plus nombreux. Du coup l’Ecomog apparaît comme un instrument de la politique extérieure du Nigéria, l’ancien secrétaire général de l’ONU l’a reconnu : « La contribution du Nigéria à l’Ecomog est si importante que si elle devait décliner, c’est la viabilité militaire de l’organisation qui serait menacée ».
Cependant, les interventions nigérianes ne sont pas toujours exemplaires. En 2000, un rapport au conseil de sécurité de l’ONU rédigé par le major général Vijay Jetley, commandant de la Minusil (Mission des Nations Unies en Sierra-Leone), dénonçait la collusion entre le général nigérian de l’Ecomog et les rebelles du Front uni révolutionnaire : « L’armée nigériane voulait rester en Sierra-Leone, en raison des bénéfices substantiels qu’elle tirait du commerce illicite de diamants ».
La contribution du Nigéria au maintien de la paix en Afrique de l’Ouest et sur le continent n’est reste pas moins indéniable et le pays souhaiterait être récompensé de son investissement en obtenant un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Le 5 janvier, il a obtenu une place de membre non permanent avec la Bosnie-Herzégovine, le Brésil, le Gabon et le Liban. Le nombre de missions onusiennes auxquelles les soldats nigérians ont participé (même en dehors du continent) est un argument de poids. En 2009, 5827 soldats et policier Nigérians participaient à des missions de l’ONU ou de l’UA (dont 3861 au Soudan) sur le continent africain.
Au-delà du cadre régional, le pays a multiplié les initiatives en matière de résolution des conflits. Des réunions de médiations ou de facilitations ont été organisées à Abuja notamment pour le Soudan, la République Démocratique du Congo (RDC), le Zimbabwe, le Togo et dernièrement la Côte d’Ivoire, bien que le Nigéria ne fût pas le seul acteur ni le plus influent. De plus, en 2003 le rayonnement du pays a été renforcé avec la tenue des jeux africains et l’organisation du 17ème Sommet des pays du Commonwealth en présence de la reine Elisabeth II ainsi qu’en décembre 2006 avec la Conférence de l’OPEP.
Cette position de leader régional s’est plus imposée au Nigéria qu’il ne l’a imposé à ses voisins plus faibles et plus petits. En effet, aucun autre pays environnant ne pouvait disputer au Nigéria ce statut. Bien que dans le contexte de la mise en place des Forces Africaines en Attente (FAA) c’est-à-dire des brigades régionales déployables en 14 jours par rotation, le Sénégal s’avère être un deuxième pilier en Afrique de l’Ouest. Le Nigéria semble plus empêtré dans ses problèmes internes et pas vraiment intéressé par cette affaire.
Le Nigéria possède beaucoup des atouts traditionnels de la puissance – espace, population, richesses naturelles et même, depuis la hausse du prix du pétrole, argent. Il lui manque, naturellement, les atouts nouveaux – technologie en particulier. Mais il lui manque surtout ce qui, aujourd’hui comme hier, constitue le fondement essentiel de la puissance : la cohésion nationale, ce que Zaki Laïdi nomme la capacité de l’État à « faire sens ».
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