lundi 28 avril 2014

Guinée Bissau : vers un retour à la légalité constitutionnelle ?

750 000 électeurs étaient appelés aux urnes le 13 avril 2014, pour le premier tour de la présidentielle et pour les législatives Bissau-Guinéennes, cette ex-colonie portugaise de 1,6 million d'habitants. 13 candidats se présentaient à la présidentielle et 15 partis aux législatives. Ces élections auraient dû se tenir un an après le dernier putsch du 12 avril 2012, qui avait renversé le régime du Premier ministre Carlos Gomes Junior et interrompu les élections générales, mais elles ont été reportées à plusieurs reprises. Jeune Afrique tire d’ailleurs ce constat : « en vingt ans de multipartisme, aucun Premier ministre ni aucun président n'est allé au terme de son mandat ». 
Le second tour se tiendra le 18 mai 2014 et il verra s’affronter deux candidats. L’ancien mouvement de libération, le Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), et son candidat, José Mario Vaz, arrive sans surprise au second tour de la présidentielle et il obtient 55 des 102 sièges à l'Assemblée nationale populaire, soit la majorité absolu. La surprise est créée par Nuno Gomes Nabiam (25,1 %), candidat indépendant et directeur de l'aviation civile. Ce dernier bénéficie du soutien de l’armée, notamment d'Antonio Indjai, le chef d'état-major, et des Balantes (la principale ethnie du pays).
Ci-dessus répartition ethnique en Guinée-Bissau
Ci-dessus répartition des votes lors du premier tour des présidentielles

Ces élections ont rencontré peu d’échos en France. Pourtant, les enjeux dépassent les frontières de l’Etat ouest africain et la pression internationale a été déterminante dans la tenue de ces élections. Le 19 avril le Washington Post consacrait d’ailleurs un article aux « multiples dimensions d’uneélection dans un petit Etat d’Afrique », nous reprenons, en partie, ici les conclusions :
D’une part, les bailleurs internationaux ont largement financé ces élections. Selon un rapport de l’Union Européenne : « The international community financed the entire electoral process with one-third of the contributions coming from the European Union. The elections had a cost of almost US$17  per voter, which was on the higher side of the world average and well above the African average of US$7 » (ICI coût des élections en général). De plus, il y a sur place près de 680 observateurs locaux et 400 observateurs étrangers (dont 200 de la CEDEAO et 46 de l’UE), en partie formée à l’étranger. Par ailleurs, la diaspora est appelée à voter pour les élections législatives et pour la premières fois pour les présidentielles. Ils sont 22 312 à être enregistrés et deux des 102 sièges du Parlement sont réservés aux représentants de la diaspora. Le pays était sous pression de la communauté internationale qui envisageait de nouvelles sanctions si les élections n’étaient pas tenues. L’Union africaine avait suspendue le pays après le coup d’Etat et a déjà annoncé « que dès l'annonce du vainqueur auxélections présidentielles et la prise de fonctions du nouveau Présidentconformément à la Constitution de la Guinée Bissau, le pays sera invité àreprendre sa participation aux activités de l'UA ».
José Mario Vaz (à gauche), Nuno Gomes Nabiam (à droite)


La Guinée Bissau est financièrement « au bord de la banqueroute » rappelle l’International Crisis Group qui prévient : « le vote ne réglera rien si les partenaires internationaux n’accompagnent pas la Guinée-Bissau dans la période cruciale qui suivra l’investiture du nouveau président. Ils devront le faire en améliorant encore leur coordination dans les derniers jours qui restent avant les scrutins, mais surtout pendant et après le vote. » Par ailleurs, l’armée a toujours joué un rôle politique fort dans le pays, et a contribué à entretenir le chaos institutionnel,  l’un des enjeux à venir est donc de savoir comment les responsables des forces de défense et de sécurité, pour certains mêlésau trafic de cocaïne, accepteront la transition et la remise en cause de leurs privilèges. D’autant plus que c’est le candidat arrivé second au premier tour des présidentielles qui bénéficie du soutien de l’armée. Si le PAIGC remporte les élections il devra donc agir avec discernement et trouver des compromis pour pouvoir gouverner.
Résultats officiels des élections : ICI

mardi 22 avril 2014

We are happy from...Africa

Le clip de Pharrell Williams "Happy" inspire le monde entier et les habitants du continent africain ne sont pas en reste. De Tunis à Hargeisa (Somaliland), en passant par Maurice, Brazzaville et Khartoum, toutes les régions du continent sont touchées par la vague "Happy". Nous ne résistons pas au plaisir de partager avec vous ces petits moments de joie. L'Afrique est "happy", la preuve.


Toutes les villes sont sur la plateforme internet "We are happy from…" et la page facebook créée pour le phénomène.

dimanche 13 avril 2014

La fantaisie des Dieux. Note de lecture

Patrick de Saint-Exupéry, grand reporter et rédacteur en chef de la revue XXI, signe avec Hippolyte une très belle BD-reportage. Ce n’est pas le génocide qui est raconté et expliqué mais la trajectoire de Patrick de Saint-Exupéry, en 1994, dans l’Ouest du Rwanda puis son retour sur les lieux du drame vingt ans plus tard. Ainsi, l’ouvrage est une série d’allers retours entre photos du Rwanda de 1994, plus précisément à Kibuye, et le voyage du journaliste, avec le dessinateur Hippolyte, sur ses propres pas en 2013. Aucune image d’horreur juste des témoignages qui laissent deviner le pire.
A la grisaille parisienne succède les images colorées du Rwanda. Les aquarelles d’Hippolyte rendent le dessin poétique. Une certaine légèreté règne dans ce petit paradis qu’est le Rwanda mais lorsque l’image se fait plus précise, le lecteur aperçoit des cadavres emportés par le courant du fleuve. Un témoignage pudique qui laisse au lecteur se représenter l’horreur. Derrière le silence se cache un génocide. On comprend que ce silence est celui des morts mais aussi celui de la communauté internationale. « Un génocide c’est d’abord du silence ».
Dès ses premières pages « La fantaisie des Dieux » ne laisse pas place au doute. Pour l’auteur, Mitterrand, le Président de la République savait. Son administration l’avait informée, dès 1990, d’un risque d’ « élimination totale des Tutsi » (p.6) au cœur de l’Afrique centrale. L’ouvrage s’ouvre sur une citation en exergue, qu’aurait dit le Président : « dans ces pays-là, un génocide ce n'est pas très important ». Plusieurs facettes du génocide sont traitées. Les Caterpillar du ministère des Travaux publics qui récupèrent les cadavres après le massacre de l’église « Home Saint Jean » (p.24), le préfet qui organise les assassinats, le poids de la colonisation et de la christianisation lorsqu’un fantôme qui hante l’esprit de l’auteur rappelle : « le mot ethnie n’existe pas dans notre langue » (p.33) L’ouvrage questionne la responsabilité des différents acteurs dans le drame.

On comprend aussi le contexte de l’époque. Si le rôle joué par la France fait toujours polémique, la thèse de l’auteur est que les plus hautes autorités de l’Etat savaient mais se sont laissées aveuglées par « leur allié » hutu. Les militaires français, qu’accompagne l’auteur en 1994, sont eux-mêmes surpris par l’accueil qui leur est réservé : « les génocidaires accueillent les Français en amis. Ils étaient sûrs que nous  venions les aider à finir leur travail » (p.47). On comprend le trouble qui envahit ses hommes lorsque les tueurs les accueillent, les ordres de l’état-major, les comptes rendu envoyés à Paris qui restent sans réaction, les discours politiques, les aveux des assassins pour qui il est normal de tuer les enfants qui sont des complices des rebelles, le récit des rescapés à Bisesero, etc. Ça n’est pas les militaires de l’opération Turquoise présents sur place que l’auteur accuse, au contraire il les dessine impuissants et dépassés. A Bisesero, il a observé avec eux "un champ d’extermination à ciel ouvert » (p.72), il a vu ce gendarme s’effondré en réalisant qu’un an avant il avait formé la garde présidentielle et qui conclut « nous avons formé les assassins » (p.73)

On retient quelques citations marquantes : « C’est la goutte d’eau qui dit la mer et cette mer fait peur»,  "la folie est une excellente meneuse d’hommes » (p.28), « l’organisation est la condition de la démultiplication du crime. Le déni sa soupape »…

Pour aller plus loin (MAJ) :
-Le blog d’Hippolyte : ICI
 Indications of Genocide in the Bisesero Hills,Rwanda, 1994 », Yale University, Genocide Studies Programm
-« Patrick St-Exupéry & Hippolyte : BD/ Les superhéros à l’épreuve du temps : série », in Un autre jour est possible, France Culture, 4 avril 2014, (en ligne), ICI
- Olivier Schmitt : " Génocide and International Relations"

samedi 12 avril 2014

Les Tweets/actualité de la semaine par @MorningAfrika

Corne de l’Afrique :
1/ Le spécialiste de l’Erythrée Dan Connell revient sur l’ « hémorragie migratoire » érythréenne et la terrible trajectoire des migrants érythréens : « Eritrean Refugeesat Risk » 
2/ La semaine a également été marqué par l’assassinat de deux employés de l'ONU à l'aéroport de Galkayo, l'un était français. Ils travaillaient pour le bureau de l'ONU contre la drogue et le crime (UNODC). Les médias ont rarement précisé que la ville se situe entre deux régions autonomistes. Galkayo se divise en deux, une administration puntlandaise au nord et une administration du Galmudug au sud. 
3/ Toujours dans la Corne de l’Afrique, la 29ème Flotte iranienne a accosté dans le Port de Djibouti pendant trois jours ICI


Les commémorations du génocide rwandais ont généré de nombreux tweets :
1/ Dans The Telegraph : « After the Rwandan genocide 20 years ago, we said 'Never Again'. Did wemean it? » , Justin Forsyth, s’interroge sur les leçons tirées par la communauté internationale après le génocide et sa lenteur à intervenir en cas de massacres. 
2/ Dans « Mémoire d'un génocideet raison d'Etat » sur France Inter, Bernard Guetta aborde la polémique qu’a provoquée le président rwandais Paul Kagamé en accusant la France d’avoir joué un rôle direct dans le génocide. Il revient sur les relations entre la France, le pouvoir Hutu de l’époque et le FRP de Paul Kagamé.
3/ Dans le Foreign Policy, Seyward Darby rappelle qu’une autre ethnie a été massacré lors du génocide rwandais, les Twas, soupçonnés de soutenir les rebelles.
4/ Annier Thomas, de l’AFP, nous livre un témoignage poignant de sa couverture du génocide il y a vingt ans.
5/ Sur la politique de la France et l’aveuglement du pouvoir français, regardez les extraits de 7 jours à Kigali: avec Mehdi Ba, « Le complexe impérial français et ses conséquences », Hélène Dumas « l'abandon de la communauté internationale » et Patrick de Saint-Exupéry sur la colline de Bisesero et le rôle des militaires français, ainsi que de nombreux témoignages.
6/ Dans un « message aux armées », le ministre de la  Défense a répondu « aux accusations inacceptables [de complicité  dans le génocide rwandais] proférées à l’encontre de l’armée française ces  derniers jours » et défendre l’« honneur de la France et de ses armées ».  Selon J.-Y. Le Drian, c’est le « risque que l’Histoire se répète » qui a justifié  le « devoir » de la France d’intervenir en Centrafrique. L’intégralité du texte  est publiée sur Lignes de défense

RCA :
Dans Libération, F. Richard  se penche sur le sort des 14 000 musulmans « piégés au cœur de la  ville de Boda, assiégés par des miliciens anti-balaka résolus à les  anéantir », malgré la présence d’une centaine de soldats français.
Toujours selon Libération, au regard de la  situation actuelle, l’objectif de 2015 pour les élections présidentielles « paraît aujourd’hui relever du pur fantasme » 
Adoption de la résolution 2149 portant création de la MINUSCA et envoi de près de 12 000 Casques bleus en RCA qui devront  relever la Misca d’ici le 15 septembre. Mais critique également du délai de déploiement. La force onusienne ne sera pas opérationnelle avant septembre, Libération, affirme que « pour la France […], le passage de relais  n’est pas pour demain ».

Piraterie :
Le Marin signale l’adoption par la commission du Développement durable de  l’Assemblée nationale, le 08/04, du « projet de loi […] autorisant les gardes  armés à bord des navires battant pavillon français dans les zones de  piraterie ». Le vote du texte en séance publique à l’AN est prévu le 15 mai. 

vendredi 4 avril 2014

Génocide rwandais et blocages mémoriels (MAJ)

Nous commémorerons le 6 avril, les vingt ans du génocide rwandais. Si les journaux commencent à rappeler, le souvenir de cette tragédie risque d’être éclipsé par une autre commémoration celle des 100 ans de la première guerre mondiale, et par les controverses qui ne cessent d’entourer l’étude du génocide. En effet, l’analyse des évènements est depuis 1994 sujette à controverses (surtout depuis le 10ème anniversaire) et malheureusement les commémorations risquent de ne pas être sereines. La question du génocide rwandais reste mystifiée en France. A quoi est du ce nouveau blocage mémoriel ? Les débats se résument à deux questions: le rôle de la France et les causes du déclenchement du génocide (qui a abattu l’avion d’Habyarimana : Hutu extrémistes ou tutsi ?). Il nous semble que ce débat est biaisé pour plusieurs raisons que nous proposons d’analyser dans ce billet.


Premièrement, la domination de la lecture ethnique comme élément d’interprétation des causes du génocide. Précisons d’emblée que nous ne nions pas l’existence des ethnies. Néanmoins, d’après cette lecture, qui a dominé et biaisé le débat, les Tutsi et les Hutu seraient destinés à s’affronter, et les massacres sont le résultat d’une opposition raciste atavique. Les recherches ont pourtant démontré que l’on pouvait plus évoquer l’existence de classes sociales que d’ethnies. Or cette lecture ouvre la voie à un autre mécanisme, celui de l’accusation des premières victimes du génocide : les Tutsi. Cette approche exclue toute analyse des évènements ayant conduit à l’exécution du génocide. Cette lecture s’appuie sur les travaux d’anthropologie de la race élaborée à la fin du XIXème siècle. D’après cette littérature les Tutsi sont définit comme « hamito-sémitiques », ils ne seraient donc pas africains. Les hutus ont repris cette idéologie et dirent que les Tutsi étaient les juifs d’Afrique. ... Cette littérature refuse de penser le racisme en Afrique comme une idéologie construite politiquement et socialement. Elle leur nie toute dimension politique ou toute instrumentalisation. 
C’est là que le blocage débute. Les premiers écrits sur le génocide portent sur ses causes. Ils avancent dès les premières semaines du génocide cette explication ethnique. Ces écrits émanent des médias et des autorités françaises. Ces premières représentations des évènements et leur persistance guide encore aujourd’hui le processus mémoriels. Les premiers travaux des chercheurs tenteront d’y apporter une réponse. Colette Braeckman est, en ce sens, une pionnière et essaie, dès 1994, de comprendre les raisons historiques qui ont mené le Rwanda au génocide. Elle trouve des explications dans le legs colonial, la dimension ethnique de la « révolution sociale » de 1957-1962 et le développement d’une politique raciste qui en découle. 

Deuxièmement, les controverses sur le rôle de la France sont tenaces, du fait de la monopolisation du débat par des réseaux partisans et des sites anonymes. Ces blocages mémoriels sont récurrents en France. Pour ne pas rouvrir ce débat nous vous invitons à lire Daniela Kroslak qui propose une analyse selon trois critères de responsabilité - connaissance, capacité, participation - sans pour autant verser dans une diatribe anti France. Elle rappelle que la tolérance anglo-américaine envers le FPR est aussi discutable que le comportement français. Il y a aussi la thèse d’Olivier Lanotte qui est l’un des travaux les plus exhaustif et rigoureux sur cette question.
Certains chercheurs ou pamphlétaires, qui sévissent encore aujourd’hui risquent de bloquer le processus mémoriels avec des débats stériles. Pourtant, marginalisés académiquement pour le manque de rigueur scientifique de leurs analyses ils ont développé des interprétations dénigrant ou relativisant l’évènement. Ce voile cache les vraies questions sur les causes et racines historiques du génocide, l'idéologie hamitique, les complicités internationales, le rôle de l’Eglise, l'histoire du FRP avant et après le génocide.  
Une citation de Stéphane Audoin-Rouzeau, Jean-Pierre Chrétien et Hélène Dumas (dont nous recommandons vivement de lire les ouvrages) résume le traitement de cette question : « il semble que les vieilles antiennes du discours ethnicisant ou misérabiliste n’aient pas cédé le pas devant les acquis de la discipline historique. Le regard réducteur porté sur les sociétés africaines reste plus largement partagé qu’on ne pourrait le penser (…) Les explications politiques et sociales des connaisseurs de la région ont souvent été jugées « compliquées », comme si l’Afrique, en somme, se devait d’être simple à nos yeux ».

A lire : 
Collette Braeckman : "Le Rwanda est devenu une histoire française"

mardi 1 avril 2014

Réflexions sur la régulation du conflit en RCA

Bien que les médias soient accaparés par d’autres problématiques, la République centrafricaine reste traversée par une crise politique, humanitaire et économique que les forces internationales, présentes sur place, peinent à réguler. Une carte dénichée sur le compte facebook « Anti-Balaka Vs Sélèka » illustre parfaitement la dynamique destructrice qui touche la RCA. 


On peut y voir une carte de Bangui où figure les « zones à détruire d’urgence », « l’axe du mal à libérer » ou encore les « zones libres ». Le titre en sango « Zo Kwe Zo » signifie « un homme en vaut un autre » et peut se comprendre par la formule : "Tous les hommes sont égaux". Cette devise aurait été énoncée par le Père fondateur de la République Centrafricaine, Barthélemy Boganda. Elle peut ici faire aussi référence à la mouvance Zo Kwe Zo (ex mouvance Ange Felix Patasse) qui a diffusé le 1er mars une pathétique« déclaration historique sur laguerre  du pétrole en Centrafrique etrelative à la déclaration de guerre du gouvernement français «aux anti-balaka»et donc au peuple centrafricain ».
Dans le même temps, la présidente de la transition Catherine Samba-Panza déclarait, dans une interview à Jeune Afrique, que les Forces armées centrafricaines ont été sélectionnés sur des critères essentiellement ethniques et qu’il faut maintenant mettre sur pied une armée républicaine et représentative de toutes les régions du pays, ce qui peut passer par l’intégration des éléments de l’ex-Séléka ou des anti-balaka.
Ces deux positions montrent parfaitement la difficulté qu’il y aura à reconstruire l’Etat et le pacte sociale en RCA.
Une question se pose : comment une société traumatisée par les violences exercées par des groupes qui cohabitaient ensemble par le passé peut-elle leur réapprendre à vivre ensemble ? Comment rétablir la paix ? Dans la même interview la présidente  répond à une question sur l’intérêt que porte la Cour pénale internationale à la Centrafrique, selon elle : « ceux qui ont commis des actes graves devront en répondre. Cela n’exclut pas de pardonner dans le cadre de la réconciliation ». La régulation du conflit passerait par deux modes de régulation : la paix par la justice (donc par la punition judiciaire des crimes commis) et la paix par le pardon (donc par la non poursuite des crimes). Deux modes de régulation que nous tentons de décrypter dans ce billet.
Le développement croissant de la justice pénale internationale tend à établir la sanction pénale comme un impératif. Cette judiciarisation des conflits est une tendance lourde depuis les procès de Nuremberg et de Tokyo. Elle s’est caractérisée par la création de tribunaux ad hoc (Rwanda, Ex-Yougoslavie par exemple) et de la CPI. Le principe sous tendu semble légitime : pour rétablir la paix il faut que justice soit faite et que les victimes soient reconnues et les bourreaux punis. Toutefois, le temps de la justice ne correspond pas toujours à celui de la paix. D’autres mécanismes extrajudiciaires ont été envisagés, ils passent parfois par l’abandon des poursuites judiciaires.
Comme des vidéos circulant sur les réseaux sociaux ont pu le montrer, les victimes étaient parfois elles-mêmes coupables de crimes violents. Il est donc difficile d’établir les responsabilités et, impossible dans un Etat faible comme la RCA, de juger les coupables (d’où le recours à la CPI). De plus, le jugement pourrait s’avérer négatif, en stigmatisant des groupes identifiés comme coupable et entériner les divisions au sein de la société. Par ailleurs, certains acteurs du conflit critiquent parfois l’instrumentalisation politique des tribunaux. En effet, l’objectif doit d’abord être de retrouver la paix politique et sociale or cela peut impliquer de laisser des crimes impunis. Bien que ce positionnement puisse paraître moralement contestable, cela fait pourtant partie de certains modes de régulation des conflits. Considérer les acteurs des violences comme des interlocuteurs politiques et non criminels est un prérequis aux négociations pour parvenir à des accords de paix. Il s’agit d’inclure ces acteurs dans un cadre politique pour permettre la résolution du conflit, donc de faire primer la signature d’accord de paix sur l’application de sanctions pénales. De même, dans une vision pragmatique, qui répond à l’impossibilité de juger tous les coupables, les Commissions Vérité et Réconciliation émergent comme une autre forme de régulation des conflits (en Afrique du Sud, Burundi, Côte d'Ivoire, etc). 
Ces instances extra-juridictionnelles ad hoc forment une alternative à l’approche juridictionnelle traditionnelle. Son action peut inclure des amnisties afin de permettre d’établir une paix sociale et la reconstruction de la société. Ce mode de régulation répond à la dimension socialement difficile que pourrait revêtir des procès. La question aujourd’hui est de savoir comment articuler ces différents modes de régulation des conflits ?

Pour aller plus loin :
Roland Marchal, « Justice internationale et réconciliation nationale », in Politique africaine 2003/4, n° 92.
Graeme Simpson,  « Amnistie et crime en Afrique du Sud après la Commission « Vérité et réconciliation » », in Cahiers d'études africaines 2004/1-2, n° 173-174
Laura Seay, "Rwanda  : Has reconciliation by legal means worked ?", 8 avril 2014 ICI

samedi 22 février 2014

Chronique cinéma : Le crocodile du Bostwanga

Didier (Fabrice Eboué) est un agent raté qui se voit confier la carrière d’un jeune footballeur français prometteur, Leslie Konda (Ibrahim Koma), aussi pieux que candide. Ce dernier est invité dans son pays d’origine par le Président Bobo Babimbi qui souhaite le décorer. Mais, rapidement, Didier aveuglé par l’argent, accepte d’influencer son joueur pour qu’il joue avec les Crocodiles du Botswanga, l’équipe nationale du petit pays.

Si certains n’ont vu qu’un « ramassis de clichés » sur l’Afrique nous préférons y voir un film comique dont l’humour noir permet de dénoncer certains régimes du continent mais pas seulement. Le film multiplie les références et les allusions politiques. Le Président Bobo Babimbi (Thomas Ngijol) est un mélange d’autocrates, actuels et passés, de l’Afrique francophone comme Bokassa et ses piètres talents de chasseur, Mobotu -auquel il est fait explicitement référence (le costume léopard devient crocodile) - et d’Idi Amin Dada. Il est inculte, mégalomane et paranoïaque au point de voir en son fils de cinq ans un comploteur. Il nous rappelle également Moussa Dadis Camara en Guinée dans la façon qu’il a d’humilier publiquement son entourage et Adolph Hitler lorsqu’il parodie ses discours et son parcours.

Le film est une véritable satire, tous les personnages sont stéréotypés. Le duo comique y dénonce les travers de certains régimes africains et de leurs partenaires. Tout y passe :
   - Les relations entre la France et l’Afrique sont incarnées par Jacques Taucard (Etienne Chicot) - dont le nom rappelle le célèbre conseiller pour les Affaires africaines et malgaches de De Gaulle et dont l’héritage marquera longuement les relations entre la France et le continent. Jacques Taucard est un nostalgique de la période coloniale et conseiller du groupe Totelf (!) concurrencé par des Chinois prêts à tout pour remporter le contrat. Franck La Personne joue un conseiller français peu scrupuleux et aux bottes du dictateur ;

-La livraison de matériels de maintien de l’ordre par la France que le président n’estime pas car ils ne permettent pas de tuer ;
-L’image du joueur de foot vénal et peu citoyen lorsque Leslie Konda entonne une somptueuse Marseillaise comme un chanteur de Gospel ;
-La déforestation qu’un ministre Bostwangais vertueux tente de combattre ;
-La femme du président (Claudia Tagbo), et ses faux airs de Chantal Biya (photo du bas), dont la vénalité n’a pas d’égal ;
-Le traitement politique de la rébellion au Nord du pays rappelle les nombreux débats sur l’autochtonie auquel s’ajoute le racisme fondé sur de pseudo observations anthropologiques (évocation du peuple reconnaissable par la taille de ses oreilles) comme cela a pu être le cas au Rwanda.
-L’Etat patrimonial et corrompu (spoliation des terres par le gouvernement) est également dénoncé (photo Air Force Bobo) ;
-L’irresponsabilité des dirigeants politiques face au défi du Sida rappelle les prises de positions du président sud-africain Thabo Mbeki et de son gouvernement au début des années 2000 ou encore les déclarations du président gambien, Yahya Jammeh, qui aurait guéri des patients en utilisant une mixture secrète d’herbes bouillies.
Si on peut lui reprocher quelques lourdeurs, le film est tout de même rythmé, drôle et divertissant. Il semblerait que les distributeurs aient craint que le film puisse être mal interprété par des regards peu avertis puisqu’ils ne l’ont pas montré avant sa sortie. En effet, il risque d’alimenter certains clichés qui ont la vie dure en France tant les réalités du continent restent méconnues. Certains spectateurs risquent de ne pas aller plus loin que les analyses simplistes souvent faites des crises africaines : le résultat de clivages ethniques ataviques. Mais lorsqu’on comprend les allusions qui sont faites, la volonté de caricaturer et de dénoncer les travers de certains régimes et de la France, le film devient jouissif. Il s’inscrit dans la lignée de « Case départ » réalisée par Fabrice Eboué, Lionel Steketee et Thomas Ngijol il y a deux ans.  Il s’inscrit également, certes avec parfois moins de subtilité, dans la lignée des chroniques de Mamane sur RFI et sa « république très très démocratique du Gondwana ».

La bande annonce du film : 

jeudi 13 février 2014

Éthiopie. Pourquoi la réussite économique du pays est-elle souvent citée en exemple ?

Nous avons eu la chance d'être invité ce matin par Thierry Garcin dans Les Enjeux Internationaux de France Culture pour discuter de l'économie éthiopienne.




Résumé de l'émission : " La Corne de l’Afrique est une partie du continent, importante et complexe à tout point de vue, qui est largement délaissée voire ignorée par la grande presse française. En son centre, mais c’est un pays qui n’en a jamais constitué le môle, l’Éthiopie. Grande comme deux fois la France, 90 millions d’habitants (elle n’en avait qu’une quarantaine il y a quelques décennies), l’Éthiopie est n’entourée que de voisins à histoire, ou presque. L’État effondré de Somalie ; l’État de Djibouti, minuscule et comme à l’intérieur d’un casse-noix ; l’Érythrée, État trublion s’il en fut ; le Soudan ; le nouveau Soudan du Sud ; le Kenya, instable. Nous nous attachons aujourd’hui à la réussite économique récente de l’Éthiopie. Pourquoi, et comment ?"

Pour écouter l’émission : ICI

lundi 27 janvier 2014

L'Ethiopie après Meles


« Meles Zenawi chaussait des bottes trop grande pour que d’autres après lui puissent chausser les mêmes bottes », cette remarque est celle de l’un des fondateurs du Front populaire de libération du Tigraï (FPLT), elle révèle une inquiétude très largement partagée par les Ethiopiens et les analystes. Il y a eu une telle crainte d’une vacance du pouvoir après la disparition de Meles qu’on le fait gouverner un peu plus longtemps.


Oui Meles est mort mais il gouverne toujours. « Le roi est mort vive le roi » écrivait récemment Jean-Nicolas Bach, et c’est exactement ça. On peut citer tout de même quelques tensions au sein du parti dominant la coalition car les élites tigréennes se voyaient bien gouverner mais contre toute attente c’est Hailémariam Dessalegn qui a été élu (en arrière plan sur la photo - derrière Meles Zénawi).

Son vice-Premier ministre depuis 2010. Ce nouveau Premier ministre peut surprendre : il est relativement jeune (47 ans), protestant et issu d’une ethnie minoritaire du Sud. Entendez par cette description qu’il n’est ni orthodoxe, ni Tigréen, ni issu du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), la composante dominante de la coalition au pouvoir. Si la mort de Meles, en août 2012, marque un tournant majeur pour le régime éthiopien, c’est parce que Meles marquera durablement l’histoire de l’Ethiopie (comme l’empereur Hailé Sélassié ou Menelik II). Son successeur et protégé, Hailémariam Dessalegn ne fait que poursuit son œuvre. Pour comprendre les défis de l’après Meles il faut comprendre son règne et surtout le glissement effectué de la démocratisation à la priorité du développement comme l'a démontré Jean Nicolas Bach dans ses travaux.

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Il y a deux Meles, deux périodes. La première entre 1991 et 2001. Meles et le mouvement de libération essaie alors de récupérer les débris qui ont suivis la chute du régime communiste avec des discours démocratiques. Puis il glisse vers un « despotisme éclairé » qu’on pourrait résumer par : « faisons le bonheur du peuple mais sans qu’il s’en occupe ». En effet, lorsque le Front Démocratique Révolutionnaire du Peuple Éthiopien (FDRPE) et donc Meles Zenawi, prennent le pouvoir en 1991, ils prônent dans leurs discours la mise en place d’institutions démocratiques. Cette démocratisation doit permettre d’arriver au développement économique. Mais la démocratisation annoncée va rapidement montrer ses limites, aussi bien lors de la transition, en 1992 et 1995, qu’aujourd’hui. L’échec du processus de démocratisation entraîne un véritable renversement de la logique : la démocratie n’est plus la priorité. La guerre contre l’Erythrée, qui fait près de 50 000 morts et coûte tout l’argent que ni l’Ethiopie ni l’Erythrée ne possédaient, marque le début de la seconde partie de son règne. Sur ce retournement nous vous invitons à lire la thèse de Jean-Nicolas Bach ainsi que son article "Abiotawi democracy : neither revolutionary nor democratic a critical review of EPRDF's conception of revolutionary democracy in post 1991 Ethiopie" dans le Journal of Eastern African Studies (2011, volume 5, Issue 4)
Dès 2001, mais surtout 2004, l’Ethiopie décolle. Meles Zenawi s’est lancé dans un projet politique et économique de « développementalisme démocratique » . La théorie qu’il souhaite appliquer à l’Éthiopie est définie dans un écrit inachevé mais consultable en l’état : « African Development : Dead Ends and New Beginnings ». Pour Meles Zenawi, l’État doit avoir un rôle moteur dans le développement économique du pays. Il est l’investisseur principal et il se charge de la redistribution des ressources. Un plan quinquennal, le Growth and Transformation Plan (GTP) a été adopté en 2010. Il doit conduire l’État à doubler la croissance économique, à l’horizon 2015. Tout opposant à ce plan est un ennemi d’Etat. Dans un premier temps, ce furent les dissidents internes au FPLT, en 2001, puis les opposants de 2005 lors d’élections réprimées dans le sang.
C’est là aussi tout l’enjeu pour le successeur de Meles parce que le gouvernement éthiopien fonde sa légitimité sur les promesses de développement économique. Si les premiers effets ne s’en font pas ressentir avant 2015, date de la prochaine échéance électorale post-Meles Zenawi, son discours sur l’État développementaliste perdrait de son efficacité. D’autant plus que l’inflation (près de 30 % en 2011 et 40% en 2010) et le chômage fragilisent déjà la population, les citadins en particulier. De plus, les taux de croissance économique à deux chiffres avancés par le gouvernement depuis dix ans sont à relativiser. Selon l’International Development Association (IDA) et le Fond Monétaire International, ils seraient de l’ordre de 7 à 8%. La production des céréales est surévaluée d’un tiers, or l’agriculture compte pour près de 46% du PIB. De même, l’indice de développement humain du PNUD place l’Éthiopie à la 173ème place en 2012 alors qu’elle se situait à la 169ème en 2003. Et si l’on observe le coefficient de Gini en Éthiopie, l’inégalité croît. De plus, les implications de la reconfiguration politico-économique de l’Éthiopie dépassent les frontières de l’État. De la stabilité régionale de la Corne de l’Afrique dépend le développement de l’Éthiopie. D’où l’implication de l’Ethiopie dans la résolution des conflits régionaux (actuellement au Soudan). Cette stabilité doit permettre la réalisation de « méga-projets » sur les principaux fleuves du pays, notamment le Grand barrage de la Renaissance sur le Nil bleu, entamé en 2011. L’énergie produite devrait permettre d’alimenter Djibouti et le Soudan.
L’État éthiopien a joué un rôle primordial dans la croissance économique du pays, mais il a échoué à contenir les comportements rentiers et les pratiques qui gangrènent la structure du système. Le système politique éthiopien a stagné et est retombé dans l’autoritarisme. René Lefort évoque même l’émergence d’une oligarchie à la tête de l’État. Rejoindre le parti dominant devient une nécessité pour intégrer la fonction publique, pour faire développer son entreprise ou obtenir les moyens nécessaires à l’exploitation agricole des terres. Hailémariam Dessalegn est donc condamné à réussir le projet économique lancé par son prédécesseur s’il veut assurer la stabilité du régime.

mercredi 22 janvier 2014

L’Afrique du Sud à l’heure des interrogations


"Nous devons nous rappeler que notre première tâche est d'éradiquer la pauvreté et d'assurer une meilleure vie à tous" disait en 2009, dans un message vidéo diffusé lors d'un meeting électoral de l'ANC, Nelson Mandela.
 
Son décès a permis de s’interroger sur le bilan de l’Afrique du Sud depuis vingt ans, alors que Jacob Zuma a lancé la campagne pour les élections générales entre avril et juillet 2014. Pour ces élections des nouveautés sont à noter : les Sud-Africains vivant à l’étranger pourront participer au scrutin (en 2009, seuls ceux inscrits sur une liste électorale en Afrique du Sud pouvaient voter), mais surtout ces élections seront les premières de la génération « born free »
L’enjeu n’est pas de savoir si l’ANC remportera les élections, cela fait peu de doute. Néanmoins, l’Afrique du Sud vit la fin du consensus nationaliste qui servait d’assise au parti historique. L’ANC lutte contre lui-même et contre le temps. Aussi le score de l’opposition sera à surveiller notamment dans la capitale Pretoria et la province de Gautang où ses chances de succès sont réelles.

De plus, en 2012, lorsque Jacob Zuma briguait la tête de l’ANC, il promettait des réformes profondes. La principale d’entre elle est la réforme foncière. La redistribution des terres et des bénéfices miniers sont des enjeux majeurs pour l’avenir économique du pays, et cette question a eu un écho considérable auprès de l’électorat populaire du parti. De fait, les personnalités populistes ont su se distinguer ces dernières années en se présentant comme une alternative au pouvoir actuel. Si Jacob Zuma lance ces réformes il risque de se heurter violemment avec la communauté afrikaner mais si les réformes réalisées sont trop modérées, alors qu’un tiers de la population vit avec moins de deux dollars par jour, il risque aussi de se couper de l’aile gauche de son parti et sera confronté à une vive contestation sociale. Bien sur, dans tous les scenarii, pour des raisons historiques et sociales, un scenario à la zimbabwéenne est très très peu probable. Autant de défis à relever alors que le modèle sud africain semble se gripper.

Pour une analyse plus poussée du déclin de l’ANC : ICI et ICI